Seamus Heaney (1939 – 2013) : Rites funèbres / Funeral Rites
Rites funèbres
I
J’ai endossé une sorte d’âge d’homme
quand je me suis avancé pour porter
les cercueils de parents morts.
On les avait étendus
dans des pièces ternies,
leurs paupières luisantes,
leurs mains blanches comme la pâte
enchaînées par des chapelets.
Leurs doigts bouffis
s’étaient déridés, leurs ongles
avaient noirci, leurs poignets
s’étaient docilement inclinés.
Le linceul brun comme l’algue,
les berceaux de satin piqué :
courtoisement je me suis mis à genoux,
admirant tout
tandis que la cire fondait
faisant des veines sur les bougies,
et les flammes vacillaient
aux femmes qui vacillaient
derrière moi.
Et toujours dans un coin,
le couvercle du cercueil,
ses têtes de clous coiffées
de petites croix brillantes.
Chers masques de pierre lisse,
un baiser sur leurs fronts d’igloo
devait suffire
avant qu’on enfance les clous
et que le noir glacier
de chaque convoi funèbres
ne s’ébranle.
II
Maintenant qu’arrivent les nouvelles
de chaque meurtre de voisins,
nous sommes impatients de cérémonie,
de rythmes coutumiers :
le pas tempéré
d’un cortège se déployant
auprès de chaque maison aux rideaux tirés.
Je voudrais restaurer
les grands tombeaux de la Boyne,
et préparer un sépulcre
sous les pierres alvéolées.
Sortant des rues et des petites routes,
les voitures des familles
s’insinuent en ronronnant dans la file,
la campagne tout entière s’accorde
au battement étouffé
de dix mille moteurs.
Les femmes somnambules,
Laissées derrière, vont et viennent
Dans les cuisines vides,
elles imaginent notre lent triomphe
vers les tertres.
Silencieux comme un serpent
sur son boulevard d’herbe
le cortège traîne sa queue
hors du col du Nord
alors que sa tête entre déjà
par la porte mégalithique.
III
Quand ils auront remis la pierre
dans l’ouverture
nous roulerons de nouveau vers le nord
au-delà des fjords de Strang et de Carling
la mémoire qui remâche
calmée pour une fois, l’arbitrage
de la querelle apaisée,
nous imaginerons ceux
qui reposent sous la colline
comme le beau Gunnar étendu
dans son tumulus funèbre,
bien que mort d’une mort violente
et non vengé.
On dit qu’il chantait
des vers sur l’honneur
et que quatre lampes brûlaient
aux quatre coins de la chambre :
laquelle s’ouvrit alors qu’il tournait
un visage joyeux
pour regarde la lune.
Traduit de l’anglais par Anne Bernard Kearney
in, Seamus Heaney : « Poèmes 1966 – 1984 »
Editions Gallimard, 1988
Du même auteur :
Bonne nuit / Good night (26/02/2019)
Mère (26/05/2020)
Victime / Casualty (27/05/2022)
Bêcher / Digging (27/05/2023)
L’homme de Tollund / The Tollund man (27/05/2024)
Funeral Rites
I
I shouldered a kind of manhood
stepping in to lift the coffins
of dead relations.
They had been laid out
in tainted rooms,
their eyelids glistening,
their dough-white hands
shackled in rosary beads.
Their puffed knuckles
had unwrinkled, the nails
were darkened, the wrists
obediently sloped.
The dulse-brown shroud,
the quilted satin cribs:
I knelt courteously
admiting it all
as wax melted down
and veined the candles,
the flames hovering
to the women hovering
behind me.
And always, in a corner,
the coffin lid,
its nail-heads dressed
with little gleaming crosses.
Dear soapstone masks,
kissing their igloo brows
had to suffice
before the nails were sunk
and the black glacier
of each funeral
pushed away.
II
Now as news comes in
of each neighbourly murder
we pine for ceremony,
customary rhythms:
the temperate footsteps
of a cortège, winding past
each blinded home.
I would restore
the great chambers of Boyne,
prepare a sepulchre
under the cupmarked stones.
Out of side-streets and bye-roads
purring family cars
nose into line,
the whole country tunes
to the muffled drumming
of ten thousand engines.
Somnambulant women,
left behind, move
through emptied kitchens
imagining our slow triumph
towards the mounds.
Quiet as a serpent
in its grassy boulevard
the procession drags its tail
out of the Gap of the North
as its head already enters
the megalithic doorway.
III
When they have put the stone
back in its mouth
we will drive north again
past Strang and Carling fjords
the cud of memory
allayed for once, arbitration
of the feud placated,
imagining those under the hill
disposed like Gunnar
who lay beautiful
inside his burial mound,
though dead by violence
and unavenged.
men said that he was chanting
verses about honour
and that four lights burned
in corners of the chamber:
which opened then, as he turned
with a joyful face
to look at the moon.
North
Faber & Faber, London, 1975
Poème précédent en anglais :
Jack Kerouac : Mexico city blues (51 – 61ème Chorus) / 51 – 61st Chorus) (27/03/2021)
Poème suivant en anglais :
David – Herbert Lawrence : Enfant dans la discorde / Discord in childhood (10/06/2021)