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Le bar à poèmes

15 juillet 2025

Xie Tiao / 謝朓 (464 – 499) : Partant pour Xuancheng

 

 

Partant pour Xuancheng

 


La route du Grand Fleuve au sud-ouest s’évanouit


Mais son flot impétueux vers le nord-est s’en va.


On voit au bord du ciel un bateau qui revient ;


On perçoit dans la brume les arbres sur les rives.


Des souvenirs d’errance agitent mon esprit ;


J’ai voyagé jadis souvent en solitude.


Cette fois, tout heureux d’obtenir un salaire,


Je pars en même temps pour les rivages bleus.


Je me coupe à présent des poussières mondaines ;


Mon cœur heureux enfin trouve là son bonheur.


Bien que fort peu semblable à la noire panthère,


Je m’en vais me cacher aux montagnes du Sud.

 

 


Traduit du chinois par François Martin


In, « Anthologie de la poésie chinoise »


Editions Gallimard (Pléiade), 2015

 


Du même auteur : 


« Le jour tombe... » (15/07/2020)


Complainte des degrés de jade (15/07/2021)


Tristesse des oiseaux de bronze (15/07/2022)


Celui à qui je pense (15/07/2023)


Contemplation mélancolique au coucher du soleil (15/07/2024)
 

14 juillet 2025

Jany Cotteron (1944 -) : Ligne de vie

 

 

Ligne de vie

 

 

En pointillés les jours se suivent


se chevauchent     se fondent


tracent une ligne longue


qui avance    monotone


Jusqu’à quand ?


Jusqu’où le dernier point d’une vie ?

 

 

Quand les poings fermés des jours


déchirent les heures sourdes


ouvrent les tableaux aveugles


les lieux muets et enfermés


alors crient les peurs étranglées


naissent les regards à l’envers


et partent les chemins de traverse


des pensées inversées

 

 

En pointillés les jours 


tracent une ligne longue


qui ondule soudain en écheveaux fous


en arabesques d’images


se brise en frises de mots


où bruissent les rêves 


dans le ciel des nuits et les rires verts

 

 


Le chant des pierres et de l’eau


Editions Samizdat, 1218 Grand-Saconnex (Suisse)


 
De la même autrice : 


F aille (16/07/2018)


N’importe où (14/07/2019)


Laisse-moi (14/07/2020)


 Un jour (14/07/2021)


Là où creuse le vent (14/07/2022)


Ventre (14/07/2023)


Je t’attends (14/07/2024)
 

13 juillet 2025

Léopold Sédar Senghor (1906 – 2011) : Le Kaya-Magan

 

 

 

Le Kaya-Magan

 

 

KAYA-MAGAN je suis ! la personne première


Roi de la nuit noire de la nuit d’argent, Roi de la nuit de verre.


Paissez mes antilopes à l’abri des lions, distants au charme de ma voix.


Le ravissement de vous émaillant les plaines du silence !


Vous voici quotidiennes mes fleurs mes étoiles, vous voici à la joie de mon festin.


Donc paissez mes mamelles d’abondance, et je ne mange pas qui suis source de


     joie


Paissez mes seins forts d’homme, l’herbe de lait qui luit sur ma poitrine.

 

 

 

Que l’on allume chaque soir douze mille étoiles sur la Grand-Place


Que l’on chauffe douze milles écuelles cerclées du serpent de la mer pour mes 


     sujets


Très pieux, pour les faons de mon flanc, les résidents de ma maison et leurs


     clients


Les Guélowars des neuf tatas et les villages des brousses barbares


Pour tous ceux-là qui sont entrés par les quatre portes sculptées – la marche


Solennelle de mes peuples patients ! leurs pas se perdent dans les sables de


     l’Histoire.


Pour les blancs du Septentrion, les nègres du Midi d’un bleu si doux


Et je ne dénombre les rouges du Ponant, et pas les transhumants du Fleuve !


Mangez et dormez enfants de ma sève, et vivez votre vie des grandes profondeurs


Et paix sur vous qui déclinez. Vous respirez par mes narines.

 

 

Je dis KAYA-MAGAN je suis ! Roi de la lune, j’unis la nuit et le jour


Je suis Prince du Nord du Sud, du Soleil-levant Prince et du Soleil-couchant


La plaine ouverte à mille ruts, la matrice où se fondent les métaux précieux.


Il en sort l’or rouge et l’Homme rouge-rouge ma dilection à moi


Le Roi de l’or – qui a la splendeur du midi, la douceur féminine de la nuit.


Donc picorez mon front bombé, oiseaux de mes cheveux serpents.


Vous ne vous nourrissez seulement de lait bis, mais picorez la vervelle du Sage.


Maître de l’hiéroglyphe dans sa tour de verre.

 

 

Paissez faons de mon flanc sous ma récade et mon croissant de lune.


Je suis le Buffle qui se rit du Lion, de ses fusils chargés jusqu’à la gueule.


Et il faudra bien qu’il se prémunisse dans l’enceint de mes murailles.


Mon empire est celui des proscrits de César, des grands bannis de la raison ou

 


    de l’instinct.


Mon empire est celui d’Amour, et j’ai faiblesse pour toi femme, 


L’Etrangère aux yeux de clarière, aux lèvres de pomme cannelle au sexe de 


     buisson ardent


Car je suis les deux battants de la porte, rythme binaire de l’espace, et le troisième


     temps


Car je suis le mouvement du tamtam, force de l’Afrique future.


Dormez faons de mon flanc sous mon croissant de lune.

 

 

 

Ethiopiques


Editions du Seuil, 1956


Du même auteur : 


Prière pour la paix (13/07/2014)

 

L’Absente (13/0720/15)


Ndessé (13/07/2016)


Elégie des eaux (13/07/2017)


Chant du printemps (13/07/2018)


Chants d'ombre I (13/07/2019)


Chants pour Signare (13/07/2020)


Le retour de l’enfant prodigue (13/07/2021)


Chants d'ombre II (13/07/2022)


Elégie de minuit (13/07/2023)


Elégie des saudades (13/07/2024)

 

Le Kaya-Magan (13/07/2025)


 

12 juillet 2025

Heinrich Von Morungen (1150 – 1222) : « Très douce,... » / « Vil süeziu... »

 

 

 

Très douce, tendre – meurtrière,


pourquoi voulez-vous m’ôter la vie,


alors que je vous aime, dans mon cœur,


Madame, pour sûr plus que toutes les autres femmes ?


Croyez-vous donc que si vous me tuez,


jamais plus je ne vous contemplerai ?


Non, mon amour pour vous est si puissant


que votre âme est de mon âme la dame.


Si ici-bas par vous, noble dame,


male fortune doit m’advenir, 


mon âme vous assure


qu’elle servira votre âme au Paradis, là-haut, comme une femme sans tache.

 

 

 

Traduit du moyen-haut allemand par 


Danielle Buschinger, Marie-Renée Diot


Et Wolfgang Spiewok


In, « Poésie d’amour du Moyen Age allemand »


Union Générale d’Editions (10/18), 1993

 


Très douce et tendre meurtrière,


que voulez-vous m’ôter la vie,


quand, madame, je vous aime en mon cœur,


bien plus sûrement que toutes les autres femmes ?


Croyez-vous que si, me tuez, jamais plus


je ne vous contemplerais ?


Non, j’ai de vous amour tant impérieux


que de mon âme votre âme est la dame.


S’il me doit male fortune


par vous, noble dame, advenir


mon âme doit vous redire


qu’elle servira là-haut votre âme comme une femme sans tache.

 


 
Traduit de l’allemand par Danielle Buschinger et Jean-Pierre Lefebvre


In « Anthologie bilingue de la poésie allemande »


Editions Gallimard (Pléiade), 1995

 

Du même auteur : 


« Des regards douloureux... » / « Leitlîche blicke... » (11/04/2018)


« Jamais, saisi d’une telle allégresse... » / « In sô hôher swebender wunne ... » (11/04/2019)


« Il arrive qu’un homme... » / « Von del elben wirt entsehen... »  (11/04/2020)


« Las !... » / « Owê,.. » (11/04/2021)


« Je crois qu’il n’y a personne... » / « Ich waene, nieman lebe... » (11/04/2022)


« Quelqu’un vit-il la noble dame... » / « Sach ieman die vrouwen... » (11/07/2024)

 


Vil süeziu senftiu toeterinne,

 

war umbe welt ir toeten mir den lîp,

 

und ich iuch sô herzeclîchen minne,

 

zwâre vrôuwe, vür elliu wîp?

 

Waenent ir, ob ir mich toetet,

 

daz ich iuch iemer mêr beschouwe?

 

nein, iuwer minne hât mich des ernoetet,

 

daz iuwer sêle ist mîner sêle vrouwe.

 

sol mir hie niht guot geschehen

 

von iuwerm werden lîbe,

 

sô muoz mîn sêle iu des verjehen,

 

dazs iuwerre sêle dienet dort als einem reinen wîbe.

 

 

Des Minnesangs Frühling.I


Nouvelle édition revue par H.Moser et H. Tervooren.


37ème édition, Stuggart, 1982


Poème précédent en moyen haut -allemand :

Oswald von Wolkenstein) : « Il se trouva qu’à l’âge de dix ans... » / « Es fügt sich, do ich was von zehen jaren alt... » (10/12/2024)

11 juillet 2025

Matsuo Bashō / 芭蕉 松尾 (1644 – 1694) : « Le printemps déjà... »

 

Bashō par Hokusai     

 

 

 

Le printemps déjà ?


Des monts sans noms


Perdus dans la brume

 

 

                 Haru nare ya


     na mo naki yama no


                     usugasumi

 

 

 


Adapté du japonais par André Vandevenne


in, « Bashô : Haïkus et notes de voyage /Nozarashi kikô »


Synchronique Editions, 92240 L’Hay-les-Roses, 2016


Du même auteur :


« Départ du printemps… » / 行春や鳥啼魚の目は泪 11/08/2014)  


« Elles vont mourir… » (16/07/2016)


« Usé par le temps… » (23/07/2017)


« Puissé-je à la rosée... » (16/07/2018)


« Des tréfonds de la pivoine... » (11/07/2019)


« De quel arbre en fleur... » (10/07/2020)


« Huitième lune... » (11/07/2021)


« Décidé... » (11/07/2022)


« Ce jour si long... » (11/07/2023)


« Oreiller d’herbe... » (11/07/2024)
 

10 juillet 2025

Motl Grubian (1909 – 1972) : Ma sœur

 

 

 

Ma sœur

 

 

Que la ténèbre fuie et la lumière soit


Comme lune trouant les nuages du soir.

 

 

Au tribunal j’ai vu apparaître ma sœur


Les cheveux coupés ras, visage sans couleur.

 

 

Elle va, dans ses mains elle porte ses tresses,


Elle traîne à ses pas un voile d’ombre épaisse,

 

 

La cendre qui s’étend comme un pont sur la terre,


Elle va sans jeter un regard en arrière,

 

 

Pieds nus dans la lumière ardente qui la pare,


Elle marche et s’approche à pas lents de la barre.

 

 

Rangs serrés sur leurs bancs voici les assassins.


Mon père ils t’ont poussé vers la fosse un matin. 

 

 

Au juge, traversant les flammes, ma voix crie :


- Enfants gazés, martyrs, mes frères ont péri.

 

 

Fumée des fours, voici venir le firmament


Et des monts de souliers et des pics d’ossements...

 

 

L’écheveau des cheveux en feu file à mes doigts


Brûlant mes yeux comme en cette nuit d’autrefois

 

 

Où l’on rasa ma tête, où l’on scruta ma face.


Reste-t-il de la vie une braise fugace ?

 

 

J’exige la justice. Un seul mot de la Loi :


Que la ténèbre fuie et la lumière soit.

 

 

 

 

Traduit du yiddish par Charles Dobzynski


In, « Anthologie de la poésie yiddish. Le miroir d’un peuple »


Editions Gallimard (Poésie), 2000
 

9 juillet 2025

Else Lasker – Schüler (1869 – 1945) : Mère / Mutter

 

Portrait d'Else Lasker-Schüler. Photographie prise peu de temps après son mariage en 1894 avec Berthold Lasker -Auteur anonyme,

 

 

Mère

 

Une étoile blanche chante un requiem


     Dans la nuit de juillet,


Il sonne comme un glas dans la nuit de juillet.


Et sur le toit la main des nuages,


La main caressante et humide de l’ombre


A la recherche de ma mère.


Je perçois ma vie mise à nue


Elle quitte le pays maternel,


Jamais ma vie n’avait été aussi nue,


Jetée ainsi en travers du temps,


Comme si je me fanais


Derrière la tombée du jour,


     Engloutie


Au milieu de vastes nuits,


Prisonnière de solitudes.


Mon Dieu ! Ma souffrance d’enfant !


... Ma mère s’en est retournée.

 

 

 

Traduit de l’allemand par Denis Toulouse


tn, Else Laker-Schüler : « Styx »


Editions La Barque, 35000 Rennes

 

 

Mutter

 

 

Ein weisser Stern singt ein Totenlied


     In der Julinacht,


Wie Sterbegeläute in der Julinacht,


Und auf dem Dach die Wolkenhand,


Die streifende, feuchte Schattenhand


Sucht nach meiner Mutter.


Ich fühle mein nacktes Leben,


Es stösst sich  ab vom Mutterland,


So nackt war nie mein Leben,


So in die Zeit gegeben,


Als ob ich abgeblüth


Hinter des Tages Ende,


     Versunken


Zwischen weiten Nächten stände,


Von Einsamkeiten gefangen.


Ach Gott ! Mein wildes Kindesweh !


... Meine Mutter ist  heimgegangen.

 

 

 

Styx


Axel junker Verlag, Berlin, 1902


Poème précédent en allemand : 


Rainer - Maria Rilke : Troisième élégie / Dritte Elegie (03/07/2025)

8 juillet 2025

William Blake (1757 – 1827) : Au matin / To morning

William Blake, 1807

 

 

Au matin

 

 

Ô vierge sainte ! vêtue du blanc le plus pur


Ouvre les portes d’or des cieux, et sors ;


Eveille l’aube qui dort dans le ciel


Que la lumière se lève sur les demeures de l’est, et apporte


La rosée du miel qui tombe du jour à son réveil.


O matin rayonnant, salue le soleil,


Ardent comme un chasseur prêt à la course,


Chaussé de tes cothurnes, parais sur nos collines.

 

 

 

Traduit de l’anglais par Madeleine L. Cazamian


In, William Blake : « Poèmes choisis »


Aubier, Editions Montaigne, 1963


Du même auteur : 


“ L’alouette, sur son lit de terre… / The Lark, sitting upon his earthy bed…” (28/04/2015)


Proverbes de l’Enfer / Proverbs of Hell (09/11/2018)


A l’étoile du soir / To the evening star (08/07/24)

 


To morning

 

 

O holy virgin ! clad in purest white,

 

Unlock heav’n’s golden gates, and issue forth ;


Awake the dawn that sleeps in heaven ; let light


Rise from the chambers of the east, and bring


The honied dew that cometh on waking day.


O radiant morning salute the sun


Roud’s like a huntsman to the chace, and whith


Thy buskin’d feet appear upon our hills.

 

 


Poetical sketches,


London, 1783


Poème précédent en anglais :


Maya Angelou: Travail de femme / Woman work (02/07/2025)

7 juillet 2025

Xavier Grall (1930 – 1981) : Incandescences

 

 

Incandescences

A Bernard

 

     Feux de mer, feux de terre


     terre de feu, vie de feu


     danse ! danse ! danse !


     aime : brûle ! brûle ! aime !

 

 

Brûlent les phares dans les démences éoliennes


feux chantants, antiennes


Ouessant ! Penmarc’h ! Sein


baou ! baou ! baou !


Lumières du monde qui chaque nuit renaît


dans le partage des eaux


âmes des trépassés mes beaux navires


allez ! allez ! allez !


car nos morts sont des feux


feu mon père


feu mon frère


mes feux errants


feux de Bretagne aux confins du paradis


brûlez ! brûlez ! brûlez !


Phares plantés pleine houle


menhirs couronnés de lueurs


pierres debout dans le buisson des vagues


phares, feux fraternels


pour les naufragés s’il vous plaît


brûlez ! brûlez ! brûlez !


et pour les vivants s’il vous plaît


envoyez votre musique de flammes


sur les cargos perdus

 

 

     Feux de mer, feux de terre


     terre de feu, vie de feu


     danse ! danse ! danse !


     aime : brûle ! brûle ! aime !

 

 

Quand ils passaient le Horn


ils juraient Dieu qu’ils n’y retourneraient plus


ils enverguaient nuit et froidure


avec de pauvres mains pleines de gerçures et de gelures


les albatros haubannés chantaient le libéra


et comme c’est triste un albatros qui meurt !


froid : enfer !


enfer froid !


transis ! transis ! transis !


damnés seront transis


froide haine ! froide peine !


le cœur en glace, l’esprit gelé


pas de flamme dans l’enfer


Ô l’éternelle bise !

 

 

Passé le Horn infernal


les marins retrouvaient l’épiphanie


des phares et des balises


et le Chili venait à eux comme une femme


Valparaiso !


finie l’obsession de l’iceberg à blanche gueule de satan


finie l’angoisse, finie !


bonjour paradis


et ils dansaient au bras des araucanes


la chaude, la marine, la bonne chanson

 

 

     Feux de mer, feux de terre


     terre de feu, vie de feu


     danse ! danse ! danse !


     aime : brûle ! brûle ! aime !

 

 

Salut mes entrées de ports armoricaines


merci mes abers où les carènes dansent le slow


salut mes havres doux comme des ventres


salut La Trinité ! salut Kerdruc ! salut Port Navalo


salut mes proues dans les soirs de septembre


ancre de miséricorde, salut !


salut mes caboulots ! salut mes malamoks !


mes oiseaux blancs, salut !

 

 

     Feux de mer, feux de terre


     terre de feu, vie de feu


     danse ! danse ! danse !


     aime : brûle ! brûle ! aime !

 

 

Et ces feux de terre dans la cambrure des landes


brasiers réveillant l’âme des fermes


hou ! hou ! le vent ! le vent !


Ô gloire des braseros par les hivers ruraux


ne laisse pas tes larmes geler dans ta pierre


ouvre ! ouvre ta porte au vagabond et au loriot


aime ! brûle ! aime !


il faut aller jusqu’au bout de l’amour et du feu


prends tout, aime tout


de ton feu ne soit jamais avare


Tan ! tan ! tan !


feu ! feu !feu ! 


craquent les fagots au noir pignon des chaumines


et le feu se met à parler du soleil et des astres


aux enfants en sabots, aux meubles de merisier


et voilà que les rêves cheminent.

 

 

Feux de tourbes


écobuages


ainsi se parlent les hameaux dans le bocage


et flamboient les persiennes aux torches des aurores


Feux des bergeries


feux de hautes laines


feux forains, feux bohémiens


et vient la Saint-Jean d’été


et la fête du feu


solstice ! solstice ! solstice !


dansez mes arbres ! dansez mes haies !


brûlez, ô chênes ! incendiez-moi ces ville puantes


mes feux, allez ! allez !


feux fols, feux follets, feux fols,


incendiez-moi ces Babylones qui ne savent ni le blé


ni la mer


brasillez ! brasillez ! mes feux follets


solstice ! solstice : solstice !

 

 

     Feux de mer, feux de terre


     terre de feu, vie de feu


     danse ! danse ! danse !


     aime : brûle ! brûle ! aime !

 

 

Le feu est réellement paroles de l’Esprit


feu de Dieu, oui ! feu de Dieu, superbe langue.

 

 

La Sône des pluies et des tombes, 


Editions Kelenn,29215 Guipavas,1976


Du même auteur : 


Solo (07/07/2014)


Allez dire à la ville (0707/2015)


  Les Déments (07/072016)


Ne me parlez pas de moi (07/07/2017)


Ballade de la mort lente (07/07/2018)


Son âme dans le couloir (07/07/2019)


Ci-gît Robin (07/07/2020)


Le rituel breton (07/07/2021)


J’aimerais partir (07/07/2022)


Amour Kerné (07/07/2023)


La Fille des Aulnes (07/07/2024)
 

6 juillet 2025

Philippe Jaccottet (1925 - 2021) : Lever du jour

Philippe Jaccottet chez lui, à Grignan, en novembre 2002 © Maxppp - Fabrice Anterion/Le Dauphiné Libéré

 

 

Lever du jour

 

1

 

Au lever du jour


Est mêlé du sang

 

 

La plus douce blancheur


m’est apparue latroublée

 

 

La source de l’aube


est un lait plein de trouble 

 

 

2

 

Le tout commencement


est dans l’eau pure


une flamme qui monte

 

 

Sous la peau de l’air endormi


un rêve qui prend feu

 

 

3

 

Ce mouvement presque invisible


sous la brume


comme si là-bas


s’envolaient des oiseaux

 

 

4

 

Heure où la lune s’embue


à l’approche de la bouche


qui murmure un nom caché

 

 

au point qu’on y distingue à peine


le peigne et la chevelure.

 

 

5

 

Emue


et bientôt blessée

 

 

Limpide


et bientôt laiteuse

 

 

Eclose


et bientôt sanglante


Ô beauté qui soupire après les flèches


toutes flèches dedans dehors


mélange de flèches, de plumes


et de soupirs

 

 

rosée brûlante d’être bue

 

6

 

Ivre de soif et de honte


comme être blessée la comble


comme elle sombre exaltée !

 

 

Quel feu entraîna la fonte


de cette languide neige ?

 

 

7

 

Partout changée en pivoine


pour être mieux respirée

 

 

Il n’est plus un repli d’elle


qui ne soir en proie au rapace

 

 

8

 

Bouche rapide, hardie


égarée au lever du jour


comme on peut voir sa torche


propager l’incendie

 

 

brûlure plus bondissante que le lièvre


et plus vive que les ruisseaux

 

 

9

 

Est-ce la lumière vraie


avec ces veines ardentes


ces dents de fauve ?

 

 

Est-ce la lumière juste


qui mord en éblouissant ?

 

 

Et peut-elle être éternelle


ainsi vêtue de larmes


et de soupirs ?

 

 

Quels yeux nous faudra-t-il


et quelle patience


ou quelle cécité plutôt soudaine


pour voir le jour ?

 

 

 


Airs, poèmes (1961 – 1964)


Editions Gallimard, 1967


Du même auteur :


« … qu’est-ce qu’un lieu ? » (27/06/2014)

 
 Oiseaux, fleurs et fruits (27/06/2015)


Oiseaux invisibles (27/06/2016)


Parler (03/07/2017)


« Dis encore cela... » (03/07/2018)


A la lumière d’hiver (03/07/2019)


Monde (03/07/2020)


Autres chants (03/07/2021)


Leçons (03/07/2022)


Fin d’hiver (03/07/2023)


On voit (06/07/2024)
 

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