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Le bar à poèmes

16 octobre 2024

Georges Perros (1923 -1978) : « Seul je me sens trop immortel... »

 

Seul je me sens trop immortel

lucide dans un musée Grévin

du dérisoire. C’est en vain

que j’écris pour plus de présence

en moi-même. Et si je parle

au hasard de folles rencontres

je suis le seul à les rendre ainsi

je sens bien le ventre sur zinc

que je perds mon temps mais lequel

en avons-nous seulement un

Vice de ma part ce besoin

d’aimer ne sachant que top bien

quel désert va se déclarer

au milieu de la phrase clé

de connaissance anecdotique

car il faut toujours se quitter

En aurai-je abattu des instants

comme on tue un lièvre en nature

à bégayer par politesse

pour laisser à l’autre le goût

de continuer la parlote

perles qu’on enfile séchant

sur pied  ainsi que ces modèles

à la merci du peintre Dieu

qui les défigure au couteau

Il faut bien rentrer cependant

mais où avec qui et pourquoi ?

Buvons ensemble à la santé

de nos mutuelles survies

comment çà va comment vas-tu

où irions-nous sinon ensemble

au cimetière du coin là

où chacun pousse sa complainte

en sourdine chacun pour soi

enfin libre d’être personne

dans l’éternel vagabondage

car l’amour a bien le mystère

en sa peau mais l’amour de quoi ?

De rien. Enfants de rien nous sommes

corps mous à sécher dans le vent

donnant nos langues à des chats

qui l’ont perdue depuis longtemps

la leur promise au chocolat

De mutisme leur œil de verre

mi-fermé moustache prenant

le son d’électricité tropicale

Ils remontent le temps pour nous

Nos corps se dressent dans le noir

Disent non au jour de la nuit

à la nuit du jour Disent oui

à cet instant ni mort ni vie

d’amour peut-être l’océan

fait la navette de l’ennui.

 

 

Œuvres

Editions Gallimard (Quarto),2017

Du même auteur :

 « On meurt de rire… » (10/08/2014)

Marines (1) (10/08/2015)

« Les guerres n'est-ce pas... » (16/10/2016)

 « Il y a un bruit près de chez moi… » (16/10/2017)

« Il n’y a rien... » (16/10/2018)

« Ces envies de vivre ... » (16/10/2019)

« Cette légère envie de se saouler... » (16/10/2020)

L’âme (16/10/2021)

Huit poèmes (16/10/2022)

Marines (2) (16/10/2023)

15 octobre 2024

Tawfiq Sayigh (1923 – 1971) / توفيق عبد الله صايغ : « Ce fantôme qui ne me lâche pas... »

 

Ce fantôme qui ne me lâche pas

que je connais depuis que je connais la vie,

n’y-a-t-il pas  une patrie qui l’appellerait dans le sommeil

et il m’abandonnerait pour elle ?

N' y-a-t'il pas un coup de trompette?

auquel il donnerait  accord ? 

n’y-a-t-il pas un temple pour qu’il porte la bure ?

N’y-a-t-il pas le frémissement d’une silhouette

pour qu’il se torde, dans l’isolement, une heure le soir ?

J’ai déchiré mon passeport quand j’y ai vu sa photo avec la mienne,

J’ai changé mon prénom quand je l’ai usurpé,

j’ai renié ma patrie le jour où il y a adhéré au même parti que moi.

J’ai fui, j’ai disparu,

je me suis insinué la nuit dans le désert,

j’ai laissé ma barbe pousser,

j’ai gravé un tatouage sur mon visage ;

puis dans un pays étranger

je me suis étendu et j’ai souri.

Il s’est dressé devant mes yeux, il a ricané.

Il est avec moi quand je le vois,

et quand je ne le vois pas

comme une bosse il est avec moi.

...............................................................

 

                                                                                            (Trente poèmes)

 

Traduit de l’arabe par Saleh Diab

in, « Poésie syrienne contemporaine. Edition bilingue »

Le Castor Astral, éditeur, 2018

14 octobre 2024

Kakinomoto No Hitomaro / 柿本 人麻呂 (662 – 710) : « Dans la baie d’Iwami... »

Peinture  (encre, couleur et or sur soie) de Sumiyoshi Gukei (1631 - 1705)

 

 

dans la baie d’Iwami

                                           près du cap de Kara

parmi les pierres englouties

                                        pousse l'algue miru des eaux profondes

et sur la grève rocheuse

                                           pousse la luisante liane d’eau

comme la liane de mer oscillant

                                     elle dormait contre moi

ma femme que j’aime d’un amour

                                     profond comme le miru dans la mer

hélas que peu de nuits

                                       nous avons été ensemble

je suis parti m’arrachant d’elle

                                       comme la vigne du mur

mon cœur me fait mal

je me retourne

                                       mais dans la chute confuse

des feuilles rouges

                                       sur le mont Watari

je ne peux voir

                                       mon amour saluer de ses manches

maintenant la lune

                                       traverse la faille des nuages

au-dessus du mont Yakami

                                       et disparaît

ainsi que celle que je regrette

                                       le soleil

s’enfonce sous le ciel

                                       je me croyais

un homme courageux

                                       mais les manches de mon vêtement

sont trempées de larmes

 

(envois)

 

Mon cheval noir

            galope rapide

                    je suis venu laissant au loin

   la maison de mon amour

               en ce lieu où les nuages s’attardent

 

dans la montagne d’automne

            feuilles rouges qui tombez

                    un moment au moins

   cessez de voler confusément

               que je puisse voir sa maison

 

Traduit du japonais par Jacques Roubaud

In, Jacques Roubaud : « Mono no aware, Le Sentiment des choses »

Editions Gallimard, 1970

Du même auteur :

 L’océan du ciel (30/09/2019)

Sur la route de Karu (15/09/2016)

13 octobre 2024

Andréï Tourguéniev / Андре́й Ива́нович Турге́нев (1781 – 1803) : « L’angoisse est là... »

 

à Vassili Joukovski

 

L’angoisse est là, qui me torture,

Laissant l’esprit inconsolé ;

La vie revient sur la nature

Mais ton ami est isolé

Dans le printemps riant du monde.

Il erre seul et cherche en vain

A être libre une seconde,

A être heureux avant la fin.

Un homme heureux ne peut comprendre,

Ami, les larmes du malheur ;

Mais qui a connu la douleur,

La même angoisse, il sait l’entendre ;

S’il s’était cru heureux un jour,

Et s’il perd tout, et sans retour,

Souffrant les coups d’un sort contraire,

Jour après jour, toujours plus fort,

Sans voir de fin à ses misères,

S’il est voué à mille morts,

Il sait ce qu’est cette souffrance,

Et s’il répond par le silence,

Ce silence est un réconfort.

                                                  1803

 

 

Traduit du russe par André Markowicz,

In, « Le soleil d’Alexandre. Le cercle de Pouchkine 1802 – 1841 »

Actes Sud, éditeur,2011

Du même auteur : « L’esprit te garde illuminé... » (13/10/2023)

12 octobre 2024

Philippe Desportes (1546 – 1606) : « Ô bien heureux... »

    

 

Ô bien heureux qui peut passer sa vie

Entre les siens franc de haine et d'envie,

Parmi les champs, les forêts et les bois,

Loin du tumulte et du bruit populaire,

Et qui ne vend sa liberté pour plaire

Aux passions des princes et des rois !



     Il n'a souci d'une chose incertaine ;

Il ne se plaît d'une espérance vaine

Nulle faveur ne le va décevant,

De cent fureurs il n'a l'âme embrasée

Et ne maudit sa jeunesse abusée

Quand il ne trouve à la fin que du vent.



     Il ne frémit quand la mer courroucée

Entre ses flots contrairement poussée

Des vents émus soufflant, horriblement,

Et quand la nuit à son aise il sommeille

Une trompette en sursaut ne l'éveille

Pour l'envoyer du lit au monument.



     L'ambition son courage n'attise ;

D'un fard trompeur son âme ne déguise ;

Il ne se plaît à violer sa foi ;

Des grands seigneurs l'oreille il n'importune ;

Mais, en vivant content de sa fortune,

Il est sa cour, sa faveur et son roi.
 


     Je vous rends grâce, ô déités sacrées

Des monts, des eaux, des forêts et des prées,

Qui me privez de pensers soucieux,

Et qui rendez ma volonté contente,

Chassant bien loin ma misérable attente

Et les désirs des coeurs ambitieux.



     Dedans mes champs ma pensée est enclose ;

Si mon corps dort, mon esprit se repose,

Un soin cruel ne le va dévorant.

Au plus matin la fraîcheur me soulage ;

S'il fait trop chaud je me mets à l'ombrage,

Et s'il fait froid je m'échauffe en courant.

 

     Si je ne loge en ces maisons dorées,

Au front superbe, aux voûtes peinturées

D'azur, d'émail et de mille couleurs,

Mon oeil se plaît des trésors de la plaine

Riche d'oeillets, de lis, de marjolaine

Et du beau teint des printanières fleurs.



     Dans les palais enflés de vaine pompe,

L'ambition, la faveur qui nous trompe,

Et les soucis logent communément ;

Dedans nos champs se retirent les fées,

Reines des bois à tresses décoiffées,

Les jeux, l'amour et le contentement.



     Ainsi vivant, rien n'est qui ne m'agrée :

J'ois des oiseaux la musique sacrée,

Quand au matin ils bénissent les cieux,

Et le doux son des bruyantes fontaines

Qui vont coulant de ces roches hautaines

Pour arroser nos prés délicieux.



     Que de plaisir de voir deux colombelles,

Bec contre bec, en trémoussant des ailes,

Mille baisers se donner tour à tour,

Puis, tout ravi de leur grâce naïve,

Dormir au frais d'une source d'eau vive,

Dont le doux bruit semble parler d'amour !



     Que de plaisir de voir sous la nuit brune,

Quand le soleil a fait place à la lune,

Au fond des bois les nymphes s'assembler,

Montrer au vent leur gorge découverte,

Danser, sauter, se donner cotte-verte,

Et sous leurs pas tout l'herbage trembler !



     Le bal fini je dresse en haut la vue,

Pour voir le teint de la lune cornue,

Claire, argentée, et me mets à penser

Au sort heureux du pasteur de Latmie ;

Lors je souhaite une aussi belle amie,

Mais je voudrais en veillant l'embrasser.



     Ainsi la nuit je contente mon âme,

Puis quand Phébus de ses rais nous enflamme

J'essaye encor mille autres jeux nouveaux ;

Diversement mes plaisirs j'entrelace,

Ores je pêche, or' je vais à la chasse,

Et or' je dresse embuscade aux oiseaux.



     Je fais l'amour mais c'est de telle sorte

Que seulement du plaisir j'en rapporte,

N'engageant point ma chère liberté ;

Et quelques lacs que ce dieu puisse faire

Pour m'attraper, quand je m'en veux distraire,

J'ai le pouvoir comme la liberté.



     Douces brebis, mes fidèles compagnes,

Haies, buissons, forêts, prés et montagnes,

Soyez témoins de mon contentement !

Et vous, ô dieux, faites, je vous supplie,

Que cependant que durera ma vie

Je ne connaisse un autre changement.

 

Bergeries

Du même auteur :

« Las. Je ne verrai plus… » (16/02/2015)

« Rosette, pour un peu d'absence… » (24/02/2017)

« Sommeil… » (24/02/2018)

« Depuis le triste point de ma frêle naissance... » (24/02/2019)

« Icare est chu ici... » (24/02/2020)

Prière au sommeil (24/02/2021)

« Un doux trait de vos yeux... » (12/10/2023)

« Ô bien heureux... » ((12/10/2024)

11 octobre 2024

Anna-Elisabeth de Noailles (1876 - 1933) : La vie profonde

Anna de Noailles dans son salon en 1913. Photo de Jean Desboutin

 

La vie profonde

 

Être dans la nature ainsi qu'un arbre humain,

Étendre ses désirs comme un profond feuillage,

Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage,

La sève universelle affluer dans ses mains !



Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,

Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,

Et goûter chaudement la joie et la douleur

Qui font une buée humaine dans l'espace !



Sentir, dans son coeur vif, l'air, le feu et le sang

Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre.

- S'élever au réel et pencher au mystère,

Être le jour qui monte et l'ombre qui descend.

 

Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,

Laisser du coeur vermeil couler la flamme et l'eau,

Et comme l'aube claire appuyée au coteau

Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise...

 

 

Le cœur innombrable

Editions Calmann-Lévy, 1901

De la même autrice :

T'aimer… » (08/10/2016)    

Il fera longtemps clair ce soir (08/10/2017)

Offrande à la nature (07/10/2018)

L’Empreinte (11/12/2019)

« Si je n'aimais que toi en toi... » (19/07/2021) 

10 octobre 2024

Gaucelm Faidit (vers 1150 – vers 1205) : « Triste chose est... » / « Fortz chaua e... »

 

Triste chose est que le plus grand dam

Et le plus grand dol, las ! qu’ai jamais eu,

Et tout ce dont sans cesse vais pleurant,

L’ai à dire en chantant et dans mes plaintes ;

Celui qui fut de vaillance chef et père,

Le valeureux Richard, roi des Anglais,

Est mort ; ah ! Dieu quelle perte, quel revers

Etrange mot, si sauvage à ouïr !

Bien à cœur dur, cil qui le peut souffrir.

 

Mort est le roi, et ont passé mille ans

Qu’onc un tel preux ne fût, ni qu’on le vît,

Ni aucun qui fût à sa ressemblance,

Si brave, si preux, si hardi, si doué ;

Qu’Alexandre, le roi qui vainquit Darius,

Ne crois qu’ait été aussi généreux,

Ni onc Charles et Artus si valeureux,

Car à tout le monde s’imposait pour vrai,

Aux uns par terreur, aux autres par bonté.

 

M’émerveille qu’en ce monde grossier

Il peut rester un homme sage ou courtois,

Puisque ne valent beaux dits ni faits de prix ;

Et donc, pourquoi tant d’efforts, peu ou prou ?

La mort nous a montré ce qu’ell’ peut faire,

D’un seul coup a le meilleur du monde pris,

Tout l’honneur, toutes les joies, tous les biens,

Et puisque rien ne lui peut échapper,

Bien devrait-on moins craindre de mourir.

 

Las ! Seigneur, roi vaillant, que deviendront

Désormais les faits d’armes, les grands tournois,

Les riches cours, les beaux dons magnifiques ?

Plus n’êtes là, vous qui étiez le chef ;

Que deviendront, livrés à la douleur,

Ceux qui s’étaient à votre service mis,

Qui attendaient de vous leur récompense ?

Que feront ceux, s’ils ne se font périr,

Qu’aviez à grande richesse élevé ?

 

Longue douleur et une triste vie,

Sans cesse dol, telle est leur destinée,

Et Sarrazins, Turcs, Païens er Persans,

Qui vous craignaient, plus qu’aucun homme au monde,

Accroîtront leur orgueil et leur pouvoir

Que plus tard sera le Sépulcre conquis.

Mais Dieu le veut, car s’il ne le voulait,

Vous viveriez Seigneur, et sans faillir

De Syrie les eussiez obligés à fuir.

 

Désormais plus d’espérance n’aurai

Que Roi ou princes ne le viennent recouvrer,

Mais tous ceux qui votre place prendront,

Devront garder votre amour de la gloire

Et souvenir de vos deux vaillants frères,

Le Roi jeune et noble comte Geoffroy,

Et qui en place restera de vous trois,

Bien doit avoir cœur haut et âme ferme

Pour commencer et finir grands beaux faits.

 

Ah ! Seigneur Dieu, qui êtes vrai pardon,

Vrai Dieu, vrai homme, vraie miséricorde,

Pardonnez-lui, car il en a besoin,

Ne lui tenez compte, Seigneur, de ses fautes,

Rappelez-vous qu’il partît vous servir.

 

 

Adaptée de l’occitan par France Igly

In, « Troubadours et trouvères »

Pierre Seghers, 1960

Du même auteur : « Un chevalier reposait... » / « Us cavaliers si jazia... » (10/10/2023)

 

 

Fortz chaua e que tot lo major dan

el major dol, la! q'ieu anc mais agues,

e so don dei totztemps plaigner ploran,

m'aven a dir en chantan e retraire –

Car cel q'era de valor caps e paire

lo rics valens Richartz, reis dels Engles,

es mortz - Ai Deus! cals perd'e cals dans es!

je ne peux pas estrainer motz, je ne peux pas greus ad auzir !

Ben a dur cor totz hom q'o pot sofrir.



Mortz es lo reis, e son passat mil an

canc tant pros hum non fo, ni no-l vi res,

ni mais non er nulls hom del sieu sembllan

tant larcs, tant rics, tant arditz, tals donaire,

q 'Alixandres, lo reis qui venquent Daire,

non cre que tant dones ni tant meses,

ni anc Karles ni Artus plus valgues,

c'a tot lo mon si fetz, qui-n vol ver dir,

als us doptar et als autres grazir.



Meravill me del fals segle truan,

co-i pot estar savis hom ni cortes,

puois re no-i val beill dich ni faich prezan,

e doncs per que s'esfors om, pauc, ni gaire ?

q'eras nos a mostrat Mortz que pot faire,

q'a un sol colp al meillor del mon pres,

tota l'onor, totz los gaugs, totz los bes ;

e pos vezem que res no-i pot gandir,

ben deuri' hom meins doptar a morir !



Ai valens reis seigner, e que faran

Oimais armas ni fort tornei espes,

Ni richas cortz ni beill don aut e gran,

Pois vos no.i etz, qui n'eratz capdelaire,

Ni que faran li liurat a maltraire,

Cill que s'eran en vostre servir mes,

C'atendion que.l guizerdos vengues!

Ni que faran cill, qe.is degran aucir,

C'aviatz faitz en grand ricor venir



Longa ira et avol vid' auran,

E totztemps dol, q'enaissi lor es pres!

E Sarrazin, Turc, Paian e Persan,

Qe.us doptavon mais c'ome nat de maire,

Creisseran tant en orguoil lor afaire,

Qe.l Sepulcres n'er trop plus tart conques –

Mas Dieus o vol! que, s'el non o volgues,

E vos, seigner, visquessetz, ses faillir,

De Suria los avengr' a fugir.



Oimais no.ia esperanssa qe.i an

Reis ni princeps que cobrar lo saubes

Pero, tuich cill qu'en luoc de vos seran

Devon gardar cum fotz de pretz amaire,

Ni cal foron vostre dui valen fraire,

Lo Joves Reis el cortes Coms Jaufres!

Et qui en luoc remanra, de vos tres

Ben deu aver aut cor e ferm cossir

De far bos faitz e de socors chausir.



Ah ! seigneurs dieux! vos q'etz vers perdonaire,

vers Dieus, vers hom, vera vida,merci!

Perdonatz li, que ops e cocha l'es,

e no gardetz, Seigner, al sieu faillir,

e membre vos cum vos anet servir!

Poème précédent en occitan :

Marcela Delpastre : Poéie / Poesia (01/04/2024)

9 octobre 2024

Christine de Pisan (1361 – 1430 ?) : « Me refuser suffit... » / « A vous est du reffuser... »

 

3  L’amant

 

Me refuser suffit

Et vous montrer cruelle,

Mais non pas de m’éloigner

De l’amour, ma chère dame

Que je vous ai juré sans fin

Et qui m’est si précieux

Car c’est à la mort, à la vie,

 

Je consens à y passer

Mes jours douloureux, quelque visage

Que vous m’offriez, je vous le dis

Sans tricher, Je mourrais plutôt

Que d’abandonner :

Cet amour ne pourrait m’être ravi

Car c’est à la mort, à la vie.

 

Et si en vain j’y perds mon temps,

Et que, malgré les regards, la manière

Et les bontés dont je puisse user,

Je n’obtienne rien de vous

Qui me donnez la mort,

De m’en retirer, je n’ai envie,

Car c’est à la mort, à la vie.

 

Prince, est-ce juste que l’on me frappe

A mort, pour mon amour sans faille ?

Il faut que j’en meure

Car c’est à la mort, à la vie.

 

Traduit de l’ancien français par Jacqueline Cerquiglini-Toulet

In, Christine de Pizan : « Cent ballades d’amant et de dame »

Editions Gallimard (Poésie), 2019

De la même autrice :

La fille qui n’a point d’ami (03/12/2015) 

« Seulette suis… » (03/12/2016)

Je ne sais comment je dure (03/12/2017)

« Apprenez-moi, doux ami... » (16/03/2019)

Je ne peux plus vous cacher... » / « Plus ne vous puis celer ... » (09/10/2023)

 

L’amant  III

 

A vous est du reffuser

Assez, er de m’estre fière,

Mais non pas de me ruser

De l’amour, ma dame chiere

Qu’ai à vous, tout me soit chiere,

Sans ja departir, pleuye,

Car c’est a mort et a vie.

 

Et m’agree d’y user

Mes dolens jours, quelque chiere

Que me faciez, sans ruser

Le vous dy : plus tost en biere

 

Seroie qu’en fusse arriere

N’estre n’en pourroit ravie,

Car c’est a mort et a vie.

 

Et c’est en vain y puis muser

Et que d’œil ne de manière

Ne de bien dont puisse user

Chose n’aye que je quiere

De vous, par qui fault qu’acquiere

Mort, n’ay d’en retraire envie

Car c’est a mort et a vie.

 

Prince, est ce droit qu’on me fiere

A mort pour amour entière

Porter ? Fault que j’en devie,

Car c’est a mort et a vie.

8 octobre 2024

Gulten Akin (1933 – 2015) : Cantique du fer à la rouille / Demirle pas arasinda ilahi

 

Cantique du fer à la rouille

 

Du narcisse à la rose d’automne

Depuis cinq ans cinq longues années

De la neige à la pluie

Depuis cinq ans cinq longues années

Du froid à l’humidité

Du fer à la rouille

De Seyran à Mamak

Depuis cinq ans cinq longues années

 

Je connais le bruit du fer

Le bruit du verrou que l’on tire, de la porte qu’on pousse

Le bruit cruel de ce qui entrave mains et épaules

Depuis cinq ans cinq longues années

 

Si l’on avait planté un saule

Son ombre emplirait l’intérieur des maisons

Le chagrin est ce saule pleureur

Que j’ai surveillé et laissé croître sur le sol de mon cœur

 

Depuis cinq ans cinq longues années

Ta voix s’est affaiblie, tu es resté sur le qui-vive

Nous parlons par bribes de mots sélectionnés

Essorés sur un fil

Et seulement comme ça

Nous parlons, si c’st cela parler

 

Pas un détour ni une couleur, pas un accent chaleureux

- Comment vas-tu ?

- Ca va

Depuis cinq ans cinq longues années

J’eusse aimé t’appeler

Mon intrépide, mon unique pilier de ma maison

J’ai réfréné ces mots, je ne veux pas qu’ils entendent

Je sentais bien que ma voix était cassée

 

Un jour viendra un jour viendra

Un jour je le frotterai et le ferai resplendir

« Je sais

Qu’il ne se taira pas l’oiseau qui niche dans mon cœur démoli »

 

 

Traduit du turc par Jean Pinquié et Levent Yilmaz

In, « Anthologie de la poésie turque contemporaine »

Editions Publisud, 1991

 

Demirle pas arasinda ilahi

 

Negisle güz gülü arasinda

Beş yildir beş uzun yildir

Yağmurka kar arasinda

Beş yildir beş uzun yildir

Ayazla çiy arasinda

Demirle pas arasinda

Seyran’la Mamak

Beş yildir beş uzun yildir

 

Taniyorum  sesini demirin

Açilan sürgünün itilen kapinin

Eldeki omuzdakinin

Aman dinlemez sesini

Beş yildir beş uzun yildir

 

Birisi bir sögüt dikse

Gölgesi basardi evlerin içini

Bir salkim sögüttü baktim büyüttüm

Yüregimin topra ğinda hasreti

 

Beş yildir beş uzun yildir

Sesin örselenmiş duruşun tetikte

Bizim için seçilip ayrilmiş

Ipte kurutulmuş sözcüklerle

Yamiz öyle sözcüklerle

Konuşurzuz, konuşmak denirse

 

Ne bir kivrim, ne renk, ne sicak bir hece

- Nasilsin

- iyiyim

Beş yildir beş uzun yildir

Desemdi

Koça un, duyarlar, istemem.

Baktim ki sesim buruşmuş

 

Geli bir gün gelir bir gün

Bir gun siler parlatirim

« Bilirim

Susmavacak kalb-i virammdaki kuş »

 

Poème précédent en turc

Mehmet Yashin  : Dattiers / Hürmalar (18/06/2023)

7 octobre 2024

Monica Mansour (1946 -) : 1968

Monica Mansour  en 2011. Photo Dominique Jullian 

 

1968

 

nous n’avons pas une mauvaise mémoire

mais une mémoire chacun

pour revenir en arrière

et comprendre qui nous a mis

cette révolte entre les mains

qui nous a élevés si seuls

avec l’amour aussi entre les mains

grenade rouge tant elle est mûre

plusieurs années et une mémoire en chacun

une mémoire chacun

 

 

Traduit de l’espagnol par Adrien Pellaumail

In « Monica Mansour. Poèmes », 

Edition Caractères, Paris / Ecrits des Forges, Québec, 2009

De la même autrice :

Lumière / Luz (28/01/2015)

« moi je dis que le monde... » / « yo digo que el mundo... » (07/10/2021)

« Je veux écrire des mots d’oiseaux... » / « quiero escribir palabras de ave... » (07/10/2022)

Silences de terre / Silencios de tierra (07/09/2023)

 

1968

 

no tenemos mala memoria

sino una memoria cada uno

para volver  atrás

y entender quién nos puso

esta rebeldía entre las manos

quién nos criо́ tan solos

con el amor también entre las manos

granada roja de tan madura

tantos años y una memoria en cada uno

una memoria cada uno

 

Con la vida al hombro

Editorial Katun (Mexico), 1985

Poème précédent en espagnol :

Claudio Rodríguez : Un évènement / Un suceso (04/10/24)

Le bar à poèmes
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