Sentence sans paroles
Dans la ville où le jour et l’an muaient
si tu passas tout juste deux semaines
neiges divises brumes que promènent
l’hiver à l’occasion ne refluait
Ou la mémoire fauve conspuait
ou pour nos vieux ancêtres notre haine
à vivre en rêve pas en vie humaine
à nous dissoudre d’un réveil fluet
Rien à toucher à voir et guère à dire
que l’art est glauque et la parole pire
tourne la page l’âme est aux abois
Pas d’autres commentaires tu décides
j’entre à jamais dans cette chambre vide
libre de crainte tu poursuis ma voie
Libre de crainte tu poursuis ma voie
en route vile au bord d’un précipice
où des chevaux nocturnes retentissent
un fleuve enfui armure col étroit
Tes mots sont étouffés sur les parois
de glace lune abrupte subreptice
ils couvrent noirs les pierres qu’ils noircissent
ils cabrent les chevaux ils crient l’effroi
Crinières des forêts des roches vives
le mur bouillonnant engloutira la nuit
répercutant une aube vacillante
Précipitée dans une vie sans rives
la vieille mort t’absout pour aujourd’hui
peut-être pas finalement consciente
Peut-être pas finalement consciente
recouvre-moi oublie je ne suis plus
rien dans l’été pourri qu’aura voulu
dame-nature notre mère et tante
L’aube moisie fayote sur les sentes
dépiaute les dépouilles du reclus
les plumes du pivert le jour s’est plu
faisant la belle reine déficiente
La cruche le raisin le pain porté
dont le piéton perpétua l’usage
ruines des dieux la terre aux vieilles lois
Le ciel s’effacera de l’œil bleuté
ne découvrant ni larmes ni nuages
inapte à maîtriser le gouffre toi
Inapte à maîtriser le gouffre toi
au loin des tours tes pavillons s’installent
la vague ne viendra fondamentale
cernée d’amies crieuses frêles joies
N’accuse pas l’été qui s’atermoie
les siècles entassés mon âme étale
si tu réveilles dans l’issue fatale
les fleuves bouillonnants les chants de soie
Vision nouvelle dans un cadre antique
loin des montagnes des replis pontiques
où te morfonds gravée munie d’écrins
Et tu devines juste un vent qui vente
que tu reposes comme le bon grain
dorénavant ni morte ni vivante
Dorénavant ni morte ni vivante
la voûte bleue dans le château désert
est prête à mettre en phrases le concert
nommant l’étoile dans le soir filante
Dans l’escalier où la forêt se plante
l’interdiction fait sa dentelle en fer
sans armes lourde de son propre enfer
secret polichinelle mise en vente
La repentance les aveux sans nom
ne pourront pas changer cet ordre rond
globalité brillante impérative
En vain pour moi tel monstre qui aboie
en vain l’horloge et la locomotive
au prisonnier du feu des astres froids
Au prisonnier du feu des astres froids
la rose en fleur l’esbroufe des tavernes
syllabes non liées ne me décerne
ni les lauriers ni d’autres si je crois
La nuit fera la veuve chaque proie
qui se transforme en nous quand l’or nous cerne
ma route quoi c’est la parole terne
le cœur incohérent mon sombre choix
Que les baudruches de nos premiers songes
s’élèvent dans la brume que prolonge
ce faux demi-sommeil ce presque faux
désengourdissement que mon défaut
demeure laisse-moi ces consolantes
pour l’indicible clés d’énigmes lente
Pour l’indicible clé d’énigmes lentes
La route en fer nous mène loin
La canne d’encre ne soulage point
La page aura son poids la virulente
L’automne l’étrangère la démente
laisse envolés les bataillons témoins
nuages grisonnants son triste soin
démêle fait des nattes parlemente
Tu préféras la guerre aux cœurs souillés
et l’incommensurable quenouillée
tendresse ma fileuse clandestine
S’affole en plaine assassinée sanguine
je sors de cette vie de pékinois
sentence sans paroles vient ta voix
Sentence sans paroles vient ta voix
soit en furie soit bénissant les choses
vent des collines qui la teint de rose
et lui miroite le ruisseau pantois
Hérauts d’hiver en marche dans les bois
rossignolantes sans métamorphoses
mes teintes s’éparpillent se déposent
sapins de l’encre hêtre qui pourproient
Toi satisfaite de la route trouble
tu fais la fière mais ton jeu est double
légère un vent frivole adieu s’asseoir
Au seuil mauvais de la taverne soir
si vous saviez si si je suis méchante
et je moissonne les saisons couchantes
Et je moissonne les saisons couchantes
vient le chanteur l’orchestre les signaux
l’agneau que porte le porteur d’agneaux
service à la Noël et l’homme chante
Le sort du verbe juste m’épouvante
chez les braillards les chiches les corniauds
comme ils ne cachent leurs replis faciaux
leur masque affiche quelque mort violente
Ô science du langage tu régis
le feu qui couve le restant de cire
le gouffre jaune pourpre la bougie
Scintille sans écho résiste étire
consume-toi sans trace te rongeant
de flamme droite le reflet changeant
De flamme droite le reflet changeant
le port s’est emparé des monts qu’il toise
leçon des siècles fermement narquoise
pour te complaire scribes diligents
Les brumes n’auront rien nous assiégeant
sans la dorure ancienne la turquoise
ni les abeilles vides qui dégoisent
festin de crénelures dur argent
Là sous l’emprise vieille des décombres
la plume trace jusqu’à la pénombre
qui te protège et t’offre le matin
La page bleue ne vole plus altière
les vents reviennent vers leur bon latin
la nuit donne à mon ombre sa matière
La nuit donne à mon ombre sa matière
la caverneuse insiste vit toujours
qu’ils errent sur la lune les balourds
mes faux miracles mes visions plénières
Que la diversité de nos litières
demeure l’une où quelque fleuve sourd
la houle c’est la mer sans les contours
rien ni personne on s’y voudrait poussière
Toi découvrant la horde de mes rats
ils fusent comme ils grouillent parviendras-
tu à les fuir dans la lumière dense
La foudre en moi soudain qui refluait
unique pour nous deux la récompense
dans les murailles et les murs muets
Dans les murailles et les murs muets
fréquentes ma terreur et ma détresse
en nœud serré se roulent mes tristesses
et l’espérance orage que tu es
Les pierres et les vents s’évaluaient
pas un qui bouge de sa haine épaisse
mais les héros s’érodent se repaissent
d’eux-mêmes guerre sourde ils engluaient
J’obstine nomadise l’œil et l’yeuse
trembleur d’automne du printemps du veuf
je dors en plein soleil je crains le neuf
Je parle dans les salles silencieuses
où sans plafond le vide est exigeant
je te cherchais aveugle chez les gens
Je te cherchais aveugle chez les gens
je reflétais de glace en glace l’onde
les routes tortes des forêts profondes
les doutes louves mais en plus méchant
Le ramené en pourpre sur les champs
le jour rappelle que vengeance gronde
pas une roche n’est plus seule au monde
pas un oiseau plus libre que ce chant
Voir voir sans cesse pesamment en garde
pas touche aux lampes toute montre en toc
tu apparais alors et je regarde
Tu me dépeuples comme une incendiaire
ô cendre plus obtuse que le roc
toi qui delà les âges les frontières
Toi qui delà les âges les frontières
au centre invraisemblable des brûlis
je tresse ta couronne qui me lie
à quelque faute obscure mais première
Les rimes sur les tombes font du lierre
et le silence de l’étoile oublie
que son écho le jeu des sons emplit
sa caisse résonnante et singulière
Je mène au bout les cercle des adieux
hasard fermé notre journal aura lieu
dans les colimaçons de la mémoire
Nous fûmes nous notre ombre remuait
survint la mort éblouissante et noire
dans la ville où le jour et l’an muaient
Libre de crainte tu poursuis ma voie
peut-être pas finalement consciente
inapte à maîtriser le gouffre toi
dorénavant ni morte ni vivante
Au prisonnier du feu des astres froids
pour l’indicible clés d’énigmes lentes
sentence sans paroles viens ta voix
et je moissonne les saisons couchantes
De flamme droite le reflet changeant
la nuit donne à mon ombre sa matière
dans les murailles et les murs muets
Je te cherchais aveugle chez les gens
toi qui delà les âges les frontières
dans la ville où le jour et l’an muaient
Traduit du russe par André Markowicz
in, Iliazd : « Œuvres poétiques »
Editions Mesures, 2020
Du même auteur :
« A l’automne... » / « Осенью... » (04/09/2021)
« La guerre éructe » (04/09/2022)
« Je fus j’ai cessé d’être... » (04/09/2023)