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Le bar à poèmes

14 juin 2025

Ronald Stuart Thomas (1913 – 2000) : La lande / The moor

 

 

La lande

 

 

C’était pour moi comme une église,


Dans laquelle j’entrai d’un pas précautionneux,


Retenant mon souffle comme on tient en main son chapeau.


Le silence y régnait.


Ce qu’était le Dieu présent là se laissait sentir,


Et non écouter, dans ces teintes limpides


Que faisaient naître à l’œil une trace humide


Dans la course du vent sur la bruyère.

 

 

De prière point. Mais le silence


Des passions du cœur – qui est forme


De louange ; ainsi que l’abandon par la pensée


De son royaume. Simple et pauvre,


Je poursuivis ma marche tandis que l’air


Se rompait sur moi en miettes généreuses comme le pain.

 

 

 

Traduit de l’anglais par Marie-Thérèse Castay


In, R.S. Thomas : « Qui ? »


Editions Les Hauts-Fonds, 29200 Brest

 

 

Du même auteur :


Dans les collines galloises / The welsh hill country (18/06/2020)

 

Un paysan / A Peasant (18/06/2021)


Mort d’un paysan / Death of a Peasant (14/06/2022)


Quatre-vingt dixième anniversaire / Ninetieth Birthday (14/06/2023)


Ce qu’on voit par la fenêtre / The View from the window (14/06/2024)

 

La lande / The moor (14/06/2025)

 

 

The moor

 

 

It was like a church to me.


I entered ii on soft foot.


Breath held like a cap in the hand.


It was quiet. 


What God was there made himself felt,


No listened to, in clean colours


That brought a     moistening of the eye,


In movement of the wind over grass.

 

 

There were no prayers said. But stillness


Of the heart’s passions – that was praise


Enough ; and the mind’s cession


Of its kingdom. I walked on,


Simple and poor, while the air crumbled


And broke on me generously as bread.

 

 

Poème précédent en anglais :


Squires Geoffrey : « (Et toute la difficulté ... » / « (And all

 

the trouble... » (08/06/2025)
 

13 juin 2025

Yves Bonnefoy (1923 - 2016) : Le souvenir

© ESPATIN & GOBELI/Opale/Leemage

 

 

Le souvenir

 


Ce souvenir me hante, que le vent tourne


D’un coup, là-bas, sur la maison fermée.


C’est un grand bruit de toile par le monde,


On dirait que l’étoffe de la couleur


Vient de se déchirer jusqu’au fond des choses.


Le souvenir s’éloigne mais il revient,


C’est un homme et une femme masqués, on dirait qu’ils tentent


De mettre à flot une barque trop grande.


Le vent rabat la voile sur leurs gestes,


Le feu prend dans la voile, l’eau est noire,


Que faire de tes dons, ô souvenir,

 


 
Sinon recommencer le plus vieux rêve,


Croire que je m’éveille ? La nuit est calme,


Sa lumière ruisselle sur les eaux,


La voile des étoiles frémit à peine


Dans la brise qui passe par les mondes.


La barque de chaque chose, de chaque vie


Dort, dans la masse de l’ombre de la terre,

 


 
Et la maison respire, presque sans bruit,


L’oiseau dont nous ne savions pas le nom dans la vallée


À peine a-t-il lancé, on dirait moqueuses


Mais non sans compassion, ce qui fait peur,


Ses deux notes presque indistinctes trop près de nous.


Je me lève, j’écoute ce silence,


Je vais à la fenêtre, une fois encore,


Qui domine la terre que j’ai aimée.


Ô joies, comme un rameur au loin, qui bouge peu


Sur la nappe brillante ; et plus loin encore


Brûlent sans bruit terrestre les flambeaux


Des montagnes, des fleuves, des vallées.


Joies, et nous ne savions si c’était en nous


Comme vaine rumeur et lueur de rêve


Cette suite de salles et de tables


Chargées de fruits, de pierres et de fleurs,


Ou ce qu’un dieu voulait, pour une fête


Qu’il donnerait, puisque nous consentions,


Tout un été dans sa maison d’enfance.

 

 

Joies, et le temps qui vint au travers, comme un fleuve


En crue, de nuit, débouche dans le rêve


Et en blesse la rive, et en disperse


Les images les plus sereines dans la boue.


Je ne veux pas savoir la question qui monte


De cette terre en paix, je me détourne,


Je traverse les chambres de l’étage


Où dort toute une part de ce que je fus,


Je descends dans la nuit des arches d’en bas


Vers le feu qui végète dans l’église,


Je me penche sur lui, qui bouge d’un coup


Comme un dormeur que l’on touche à l’épaule


Et se redresse un peu, levant vers moi


L’épiphanie de sa face de braise.


Non, plutôt rendors-toi, feu éternel,


Tire sur toi la cape de tes cendres,


Réacquiesce à ton rêve, puisque tu bois


Toi aussi à la coupe de l’or rapide.


L’heure n’est pas venue de porter la flamme


Dans le miroir qui nous parle dans l’ombre,


J’ai à demeurer seul. J’ouvre la porte


Qui donne sur les amandiers dont rien ne bouge,


Si paisible est la nuit qui les vêt de lune.

 


 
Et j’avance, dans l’herbe froide. Ô terre, terre,


Présence si consentante, si donnée,


Est-il vrai que déjà nous ayons vécu


L’heure où l’on voit s’éteindre, de branche en branche,


Les guirlandes du soir de fête ? Et on ne sait,


Seuls à nouveau dans la nuit qui s’achève,


Si même on veut que reparaisse l’aube


Tant le cœur reste pris à ces voix qui chantent


Là-bas, encore, et se font indistinctes


En s’éloignant sur les chemins de sable.

 


 
Je vais


Le long de la maison vers le ravin, je vois


Vaguement miroiter les choses du simple


Comme un chemin qui s’ouvre, sous l’étoile


Qui prépare le jour. Terre, est-il vrai


Que tant de sève dans l’amandier au mois des fleurs,


Tant de feux dans le ciel, tant de rayons


Dès l’aube dans les vitres, dans le miroir,


Tant d’ignorances dans nos vies mais tant d’espoirs,


Tant de désir de toi, terre parfaite,


N’étaient pas faits pour mûrir comme un fruit


En son instant d’extase se détache


De la branche, de la matière, saveur pure ?

 


 
Je vais,


Et il me semble que quelqu’un marche près de moi,


Ombre, qui sourirait bien que silencieuse


Comme une jeune fille, pieds nus dans l’herbe,


Accompagne un instant celui qui part.


Et celui-ci s’arrête, il la regarde,


Il prendrait volontiers dans ses mains ce visage


Qui est la terre même. Adieu, dit-il,


Présence qui ne fut que pressentie


Bien que mystérieusement tant d’années si proche,


Adieu, image impénétrable qui nous leurra


D’être la vérité enfin presque dite, 


Certitude, là où tout n’a été que doute, et bien que chimère


Parole si ardente que réelle.


Adieu, nous ne te verrons plus venir près de nous


Avec l’offrande du ciel et des feuilles sèches,


Nous ne te verrons pas rapprocher de l’âtre


Tout ton profil de servante divine.


Adieu, nous n’étions pas de même destin,


Tu as à prendre ce chemin et nous cet autre,


Et entre s’épaissit cette vallée


Que l’inconnu surplombe


Avec un cri rapide d’oiseau qui chasse.


Adieu, tu es déjà touchée par d’autres lèvres,


L’eau du fleuve n’appartient pas à son rivage


Sauf par le grand bruit clair.


J’envie le dieu du soir qui se penchera


Sur le vieillissement de ta lumière.


Terre, ce qu’on appelle la poésie


T’aura tant désirée en ce siècle, sans prendre


Jamais sur toi le bien du geste d’amour !

 

 

Il l’a touchée de ses mains, de ses lèvres,


Il la retient, qui sourit, par la nuque,


Il la regarde, en ces yeux qui s’effacent


Dans la phosphorescence de ce qui est.


Et maintenant, enfin, il se détourne.


Je le vois qui s’éloigne dans la nuit. 


Adieu ?  Non, ce n’est pas le mot que je sais dire.

 


 
Et mes rêves, serrés


L’un contre l’autre et l’autre encore, ainsi


La sortie des brebis dans le premier givre,


Reprennent piétinant leurs plus vieux chemins.


Je m’éveille nuit après nuit dans la maison vide,


Il me semble qu’un pas m’y précède encore.


Je sors


Et m’étonne que l’ampoule soit allumée


Dans ce lieu déserté de tous, devant l’étable.


Je cours derrière la maison, parce que l’appel


Du berger d’autrefois retentit encore.


J’entends l’aboi qui précédait le jour,


Je vois l’étoile boire parmi les bêtes


Qui ne sont plus, à l’aube.Et résonne encore la flûte


Dans la fumée des choses transparentes.

 

 

 

Ce qui fut sans lumière


Editions du Mercure de France,1987

 


Du même auteur :


 « Que saisir sinon qui s’échappe… » (03/06/2014)


Théâtre (03/06/2015)


L’été de nuit (13/06/2016)


Le myrte (13/06/2017)


Deux barques (13/06/2018)


La pluie sur le ravin (13/06/2019)


Le fleuve (13/06/2020)


Dans le leurre du seuil (13/06/2021)


Dans le leurre des mots (13/06/2022)


La maison natale (13/06/2023)


Le tout, le rien (13/06/2024)

12 juin 2025

Wisława Szymborska (1923 – 2012) : Le tournant du siècle / Schylek Wieku

ilustracja: Cyryl Lechowicz

 

Le tournant du siècle


Il devait être meilleur que les autres notre XXe siècle.


Il n ’aura plus le temps de le prouver,


ses années sont comptées,


son pas est chancelant


son souffle court.

 

 

Il s’est passé trop de choses déjà


qui n ’auraient jamais dû,


et ce qui devait advenir


n ’est pas advenu.

 

 

On devait s’acheminer vers le printemps


et le bonheur, entre autres.

 

 

La peur devait quitter les monts et les vallées.


La vérité plus vite que le mensonge


devait courir au but.

 

 

Certains malheurs devaient


ne plus arriver


par exemple la guerre


et la faim, et ainsi de suite.

 

 

On devait enfin respecter

 

la vulnérabilité des êtres sans défense,

 

la confiance et caetera.

 

 

Qui voulait se réjouir du monde


est face à une tâche


impossible.

 

 

La bêtise n ’est pas drôle.


La sagesse n ’est pas gaie.

 

 

L ’espérance


n ’est plus cette jeune fille


et caetera, malheureusement.

 

 

Dieu devait enfin croire en l’homme


bon et fort,


mais bon et fort


sont toujours deux personnes.

 

 

Comment vivre — me demandait dans une lettre


quelqu’un à qui j’allais poser


la même question.

 

 

A nouveau et comme toujours,


comme on le voit ci-dessus,


il n ’est pas de questions plus urgentes


que les questions naïves.

 

 

 


Traduit du polonais par Isabelle Macor-Filarska


Revue Po&sie, N°62, 1992


Editions Belin,1992

 


De la même autrice :


Une voix dans la discussion sur la pornographie / Głos w sprawie

 

pornografii (14/06/2014)


Haine / Nienawiść (12/06/2015)


Monologue pour Cassandre / Monolog dla Kasandry (12/06/2016)


Psaume / Psalm (12/06/2017)


Impressions théâtrales / Wrażenia z teatru (12/06/2018)


Ca va sans titre / Może być bez tytułu (12/06/2019)


 La femme de Loth /Żona Lota (12/06/2020)


Prêt-à-vivre / Życie na poczekaniu.(12/06/2021)


Le terroriste, il regarde / Terrorysta, on patrzy.(12/06/2022)


Fin et début / Koniec I początec (12/06/2023)


La première photographie d’Hitler / Pierwsza fotografia_Hitlera 12/06/2024)


Schylek Wieku

Miał być lepszy od zeszłych nasz XX wiek.


Już tego dowieść nie zdąży,


lata ma policzone,


krok chwiejny,


oddech krótki.

 


Już zbyt wiele się stało,


co się stać nie miało,


a to, co miało nadejść


nie nadeszło.

 


Miało się mieć ku wiośnie


i szczęściu, między innymi.

 


Strach miał opuścić góry i doliny.


Prawda szybciej od kłamstwa


miała dobiegać do celu.

 


Miało się kilka nieszczęść


nie przydarzyć już,


na przykład wojna


i głód, i tak dalej.

 


W poważaniu być miała


bezbronność bezbronnych,


ufność i tym podobne.

 


Kto chciał cieszyć się światem,


ten staje przed zadaniem


nie do wykonania.

 


Głupota nie jest śmieszna.


Mądrość nie jest wesoła.


Nadzieja


to już nie jest ta młoda dziewczyna


et cetera, niestety.

 


Bóg miał nareszcie uwierzyć w człowieka


dobrego i silnego,


ale dobry i silny


to ciągle jeszcze dwóch ludzi.

 


Jak żyć – spytał mnie w liście ktoś,


kogo ja zamierzałam spytać


o to samo.

 


Znowu i tak jak zawsze,


co widać poniżej,


nie ma pytań pilniejszych


od pytań naiwnych.

 

Poème précédent en polonais :


Wisława Szymborska : La première photographie d’Hitler / Pierwsza fotografia (12/06/2024)
 

11 juin 2025

Jacopo Sannazaro (1456 – 1530) : « Icare chut ici... » / « Icaro cadde qui... »

 

 

 

Icare chut ici : ces flots le savent bien


Qui pourront recevoir ses ailes audacieuses ;


Ici l’essor prit fin, ici la chute eut lieu


Dont seront envieux les hommes du futur.

 

 

Echec assurément heureux et agréable, 


Dès lors que par sa mort il eut la gloire éternelle.


Bienheureux celui-là dont la fatale issue


Compense le dommage et lui donne l’éclat !

 

 

Il peut se réjouir de sa chute, cet homme


Qui volant dans les airs, pareil à la colombe,


Fut frappé par la mort pour avoir trop osé.

 

 

Voilà que désormais toute une mer immense


Retentit de son nom ; fût-il jamais un homme


Qui méritât au monde une tombe aussi grande ?

 

 

 


Traduit de l’italien par Sicca Venier


in, « Poètes d’Italie, Anthologie »


Editions de La Table Ronde, 1999

 

 

Icare ici tomba : cette onde le sait bien


Qui reçut en son sein l’audacieux plumage ;


Ici finit sa course, advint sa grande chute,


Dont seront envieux tous ceux qui le suivront.

 

 

Ô tourment fortuné et des plus désirables,


Puisqu’il eut en mourant une éternelle gloire !


Heureux qui par sa mort connut un destin tel


Qu’un si beau prix compense à jamais son dommage !

 

 

De sa ruine il peut bien être satisfait


Lui qui volant au ciel, pareil à la colombe,


Pour avoir osé trop perdit l’âme et la vie ;

 

 

En entier aujourd’hui résonne de son nom


L’espace d’une mer, et tout un élément !


Qui jamais dans ce monde eut aussi vaste tombeau ?

 

 

 

Traduit de l’italien par Danielle Boilllet


In, « Anthologie bilingue de la poésie italienne »


Editions Gallimard (Pléiade), 1994 

 

 

 

Icaro cadde qui : queste onde il sanno,


Che in grembo accolser quelle audaci penne:


Qui finì il corso, e qui il gran caso avvenne,


Che darà invidia agli altri che verranno.

 

 

Avventuroso e ben gradito affanno,


Poi che morendo eterna fama ottenne !


Felice chi in tal fato a morte venne,


C’un sì bel pregio ricompensi il danno !

 

 

Ben pò di sua ruina esser contento,


Se al ciel volando a guisa di colomba,


Per troppo ardir fu esanimato e spento ; 

 

 

Et or del nome suo tutto rimbomba


Un mar si spazïoso, un elemento !


Chi ebbe sì mondo mai si larga tomba?

 

 

 


Sonetti e canzoni, 1530 


Poème précédent en italien :


Cesare Pavese: Travailler fatigue / Lavorare stanca (18/04//2025)
 

10 juin 2025

Barbara Köhler (1959 - 2021) : Meubles / Möhel

  

© gezett.de

 

 Meubles    


Quitter toute sécurité,


le phrases utilisées, taire


le dit jusqu’à ce qu’il aille


jusqu’à ce qu’il aille aux choses


qui se dressent immobiles dans la pièce :


la table


les deux chaises


le lit.


Sortir, fermer la porte, laisser 


les choses pour elles, 


pour toi.

 

 

Tout ainsi se transforme,


et vient le temps :


nous nous rencontrons


dans l’autre, une autre fois


la porte s’ouvre comme ça, 


assis sur les chaises, attablés,


assis sur le lit, nous rêvons


encore une fois au retour du bois


dans les forêts.

 

 

 

Traduit de l’allemand par François Mathieu


In, « La poésie allemande contemporaine »


Editions Seghers / Goethe-Institut Inter Nationes, Paris, 2001

 


Möhel

 

Alles Verläßliche verlassen,


die benutzten Sätze, das Besagte


verschweigen bis es geht,


bis zu den Dingen geht,


die im Raum stehen unbewegt :


der Tisch


die zwei Stühle


das Bett.


Hinaus gehen, die Tur schließen, die Dinge


stehen lassen für sich,


dir zu.

 

 

So wird alles anders


so wird es Zeit :


wir begegnen im Anderen


einander,ein andermal


öffnet sich so die Tür,


wir sitzen auf den Stühlen, am Tisch,


aud dem Bett träumen wir


noch einmal das Holz zurück


in die Wälder.

 

 

 


Blue Box


Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1995 

 


Poème précédent en allemand : 


Peter Huchel : La nasse à étoiles / Die Sterneureuse (16/04/2025)
 

 

9 juin 2025

Bachir Hadj Ali (1920 – 1991) : Que le chant ne meure

 

 

 

Que le chant ne meure


« GUEL OU GUEL »

 

 

(Quatre chants de guerre et d’amour


sur un thème du Sud algérien)

 

 


                                 PREMIER CHANT

  
                                 (Introduction)  

 

                       
                           

DIMANCHE               Guel ou Guel

 

 

                                 Homme qui attend quoi


                                 Les sages disent


                                 Chaque vie porte sa fin


                                 Chaque fin donne la vie

 

 

LUNDI                       Où est Abou Bakr Essediq


                                 Où est la palmeraie de Fadaq


                                 Refusée à Lala Fatima


                                 Au nom du bien commun

 

 

MARDI                      Où est Ohtmane de la vulgate

                                
                                 Sa demeure bien assiégée


                                 Sa chemise rouge de sang


                                 Sur la chaire à Damas exposée  

 

                            

MERCREDI                Où est Sid Ali son coursier


                                 Ses prouesses vitales à Siffin


                                 Firent refluer l’Euphrate


                                 Où est Moawaya maître du jeu

 

 

JEUDI                        Où est Adib El Hatim


                                 De la belle tribu des Tayy


                                 Ses vers flamboyaient


                                 A la bataille de Nahrawane

 


 
VENDREDI                Où est Yazid le pèlerin


                                 Sur son âne fidèle


                                 Sa peau bourrée de paille


                                 Fut livrée aux singes

 

 

SAMEDI                    Où est l’homme de la Maqta


                                 Où est la ruée des Hadjoute


                                 Où est le héros de Seddouq


                                 Ce haut lieu des Rahmanya

 

 

*
*   *

 

                                 DEUXIEME CHANT

  
                                 (Avant le combat)     

 

 

 DIMANCHE               Guel ou Guel

 

 

                                 Sur le belvédère en ruine


                                 Palabrent des chacals tatoués


                                 Sur l’innocence de la lune


                                 Urinent les fils de la chienne

 

 

LUNDI                       La forêt notre sagesse


                                 Le refuge dernier le doigt levé


                                 Dans cette solitude close


                                 Nous parvient l’ayay du message  

 

 

MARDI                      Pas de souq pour le courage      

                          
                                 Mais un souq pour la lâcheté


                                 O marchand de fidélité


                                 Est-il fidèle qui se vend  

 

                              

MERCREDI                Honteux s’enfuit le soleil


                                 Rouge de notre défaite


                                 Où est l’année des héros


                                 Et des femmes patientes

 

 

JEUDI                        O toi voyant toi audiant


                                 La raison adulte se blesse


                                 L’œil perçant s’aveugle


                                 Le coeur aimant dépérit

 


 
VENDREDI                La chair est d’argile


                                 L’âme est de granit


                                 Que ce chant assourdisse


                                L’entremetteur sans foi

 

 

SAMEDI                    Viendra le temps des aviatrices


                                 Amazone des bouraq futurs


                                 Mon dire précède


                                 La marche féminine de l’espace

 

 

*
*   *

 

 

                                TROIXIEME CHANT   


                                 (Après le combat)  

 

 

 DIMANCHE               Guel ou Guel

 

 

                                 J’étais balle précise
                                 Au siège de Sidi-Brahim
                                 J’étais tablette sauvegardée
                                 De l’alphabet dispersé

 

 

LUNDI                       J’étais cordée de lions


                                 Au flanc d’Icherridène


                                 J’étais braise aux Chougrane


                                 A l’extinction des feux  

 

 

MARDI                      J’étais étincelle cachée  

                              
                                 De la flamme pourchassée


                                 J’étais sentinelle de pierre


                                 Dans la géhenne d’Oued Hellal    

 

                          

MERCREDI                Les joutes et la guerre


                                 Epousent les passions


                                 Dans ma poitrine ouverte


                                 L’amour courtise l’audace

 

 

JEUDI                        Aux heures d’accalmie je rêvais


                                 A ton port qsourien ce pardon


                                 Tes yeux sur ma plaie


                                 Un baume une bénédiction

 


 
VENDREDI                Sur les douceurs du soir


                                 Je marcherai vers toi


                                 Longuement je boirai


                                 Longuement à tes lèvres fines

 

 

SAMEDI                    La femme est parole


    (matin)                 L’homme est geste


                                 L’homme vaut sa tribu


                                 Qui marie la parole au geste

 

 

SAMEDI                    L’âme épouse l’âme


    (soir)                    Le corps épouse le corps


                                 Les yeux qui ont aimé


                                 Chantent pour l’aurore

 

 

*
*   *

 

 

                                 QUATRIEME CHANT   


                                 (Le retour)     

 

 

 DIMANCHE               Guel ou Guel

 

 

                                 Fade cet amour sans combat


                                 Perdue cette guerre sans amour


                                 Sois vaillant et courtois


                                 Et veille aux portes du qsar

 

 

LUNDI                       Le vin de sa bouche


                                 Incendie mon sang


                                 Ma joie sur son bras écoute


                                 La musique du monde  

 

 

MARDI                      L’œil non le tisserand  

                              
                                 Donne sa transparence au voile


                                 L’épanouissement des lignes


                                 Prend naissance aux chevilles  

 

                            

MERCREDI                La main du potier crée


                                 Le mouvement du vase


                                 Et le port de la fleur


                                 L’occupante du vase

 

 

JEUDI                        Ces arceaux et ces ombres


                                 Le ciel à portée de la main


                                 Une baie sur les dunes


                                 Le secret de la création

 


 
VENDREDI                Le ciel chasse les corbeaux


                                 L’étang reprend ses étoiles


                                 L’oasis se réveille irriguée


                                 Ses bras offerts aux palmeraies

 

 

 

 

SAMEDI                    Mort le troubadour


    (à l’aube)             Son chant demeure


                                 Vaincu mon troubadour


                                 Mais non brisé

 

 

SAMEDI                    Poète errant exilé


    (dans                    Tombeau perdu près de Belkhir


l’après-midi)            Tu as prédit des défaites


                                 Plus bénéfiques que les victoire

 

 

SAMEDI                    Jeunes porteuses de plants


    (le soir)                Je vous assois sur mes épaules


                                 Des racines cruelles poussent


                                 Sur cette terre maternelle

 

 

*
*   *

 

 

                                 FINAL

 

                                 Guel ou Guel

 

 

                                 Jeunes porteuses de plants    

                           
                                 Mes sœurs mal aimées


                                 Vous serez accoudées


                                 Sur des trônes verdoyants réels

 

 

                                 Les cueillettes seront abaissées


                                 « Vous serez chéries de chérissement »


                                 Il suffirait il suffirait


                                 De couper les braches mortes

 

 

                                 De tracer le sillon


                                 De l’élargir sans cesse


                                 A travers les sables


                                 Qui emprisonnent vos pas

 

 

 

 

... Que la joie demeure


Pierre Jean Oswald éditeur, 14600 Honfleur, 1970

 


Du même auteur :

 
La femme et l’arbre (09/06/2021)


Naissance (09/06/2022)


Lettre à ma femme (09/06/2023)


Ta visite (09/06/2024)

8 juin 2025

Geoffrey Squires (1942 -) : « (Et toute la difficulté ... » / « (And all the trouble... »

Miami University Press

 

 

(Et toute la difficulté de le comprendre, l’étrangeté de l’autre, ses revirements)

 

 

C’était bien, c’était comme ça devait l’être, nous vivions à deux miles de la 


ville, plutôt isolés, sans voiture

 

 

N’avons pas eu d’électricité avant 1953 et l’avons eue alors uniquement parce


que ma mère avait eu la présence d’esprit d’offrir une tasse de thé à l’ingénieur

 

 

Bon a-t-il dit on peut bien tirer jusqu’en haut de la colline tant qu’on y est

 

 


Comme l’enfance semble détachée 


et lointaine


je me souviens de grands arbres


et de l’obscurité et d’être porté


à l’étage. La petite lampe,


le vent, la neige bloquant l’allée


grand-mère morte dans la chambre d’amis

 

 


Retrouver mon chemin 


à travers de petits champs

 

 

Vers là où devrait se trouver la maison

 

 

Les vêtements s’accrochent aux ronces


une pierre disjointe d’un mur

 

 

Roule et s’arrête dans l’herbe


affleurements de granit local

 

 

Les ajoncs s’y agrippent


en floraison jaune et sauvage


tout cela

 

 

Les montagnes disparaissent

 

 

Mon œil aperçoit un renard


trottant le long de la crête


de la colline, vif


contre la terre


sèche de janvier

 

 

An mada rua (1)


le chien rouge


la queue basse

 

 

On s’arrête 


et on le regarde passer

 

 


En Californie je pensais rarement au pays


et voilà que soudain j’ai le mal du pays


après trois mois


après une averse


de l’eau partout, clarté


de bleus er de verts, nuages brillants


dans les flaques de la route

 

 


L’obscurité nous a de nouveau mis à la dérive


sans le savoir nous étions devenus


enfants de la marée matinale


alors qu’allongés nous rêvions, la nuit


a largué nos amarres

 

 

On nous a offert l’immortalité


mais nous préférons tenter notre chance


par mal du pays peut-être


ou par fierté, ou par peur


d’une nouvelle Troie 

 

 

Hier j’ai pensé voir de nouveau


derrière moi à l’horizon la fumée


d’une cité en flammes et la vision de


mon fils priant, lavant ses mains


dans les vagues grises

 

 


Désert


il te faut regarder


de petites fleurs bleues 


partout


comme étoiles de jour


un lézard endormi dans mon ombre


ronces faisant quelque danse géométrique furieuse


nous quatre, deux filles


et un vieil homme aux cheveux blancs


plus affûté que nous tous


et qui voit mieux aussi

 

 

A l’approche du fond de la vallée


l’ascension commence

 

 

Nous avons grimpé vite


sans un bruit


jusqu’au temple du feu


au sommet de la colline


et sommes restés là


à regarder le soleil se coucher

 

 

Je suis heureux de trouver


le monde à ce point indifférent

 

 

Route et rivière sinuant


à travers des jardins clos


platanes dans le soir


le paysage solennel, cultivé


comme une peinture chinoise

 

 

Je suis heureux de trouver


le monde à ce point absorbé en lui-même


comme quelqu’un s’apprêtant à dormir

 

 


Ma chambre est à la lisière de la ville


là où les grand bruits


font place à de petits sons


quand je tourne la tête j’entends


des voix, par là, où le tchack-tchack


d’un bûcheron 

 

 


Comme il bon d’avoir la maison calme


de nouveau toute à moi, de pouvoir marcher


vers une pièce et savoir


que je serai le seul là-bas


pas de mouvement sauf mon mouvement


pas de sons sauf les sons que je fais

 

 

(Pierres Noyées)


(1) le chien rouge en irlandais

 

 

Traduits de l’anglais par François Heusbourg


In, Geoffrey Squires ; « Choix de poèmes »


Editions Unes, Nice, 2024

 

 


(And all the trouble to learn him, the strangeness of another, his turnings)

 

 

It was good, it was as it shoub be, we lived two miles from the town, quite


isolated, no car

 

 

Didn’t get the electric to 1953 and only got it then because my mother had the


sense to give the engineer a cup of tea

 

 

Well he said we might as well take it up the hill when we’re at it

 

 


How irrelevant childhood seeems 


and far away


I remember great trees


and darkness and being carried


upstairs. The wee leiri (1),


wind, snow blocking the lane


grandmother deas in the spare room 

 

 


Finding my way back


through small fields

 

 

To where the house should be

 

 

Clothes catch on briars


a stone disloged from a wall

 

 

Rolls to rest in the grass


local granit outcrops

 

 

Gorse clinging to them


in wild yellow flower


all this

 

 

The mountains go unseen

 


My eye picks out a fox


trotting along the line


of the ill, quick


against the dry


January land

 

 

An mada rua


The red dog


His tail low

 

 

We stop


and watch him go

 

 


In California I hardly thought about home


now suddenly I’m homesick


after three months


after a shower of rain


water everywhere, clarity


of blues and greens, bright clouds


in road-pools

 

 


Darkness has set us adrift again


without our knowing it we have become


children of the early morning tide


while we lay and dreamed, the night


slipped us our moorings 

 

 

We have been offered immortality


but we prefer to take our chance


out of homesickness perhaps


or out of pride, or fear


of another Troy

 

 

Yesterday I thought I saw again


behind me on the horizon smoke


from the burning city and a vision of


my son praying, washing his hands


in the grey surf

 

 

Desert


you have to look


tiny blues flowers


everywhere


like day-stars


a lizard asleep in my shadow


thorns doing some angry geometrical dance


four of us, two girls


and an old white haired man


who is fitter than any of us


and sees more too

 

 

Neat the head of the valley


begin climbing

 

 


We climbed quickly


out of hearing


to the fire-temple


at the top of the hill


and stood there


watching the sun go down

 

 

I am glad to find


the world so indifferent

 

 

Road and river winding


through  walled gardens


plane trees in the dusk


the landscape formal, cultivated


like a Chinese painting

 

 

 

I am glad to find


the world so self-absorbed


like a person preparing for sleep

 

 


My room is at the edge of town


at the point where big noises


give way to little sounds


when I cock my head I hear


voices, where, or the hack-hack


of a wood-cutter

 

 


How good to have the house quiet


all to myself again, to be able to walk


towards a room and know


I shall be the only one there


no movement except my movement


nos sounds except the sounds I make

 

 

(1) Mot irlandais désignant une petite lampe d’intérieur

 


Drowned Stones


New Writers' Press, Dublin, 1975

 


Poème précédent en anglais :


Seamus Heaney : La visite du policier / A constable calls (27/05/2025

 

Poème suivant en anglais :


Ronald Stuart Thomas : La lande / The moor (14/06/2025)
 

7 juin 2025

James Sacré (1939 -) : Broussaille de bleus

 

 

 

Broussaille de bleus

 

    1

 

Bleu fougereuse peut-être que ca n’existe pas.


Mais bande de jeunes gars qu’on était


Pour s’en aller au bal


Après le boulot du dimanche matin


C’était, de Saint-Pierre-à-Champs jusqu’à d’autres bourgs pas si loin


(Genneton, Saint-Maurice-la-Fougereuse ou Doué-la-Fontaine)


Partir dans le vent et de grands nuages venus de l’océan


Une rêverie d’on sait pas quoi, le désir qui emporte


On oubliait


Restées tout en bas d’un large ciel de libertés


De minuscules charrettes peinturées de bleu, un béret


La toile salie d’’un pantalon de travail


Un carré de tôles sur un hangar :


Bleu fougereuse. On y reviendrait.

 

 

*


Tous les paysages qu’on a traversés


Un jour ou l’autre baignent dans le bleu


Si partout c’est le même bleu ?


On revient sur ses pas pour vérifier


On marche à reculons dans sa mémoire


Tous les bleus sont-ils pas


Celui qu’a connu l’enfance, un bleu


Plus ou moins clair ou sombre et qui s’emmêle


En d’autres couleurs qu’on a vécues


Un bleu qui n’a plus de nom


Comme l’enfance qu’on a perdue.

 

 

*


Si vous regardez bien 


Vous pourrez savoir


Que la broussaille ça peut être


Aussi bleue que des oranges


Sans être obligé de le croire.


Bleue comme un dimanche


Avec le soleil au fond.

 

 

Au fond du pays perdu


Où tu n’arriveras jamais.

 

 

L’orange de noël et sur la vitre


La belle fougère de givre, faut-il


Jamais croire à du bleu ?

 

 

2


Pas souvent qu’un poème se préoccupe


De se dire en couleur


J’en reçois un l’autre jour de Françoise Delorme


Des couleurs vives et chaudes qu’elle dit


A cause d’un temps de neige dans le froid :


C’est découvrir goussons d’églantine ou prunelles


Sur un buisson gelé. Je pense aussi


A des couleurs qui sont souvent


Dans les poèmes de Pierre Tilman. Dans le mien


Ici, dans sa forme de brouillon,


C’est que l’encre de mon stylo-bille


Bleu Pilot BP – S Mastic fine


Rien qui brille.

 

 

*


De la couleur en vrai dans un poème


Dans sa lettre ou sur le support papier


Si elle donne lieu ou sens


Aux choses, aux mots à des relations qu’on peut lire


Dans la matière écrite ?


Le mot bleu répété s’il est plus bleu


A cause d’une couleur imprimée ?


Ou si je vois mieux


La prunelle ratatinée dans son buisson d’hiver


Parce que l’encre de mon bic est bleue ?

 

 

*


Aussi bien, sans me soucier de formes ni    


De ce que penser pourrait m’apprendre


A propos du bleu dans un poème


Si je ferais pas mieux


De m’en tenir au rythme, là déjà venu


A des mots que je pressens pas loin


Souvenirs, choses qui seront là demain


Et maintenant, par exemple


Ce poème comme un bleu à mon désir d’écrire ?

 

 

3

 

Les jacarandas qui sont à Marrakech


Tu les retrouves dans l’Arizona


Au bout du green d’un gros bourg, Ajo


Avant qu’on soit chez les Indiens


tohono o‘odham, on dirait


 


Ont noué le monde en un seul bouquet.


Tu as quitté ton vélo du dimanche


Te voilà en voiture, où vas-tu


Perdu dans le vent du temps ?

 

 

*


Quelqu’un passe en mobylette et s’en va


Disparaît comme


A l’horizon du temps :


Leger point bleu de ferraille (on n’entend plus rien) 

       
Dans le bleu sans fond du temps.


La couleur du vivant


N’en finit pas de mourir, tu penses


A des villages qui ne sont plus que des noms


Shanto en pays navajo, Imi n’ifri, Passavant-sur-Layon :


Le vélomoteur du poème peine


A renaître dans ces mots.

 

 

*


Une charrette peinte comme un jouet d’enfant


Un assemblage de chose en bois : ses bras


Les ranches, quatre pointês, les roues dans leurs ferrures, 


Au lieu d’arriver dans le bruit d’aujourd’hui


Elle s’en va, s’en va, s’en va


En des chemins qui n’existent plus, son bleu


De plus en plus passé.

 

 

Son bleu de plus en plus passé


Défait dans un reste de pré


Disparu dans ce qu’on écrit.

 

 

Bleu, comme un cri de silence

 

 

 


Broussailles de bleus


Editions Le Réalgar, 94200 Ivry-sur-Seine, 2021


Du même auteur :

 
« Des fois, il est tard... » (Figure 18) (19/03/2015)


Presque rien à Sidi Slimane, le temps qui vient (07/06/2018)


Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (I) (07/06/2019)


Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (II) (02/12/2019)


Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (III) (07/06/2020)


Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (IV) (07/06/2021)


« Parfois l’âne arrive... » (07/06/2022)


Deux rushes de quinze vers chacun (07/06/2023) 


Le mot folie n’est qu’un mot, dans le poème (07/06/2024) 
 

6 juin 2025

Bernard Chambaz (1949 -) : 25 Décembre (2023)

Photo Catherine Hélie © Éditions Gallimard

 

 

25 Décembre 2023

 

 

Ô reviens


tu ou pas plutôt pas


(j’en ai peur)


mais reviens quand même


impromptue par cet envol


d’oiseaux et tulipes


lèvres propices aux baisers


je l’aurai tant aimé


et que ce soit pas possible en vrai


me broie le cœur


ou alors faire comme personne


« couronnez-moi


de feuillages brefs - c’est tout »


un dernier pouce de neige tombée


d’une evening violette


comme avant


et nager à l’envers parmi (les adieux)

 

 


Ô quel sens ça a


ça n’a pas d’aller à l’envers


dans ce radoub vermillon


où patiente la flotte


l’immensité de ce lot de virgules


que nous dispensons à notre gré


par un droit souverain


chèrement acquis


n’a pas d’autre sens 


                      que ça


nager dans une recrudescence


d’étourneaux et d’azalées


mais c’est plus fort 


que moi; que toi;


plus fort que e.e.


qui vient me rattraper par la manche


et on ne refuse pas les hasards


                              ni les baisers


comme à notre dernière heure


tes petits pieds


égyptiens

 

 


Ô ce serait comme 


une bulle rien


d’un tombeau bien sûr


autant le répéter quand 


même – et souffler légèrement


avec nos quatre poumons


pour qu’elle devienne 


grande comme 


la rivière Kwaï


où le soleil brille brille


oui juste un peu d’oxygène


et ce qu’il faut de vide pour tenir


dans le gros engouffrement de l’ univers


tout effondré car on s’y tient


malgré nous malgré


que la bulles on ne peut pas trop y croire


ou si

 

 


Ô tout est bon


à prendre même à travers


les larmes


n’importe quoi n’importe


quand pourvu


qu’on soit pas complètement mouru


un galop dans une forêt de pamplemousses


aller à chwal ou pas (à chwal)


comme notre Guidoriccio


ou Buffalo Bill


un deux trois quatre cinq « pigeons


justecommeça


Jésus »


tirer au dépourvu


encore j’entends encore s’il te plaît


et je ferai tout mon possible


même si ce n’est pas très intelligent

 

 


Ô je vois bien


que je fais le contraire absolument


de ce que j’avais affirmé


mais tu nous reviens


comme la flottille des petits bateaux


                                  tombés du ciel


par surprise et mansuétude


vivante en quelque sorte


si vivre c’est pas complètement fini


tant que je suis là


à tirer les pigeons un deux trois quatre


ou à ouvrir mes bras


dans la fraîcheur du soir et attendre


ce moment « où l’immensité se taira »


avec des grands départs 


de crépuscule 


derrière notre mûrier platane tout nu

 

 

Ô comme 


tu surviens – nue


chaque mot m’y ramène


innocence cuisses royaume


puis chaque geste en abîme


car l’un de nous deux


est resté pour dire cette splendeur qui fut


et le regret infini de qu’elle aura été


(nous avons trente ans ou quarante


ou cent cinquante à nous deux)


avec ton armada de tee-shirts


les deux petits faons


nos palpitations


le temps de nous embrasser


lentement

 

 

Ô ce n’est plus


comment repartir ni par où


recommencer


alors comment y revenir


ce jour de Noël sinon


par un traité de ponctuation


demandant à qui rendre grâce


puis où jeter les miettes aux moineaux


même si maintenant 


c’est mon cœur qui est en miettes


je peux le voir voler


à Coney Island ou à Vladivostock


my most beautiful darling


mais qui saura voir ici les moineaux


et viendra me sauver

 

 


Ô par principe


ca n’en finit pas ou plutôt


ne devrait pas


en finir, Etc.,


je me recopie


et doucepluie et (avecjoie, comme il sied aux amants)


                                                                     immortels
comme 


si la joie pouvait survivre


à tout à ta disparition


à ce brin de désinvolture minutieuse


qui nous permet d’écrire


« je t’aime ma chérie toute belle »


duvet bourgeon lèvres


ou « j’embrasse-moi – (irai) »


avec ce mélange délicieux


de primevères et de dynamite

 

 


Ô descendons


je suis prêt mais comment


et où – exactement–


à l’aplomb des pyramides à la station


Balard qui reste


jusqu’ à preuve du contraire


la plus proche mais de quoi


de l’impossibilité où nous sommes


de glisser sur la luge


autrement qu’en poème


et fermer plus ou moins les yeux


sans savoir où elle s’arrêtera


ni quand – à l’inverse


la neige paraissait rose


dans la brièveté invraisemblable du monde


et;nous;vraiment;vivants;


c’était autre chose

 

 


Ô pourquoi


on a beau défier les lois du genre


et le bon sens considérer


que tout ça (ta présence comme


en creux) reste


tellement irréel


je n’ai pas oublié nos balades d’hier


dans l’allée des en-allés


car si nous sommes descendus


je ne sais pas vraiment où


puis remontés main dans la main


- ma reine – 


c‘est parce que tu portes la couronne


comme personne


debout devant le bosquet de tamaris


où nous (toi;et;moi;)


avons nos habitudes singulières en juillet

 

 

 

 

Comment un cœur peut-il


Editions Unes, Nice, 2025

 


Du même auteur : Gisements, élémentaires (30/03/19)

5 juin 2025

Armand Robin (1912 – 1961) : Automne

 

 

 

Automne

 

Un reflet du couchant grossit en colline,


Œil où le regard est sang.

 

 

A l’automne,


La pomme du monde est humide et ronde,


Frétille entre les dents,


Douce peau travaillée de soleil, de pluie, de vent


Puis humide de paix.

 

 

Mobile dans l’ordre de la brume, 


Les arbres près du village, roulant comme des bohémiens, 


Content de longues histoires de voyage


Où nul ne comprend rien et que l’on craint.

 

 

 


Le cycle du pays natal


Textes et photographies rassemblés par Françoise Morvan


Editions La Part Commune, 35000 Rennes

Du même auteur :


 « Sans parole, je suis toute parole… » (05/06/2014)


Sans Pays (05/06/2015)


l’Illettré (05/06/2016)


L’offre sans demande (05/06/2017)


Mon pays (05/06/2018)


Instant de pré (05/06/2019)


Me conduire en des lieux écartés (05/06/2020)


L’homme qui fit tous les tours (05/06/2021)


« Longtemps j’ai vécu de plantes... » (05/06/2022)


« Sous la lune d’été... » (05/06/2023)


Un printemps paysan (05/06/2024)
 

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