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Le bar à poèmes

15 mai 2025

Frédéric – Jacques Temple (1921 - 2020) : La chasse infinie

 

 

La chasse infinie

 

LA CHASSE INFINIE


à Brigitte

 

C’est par les veines de la terre


que vient Dieu,


par les pieds qui sont racines


dans l’humus et la pierre,


vers les cuisses, l’aine humide


et douce


comme un herbage de varaigne,


et non du ciel


virginal


où il ne trône pas.


Sur un lit de faînes rousses


je le contemple


par les pores de l’inconscience


et j’adore la senteur fauve


qui transsude


de sa présence abyssale.


Erigé dans la folle avoine


je le traque,


l’auroch éternel


hérissé d’angons,


dont l’œil béant m’invite 


à la chasse infinie

 


MEMOIRE


à Luis Mizon

Immobile


sois

 

immobile

 

 

écoute


le soleil


monter


dans le vol des courlis

 

 

reste immobile

 


quand passe le busard


sur les roseaux


de l’aube

 

 

immobile


à l’espère


vois


dans le vol des pluviers


ta mémoire


inconnue


se lever au ponant.

 

 

SUD

 

En vérité je suis mort


dans les dunes asservies


squale pourrissant


au soleil imparable.

 

 

Où est l’enfance du Sud


dont bat le cœur terrible


sous l’hypogée ?

 

 

J’allume un feu secret


pour les rives du ciel


dernier défi haute prière


vers les dieux abolis.

 

 

 

 

 

 

De la glaise


vivante encore


dans la caverne


en sommeil


la main 


millénaire


vers moi se tend :

 

 

la mienne.

 

*

STELES

 

sur des sculptures de Robelin

En ce temps là


nulle écriture pour dire le monde.


Surgi des gouffres de la genèse


seuls se dressaient des signes


paniques, fabuleux espoirs peut-être


sur les déserts béants


dans l’épaisseur des forêts primordiales.

 

 

Chimère de vouloir écrire


sur l’avant-écriture


pour traduire les pierres à visage 


enfouies dans les ronciers des causses,


les stèles égarées des plaines barbares,


les veilleurs alignés 


de Palaggiu ou de Filitosa, 


les menhirs des brandes celtiques,


tous ex-voto de l’aurore de l’homme.

 

 

Colonne, cippe – signal ou mémoire –


la stèle est aussi l’axe de la racine


qui plonge au cœur du cinéraire.


L’homme de la caverne


palpite encore en nous


et reconnaît les vieux repères


trouant comme des phares


la nuit des temps.

 

 

En ce temps-là...


C’est maintenant, c’est demain.


Les rudes stèles nous relient


aux abysses du silence


où la glaise lentement s’animait.

 

 

DORS, OMBRE ROUGE

 

 

Quand la nuit pénètre la mer


luisant de mille ardoises


ma mère est là


dans l’odeur des alyssons


et des lys des sables.

 

 

Elle sourit telle autrefois


dans les prés fleuris de l’enfance


me regardant comme en un rêve.

 

 

Dort-elle ?

 

 

Pourquoi dors-tu 


depuis si longtemps déjà ?


Tant de luzernes mûres et fanées


ont passé sur ton sommeil !

 

 

Dors, ombre douce, 


un jour je te réveillerai


comme une fanfare


et nous irons, âmes ardentes,


cueillir la verveine


de la tendresse triomphante.

 

 

AVERTISSEMENT

 

 

Il est temps 


de vivre d’eau nue


dans l’orbe d’un soleil majeur


avant que le rire uniforme


n’abolisse la fleur intime.

 

 

Le temps vient


horreur sur le monde


du sang profond.

 

 

La carcasse étonnée de gel


se dresse dans l’ombre

 

 

Un crâne de vile matière


tel sera notre amour


autrefois si doux


de ses lèvres et de ses bras.

 

 

LAISSEZ-MOI

 

Laissez-moi vous dire


qu’ils ont annulé l’oiseau


laissez-moi


Ô laissez-moi vous dire    


qu’ils ont souillé le sable

 

 

non, laissez-moi le silence


laissez-moi


Ô laissez-moi !

 

 

NONSENSE

 

 

Le linge


de l’ange


lange


le singe.

 

 

SEPT


à Claude Michel Cluny

C’est le chiffre


de Dieu qui se repose


terminé l’ardent travail


Ô folle création


née d’un raté


de l’éternel sommeil.

 

 

ARMAGEDDON


à Jean Hugo

 

L’antique soleil agonisait. Jamais plus ne jailliraient de sa gueule les beaux


poissons de turquoise, les papillons d’obsidienne qui crachaient du feu. 


Lorsque tout érigé le cheval noir le traversa, l’astre caduc se retrouva lune 


morte.

 

 

Un épouvantable silence bleu régna.

 

 

Quelques écailles calcinées retombèrent avec un bruit d’ailes brisées et se


perdirent dans l’infini de la désolation. On entendit couiner les pipistrelles


dans les abysses, des âmes peut-être ou leurs fantômes, mieux encore leurs


prévisions déjà douloureuses. Et ce fut comme la longue infiniment plaintive


affliction d’un violon monocorde perdu dans un éther de cristal.

 

 

 

 

La chasse infinie


Editions Jacques Brémond, 30490 Montfrin-sur-Gardon, 1995

 

Du même auteur:,


La prison de Socrate (13/10/2014)


Un long voyage (13/10/2015)


Profonds pays (II) (15/05/2018)


Westbound (14/05/2019)


Thessalonique (15/05/2020)


Northbound (01/11/2020)


Sud (15/05/2021)


Profonds pays (I) (01/11/2021)


Profonds pays (III) (15/05/2022)


Caravane (15/05/2023)


Profonds pays (IV) (15/05/2024)
 

14 mai 2025

Lessia Oukraïnka / Леся Українка (1871 -1913) : « Parfois, lorsque j’étais fillette... »

 

 

Parfois, lorsque j’étais fillette


Je tombais et me heurtais,


La douleur me piquait le cœur,


Mais sans un mot je me relevais.

 

 

« Cela te fait mal ? » me demandait-on,


mais moi, je le niais  -


Petite, j’étais une fille fière – 


Pour retenir mes larmes, je riais.

 

 

Et maintenant, quand toute ma vie


Est devenue un méchant drame, 


une blague qui finira bientôt


par une cruelle épigramme, - 

 

 

J’ai peur de recourir au rire


Impitoyable, comme une arme,


Et, oublié mon vieil orgueil,


Pour ne pas rire, je verse des larmes.

 

2 février 18987

 

 

 


Traduit de l’ukrainien par Ella Yevtouchenko et Bruno Doucey


In, « Ukraine, 24 poètes pour un pays »


Editions Bruno Doucey, 2022

 

De la même autrice : Contra spem spero ! (14/05/2024)
 

13 mai 2025

Kari Unksova / Кари Васильевна Унксова (1941 – 1983) : « Le ciel qui se lave... »

 

 

 

 

Le ciel qui se lave et scintille d’un rêve de ciel


La voûte qui s’ouvre le bleu tout timide un œil rond


Le bois de bouleau se blanchit de sa peau de mortel


Ce rire – à côté – des fracas rougeoyants bûcherons


La source s’épuise à chercher le début de son chant


La mort charbonneuse – à côté – se cachant nous hachant


Le tremble appelant dans les loques du vent le coucou


Les aulnes saignant,oranger « je meurs pas, moi, c’est tout ! »


Coucou sur sa branche perché immobile têtu


La mort bûche à bûche à côté qui éclate et qui tue


Copeaux feux follets brins de feu et bravaches sans mort


Des Je et des Tu – et voici l’hippodrome – le port.


Chevaux récoltables tassés à plein bord de vivier


Là-bas vermillon des casaques la vieille a crié


Brasier rouge et or des récoltes tonnerre et hourrah


Sabots par-dessus les barrières « Tu peux, tu pourras »


Ces maigres chevaux comme ils tremblent leur sexe est tout noir


Ils cachent la peur dans leur ventre la peur à ne pas voir    


Mais quand et comment pour la hache quand viendra son tour


Chevaux leur manège la hache le jour est si lourd


 

 


Traduit du russe par André Markowicz


In, Kari Unksova : « La Russie l’Eté »


Editions Mesure, 2021

 

De la même autrice : Stances classiques / КЛАССИЧЕСКИЕ СТАНСЫ (13/05/24)
 

12 mai 2025

Charles Baudelaire (1821 – 1867) : Le serpent qui danse

 

 

Le serpent qui danse

 

Que j'aime voir, chère indolente,


            De ton corps si beau,


Comme une étoffe vacillante,


            Miroiter la peau !

 

 

Sur ta chevelure profonde


            Aux âcres parfums,


Mer odorante et vagabonde


            Aux flots bleus et bruns,

 

 

Comme un navire qui s'éveille


            Au vent du matin,


Mon âme rêveuse appareille


            Pour un ciel lointain.

 

 

Tes yeux, où rien ne se révèle


            De doux ni d'amer,


Sont deux bijoux froids où se mêle


            L’or avec le fer.

 

 

A te voir marcher en cadence,


            Belle d'abandon,


On dirait un serpent qui danse


            Au bout d'un bâton.

 

 

Sous le fardeau de ta paresse


            Ta tête d'enfant


Se balance avec la mollesse


            D’un jeune éléphant,

 

 

Et ton corps se penche et s'allonge


            Comme un fin vaisseau


Qui roule bord sur bord et plonge


            Ses vergues dans l'eau.

 

 

Comme un flot grossi par la fonte


            Des glaciers grondants,


Quand l'eau de ta bouche remonte


            Au bord de tes dents,

 

 

Je crois boire un vin de Bohême,


            Amer et vainqueur,


Un ciel liquide qui parsème


            D’étoiles mon cœur 

 

 


Les fleurs du mal, 


Poulet-Malassis et De Broise,1857

 


Du même auteur :


Parfum exotique (12/05/2014)


Le voyage (12/05/2015)


La chevelure (12/05/2016)


La vie antérieure (12/05/2017)


Les bijoux (12/05/2018)


L’Invitation au voyage (12/05/2019)


Spleen (12/05/2020)


L’ennemi (12/05/2021)


Enivrez-vous (12/05/2022)


Recueillement (12/05/2023)


Chant d’Automne (I) (12/05/2024)

11 mai 2025

Francisco Brines (1932 -) : Solo de trompette / Solo de trompeta

 

Photo d'Emilia Gutiérrez

 

Solo de trompette

A Toni Puchol.

 

Quand les regards de tous se connaissaient maintenant vaguement,


A travers les pupilles embrumées par l’alcool,


De cette musique confuse, de la pénombre de cette fumée-là du chaos


Vint un silence imperceptible,


Et une trompette seule, de feu, nous brûlait la vie.

 

 

Ou peut-être était-elle de glace cette musique-là :


Inertes les sons, afin que chacun d’entre-nous


Les rendît mobiles, les remplît d’esprit.


Et pour chacun des hommes


La musique était chant différent : joie stérile


Pour la femme me regardant ; tristesse lasse


Pour de défuntes lèvres et pour le garçon solitaire


Profonde nostalgie de la vieillesse ;


La musique était chant différent, sans que personne sache


Sa résonance unie, son intense douleur.

 

 

Rien, dans cette pièce sombre, ne concordait avec la vérité de l’homme :


La stridente émotion du musicien était fausse,


Grossière, l’illusion des autres.


La vérité est humble et elle est simple.


La solitude, partagée avec les autres solitudes,


Avive encore l’impuissance,


Elle pousse l’homme alors aux régions héroïques


Par le seul sentiment.


Il tombe ensuite sur l’âme une lassitude


De la lutte inutile, se défont


Tant de fausse vertu, la feinte pureté ;


Et lorsque la trompette, défaillante, s’éteint dans le silence,


Seuls subsistent visibles, découverts à la fin, les plus cachés


Et tenace des vices :


Les yeux se reconnaissent et la pitié peut naître,


Quelqu’un peut même éprouver un tiède amour.

 

 

La trompette de feu,,


Muette sur une table, elle nous semble jaune,


Elle est vielle et rayée.

 

 


Traduit de l’espagnol par Yves Aguila


in, « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »


Editions Gallimard (Pléiade), 1995

 


Du même auteur :

 
Se regardant dans la fumée / Mirándose en el humo (11/05/2017)


Quand je suis encore la vie / cuando yo aún soy la vida (11/05/2018)


Le pacte qui me reste (11/05/2019)


« Le balcon donne sur le jardin... »  / « El balcón da al jardín... » (10/05/2020)


Scène secrète (11/05/2021)


Vers épiques / Versos épicos (11/05/2022)


L’œil solitaire de la nuit (11/05/2023)


Epiphanie romaine (11/05/2024)

 


Solo de trompeta

 

A Toni Puchol.

 


Cuando ya las miradas de todos se conocían vagamente,

 

A través de las pupilas nubladas por el alcohol,

 

De aquella música confusa, de la penumbra de aquel humo del caos

 

Y una trompeta sola, de fuego, nos quemaba la vida.

 

O acaso era de hielo aquella música:

 

inertes los sonidos, para que cada uno de nosotros

 

los hiciese movibles, los llenase de espíritu.

 

Por cada uno de los hombres

 

la música cantaba diferente: con alegría estéril

 

en la mujer que me miraba, con cansada tristeza

 

en unos yertos labios, y en el muchacho solitario

 

 


con profunda nostalgia de vejez;

 

la música cantaba diferente, sin que nadie supiera

 

cómo sonaba junta, con qué intenso dolor.

 

 


En aquel cuarto oscuro nada correspondía a la verdad del hombre:

 

la emoción estridente del músico era falsa,

 

torpe el engaño de los otros.

 

La verdad es humilde y es sencilla.

 

La soledad, al compartirla con otras soledades,

 

hace más viva la impotencia.

 

y empuja al hombre entonces a regiones heroicas

 

con sólo el sentimiento.

 

Después cae un cansancio sobre el alma

 

por esta lucha inútil, se resiente

 

tanta falsa virtud, la mentida pureza;

 

y cuando la trompeta, desmayada, se extingue en el silencio,

 

sólo quedan visibles, descubiertos al fin, los más ocultos,

 

los más tenaces vicios:

 

se reconocen las miradas, y puede haber piedad,

 

y hasta sentir alguno un tibio amor.

 

 

La trompeta de fuego,

 

muda sobre una mesa, la vemos amarilla,

 

y está vieja y rayada.

 

 


Palabras à la oscuridad


Insula, Madrid, 1966

 

 

Poème précédent en espagnol :


Atahualpa Yupanqui : Baguala (10/03/2025)

10 mai 2025

Salah Stétié (1929 - 2020) : Statue de feu

 

Statue de feu

 

 

Un homme s’avance vers la fin des choses


Comme on avance avec un jardin d’arbres


Vers la beauté d’un fleuve oublié par la neige


Près de l’éternité. La fille jeune


Est là dans la flambée de l’eau comme une rose


L’homme s’arrête et la regarde et ses yeux pleurent


Soleil étranglé par la pluie est son amour


Et de ses mains tombe le fruit des choses

 

 

Et de ses mains comme un peu d’eau qui s’ouvre


Tombe la palpitation d’une étoile


Brûlante et seule au-dessus des labours


Qui sont plus purs d’être fils des nuages


Allumés ainsi que statues de l’esprit


Et c’est dans ses rosées la Terre et c’est


La terre avec l’étrangeté des morts


Dormant chacun sa lampe dans les feuilles

 

 

Cet homme avance avec amour vers tous ces morts


Qui sont noyés d’astre solide avec leurs barques


Butant contre la mer fermée. Il est celui


Qui tient encore entre ses bras un arbre en fleurs


Brillant d’invisibilité, violon, colombe


Ce sont là des objets d’infini simple


Etablis près des délirants de l’esprit

 

 

Et quel délire ? Enfant de plusieurs bras


Est l’homme impur entre les bras des femmes


Assis en elles avec son sexe avec son ange


Dans tous les lieux retenus par la mort


Chambre de braise et ses très longues brises


Autour d’eux, homme et femme et fleuve et rive, 


Chambre qui se délite dans la brume

 

 

Homme étendu sa face aimée des nébuleuses


En toute nuit de vent en toute nuit


De tout violon contre le corps des filles


Qui sont soudain comme des ombres rouges


Avec les violons presque tus les géraniums


Leurs feux éteints l’absence de la lune


Les corps étant de nuit barques qui bougent

 

 

Il rêve aussi. Cet homme rêve et rien


Qu’une blessure dans sa main comme une rose


Ou une épée. Femme ou épée ou mort.


Très longue flamme qui fait briller nos rives


Et feu dans la maison du seul, statue


Assise et dévorant le bois de la maison

 

 

 


Fièvre et Guérison de l’Icône


Imprimerie Nationale Editions, 1998

 


Du même auteur :

 
« Sur le plateau pierreux… » (17/07/2014)


Dormition de la neige (10/05/2021)


La terre avec l’oubli (05/11/2021)


Longue feuille du cristal d’octobre 09/05/2022)


L’enfant de cendre (05/11/2022)


Jardin de l’Un (10/05/2023)


La nuit du cœur flambant (05/11/2023)


L’épée des larmes (10/05/2024)


Cécité du chanteur (05/11/2024)

 

Statue de feu  (10/05/2025)

8 mai 2025

Pierre de Ronsard (1524 – 1585) : « Versons ces roses... »

 

 

 

Versons ces roses près ce vin,


De ce vin versons ces roses,


Et buvons l'un à l'autre, afin


Qu'au coeur nos tristesses encloses


Prennent en buvant quelque fin.

 

 

La belle Rose du Printemps,


Aubert, admoneste les hommes


Passer joyeusement le temps,


Et pendant que jeunes nous sommes,


Ebattre la fleur de nos ans.

 

 

Tout ainsi qu'elle défleurit


Fanée en une matinée,


Ainsi nôtre âge se flétrit,


Las ! et en moins d'une journée


Le printemps d'un homme périt.

 

 

Ne vois-tu pas hier Brinon


Parlant, et faisant bonne chair,


Qui las ! aujourd'hui n'est sinon


Qu'un peu de poudre en une bière,


Qui de lui n'a rien que le nom ?

 

 

Nul ne dérobe son trépas,


Caron serre tout en sa nasse,


Rois et pauvres tombent là bas :


Mais cependant le temps se passe


Rose, et je ne te chante pas.

 

 

La Rose est l'honneur d'un pourpris,


La Rose est des fleurs la plus belle,


Et dessus toutes a le pris :


C'est pour cela que je l'appelle


La violette de Cypris.

 

 

La Rose est le bouquet d'Amour,


La Rose est le jeu des Charites,


La Rose blanchit tout autour


Au matin de perles petites


Qu'elle emprunte du point du jour.

 

 

La Rose est le parfum des Dieux,


La Rose est l'honneur des pucelles,


Qui leur sein beaucoup aiment mieux


Enrichir de Roses nouvelles,


Que d'un or, tant soit précieux.

 

 

Est-il rien sans elle de beau ?


La Rose embellit toutes choses,


Venus de Roses a la peau,


Et l'Aurore a les doigts de Roses,


Et le front le Soleil nouveau.

 

 

Les Nymphes de Rose ont le sein,


Les coudes, les flancs et les hanches :


Hébé de Roses a la main,


Et les Charites, tant soient blanches,


Ont le front de Roses tout plein.

 

 

Que le mien en soit couronné,


Ce m'est un Laurier de victoire :


Sus, appelons le deux-fois-né,


Le bon père, et le faisons boire


De ces Roses environné.

 

 

Bacchus épris de la beauté


Des Roses aux feuilles vermeilles,


Sans elles n'a jamais été,


Quand en chemise sous les treilles


Il boit au plus chaud de l'été.

 

 


Le quatrième Livre des Odes. Ode XXXVIII

Du même auteur :


« Mignonne, allons voir si la rose… » (20/05/2014)


« Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose… » (20/05/2015)


Madrigal (20/05/2016)


« Quand vous serez bien vieille… » (20/05/2017)


« Maîtresse, embrasse-moi… » (20/05/2018)


A un bel aubépin (09/05/2019)


« Ô Fontaine Bellerie... » (09/05/2020)


Les derniers vers (09/05/2021)


« Sur tout parfum j’aime la Rose... » (09/052022)


« Je plante en ta faveur... » (09/05/2023)


« Comme un chevreuil... (09/05/2024)
 

8 mai 2025

Françoise Morvan (1958 -) : Pluie (1)

 

 

 

 

Pluie

 


Comme on dit que la pluie murmure


L’enfant mussé dans sa maison de plumes


Sous la soie rouge au fond du vieux grenier


Sent une femme immense qui l’entoure

 

 

Femme en blouse à fleurs mauves et mêlées de nuages


Flottant dans le parfum léger des chèvrefeuilles


Poussé avant la pluie par un souffle de vent


Et la chanson se perd au fil de l’air

 

 

Sous les arceaux fins de la porcelaine


Glisse un ruban de soie ponceau


Ciel de Verlaine après la pluie


Mauve et gris tourterelle

 

 

Jouant à voir le jour à travers les fougères


On a soudain l’enfance et le ciel gris


La pluie légère aussi sur les pois de senteur


Et les soieries et les jeux de patience

 

 

Miellat des tilleuls


Brumée sur les feuilles


Pluie sucrée blondeur qui se lèche


Au milieu des abeilles

 

 

Clameur avant l’averse


Eclat des draps qui claquent


Gifles de géant dans l’air trouble


Où le merle déroule un cri d’alarme

 

 

Rouge éclatant de coquelicots


L’ogre aux sept femmes


A fini d’égoutter ses clés sanguinolentes


Au revers du talus mouillé

 

 

Pris de folie les enfants sages


Sortent pieds nus danser dans la prairie


Couronnés d’orage et d’éclairs violets


Renards rendus à leur rage de joie

 


Tout au fond du ciel jaune un vieux soleil


Tremble à l’instant de sombrer dans le noir


Et quand l’orage crève un cri grandit


Hourvari de rage arraché aux morts

 

 

Lueurs de feu aiguisant les lames


Dans la cour assombrie du vieux manoir


Les faux semblent dressées contre le ciel


Et le silence est noir comme un bloc de basalte

 

 

Amère et douce endeuillée de musc


La pluie filtrant sur les fleurs de troène


Laisse affleurer serti dans l’air humide


Un chrème à blancheur d’organdi

 

 

La pluie sur les melons d’eau douce


L’odeur sucrée du foin qui fume


Mêlée au tabac blond des femmes


Voilant et dévoilant les confidences

 

 

Les pruniers que l’on dit mirobolants


Inclinés sous la pluie laissent reluire


Au miroir du ciel leurs menus cœurs rouges


Plus durs que des cœurs de poupée

 

 

Même broderie sur le sable


Pattes d’oiseaux feuilles de pluie


Fin plumetis qu’une botte écrase


Comme un visage sous un bloc de boue

 

 

Le vent de pluie berçant la balançoire


Emporte la fumée des feux de fanes


Vers l’ouest où vont les bohémiens


Avec les ors de la fête éteinte 

 

 

La faux sur ce grand paysage


Ne fait qu’une ondée grise


Le vent de pluie passant sur les fougères


S’efface avec ce bruit furtif qui s’évapore


....................................................................................

 

 

 


Pluie


Editions Mesures, 2021

 


De la même autrice :

 
Retour / Allège (08/05/2021)


Le bois des fables (08/05/2022)


Lucarne / Grèbe (08/05/2023)


Effraie / Roseaux (08/05/2024)
 

6 mai 2025

Anise Koltz (1928 - 2023) : Le cirque du soleil

 

 (photos François Aussems)

 

Le cirque du soleil

 


SOIR I

 

Enterrer le jour


dans une taupinière


et oublier


dans laquelle

 

    ------

 

TU ES L’AUTOUR

 

Fonds sur moi dans l’herbe


tu es l’autour


qui emporte mon sang


plus haut que la forêt

 

 

entends-tu les plaintes


de ma joie


entre tes serres

 


A MA DROITE

 

Nous croyons tous


en un Dieu


mais ce qui arrive


n’a pas de nom

 

 

Nous sommes comme des ivrognes


devant la nuit -


l’un de nous


fixe trop longtemps son rêve


et devient aveugle


un autre


panse sa vie blessée


un troisième protège


la forme de cire d’une morte contre le matin


qui roule par-dessus les toits 


dans un tonneau en feu

 

 

C’est un nouveau jour


assourdissant


qui excite la cruauté

 

 

Un ange déchu 


veille à ma droite


avec des pierres


er des oiseaux morts

 

 


Parfois la loi se trompe


la mort tombe dans le piège


dupée comme un gibier

 

 

ouvrez le brayon


rendez la liberté


à ce renard enragé

 

 

nous avons besoin de ses dents


de la douceur de son pelage


pour aimer

 


AUTOMNE

 

En route avec les oiseaux


pour suivre le cirque du soleil


où la lumière mugit


en sautant dans sa cage

 

 

en route avec les jongleurs


les saltimbanques


et les géants de l’ombre

 

 

en route avec le vent


crieur du cirque


et cornac qui offre ses tresses d’or


et suspend des lampions


aux arbres

 

 

en route


avant que les dernières affiches


programmes


et billets d’entées


ne soient piétinés


dans les rues

 

 


« UBER ALLEN GIPFELN IST RUH »

 

La lune s’envase


jusqu’aux yeux


elle est à peine visible

 

 

je veux la guetter 


écorcher son ventre blanc


et la préparer

 

 

sa viande a la saveur


du poisson de mer

 

    ------

 

REJOINS-MOI

 

Rejoins-moi


dans mon lit de feuillage

 

 

jamais plus 


je ne me redresserai

 

 

nul autre ne verra la clairière


qui reste de moi

 

 

arrache mon écorce


je vivrai toujours

 

 

l’été est l’évangile selon saint Marc

 


MER

 

Je sais claquer de la langue


mer


je suis un marchand de chevaux


tes coups de sabots m’assourdissent


mais je te monterai


jusqu’à ce que tu t’écroules dans le sable 


tu me lécheras les peids 


en mourant

 

    ------

 

PLUIE II

 

La pluie 


est un grand chien brun

 

 

on le fouette on le chasse


à travers les villages

 

 

mais dans les champs


il s’arrête et lèche ses blessures

 


J’AI BESOIN D’’N AUTRE ÂGE

 

J’ai besoin


d’un autre âge


pour me remettre de toutes mes morts


et d’un avenir


si vieux


qu’aucun prophète


ne s’en souviendra

 

 

j’ai fait des adieux


à ma mère


avant de venir au monde


je devais la faire naître


cent fois


avec un pied bot


et un escalier tournant


dans le dos

 


SI JE N’IMPLORE AUCUN DIEU

 

Si je n’implore aucun dieu


et que mes veines deviennent plus foncées


par la plus secrète jouissance


qui existait déjà en moi


avant de naître


si la nuit venue


je me débarrasse de mon corps


pour interrompre les cours d’eau


et si j’invente des rimes


pour compter les grains de sable

 

 

est-ce cela vivre

 

 

si je possède une muselière


pour ma mort


et une flûte


comme les charmeurs de serpents


et que tout reste caché


avec le feu d’artifice


au-dessus de mes genoux

 

 

est-ce là mourir

 


TOUT PERDRE

 

Aimer 


c’est être mortel


et lutter contre


avec toi

 

 

pénétrer dans ta chair


en nageant


m’y mordre


et me posséder


tout perdre


pour continuer


à vivre


dans une peau 


humide et calme


comme une grotte

 

 

TIRE TA BARQUE

 

Tire ta barque


à mon rivage


ma bouche est enfouie


sous les roseaux


dans midi brûlant

 

 

chaque parole s’abat


comme un oiseau mort

 

    ------

 

Si tard qu’il se faisait


il n’ y avait pas de mort


ton corps brûlait


comme une lampe


et le mien


restait ouvert


longtemps encore

 

 

c’était comme en été


quand les seuils des portes


refroidissent lentement

 

 


QUESTION

 

Les gens qui peuplent mes rêves


d’où viennent-ils


et le cheval aveugle


sous le pommier 


auquel je donne le pain de la charité

 

 

si ses yeux voyaient


qui me reconnaîtrait


au bruit de mes pas

 

    ------

 

LE SOLEIL

 

Le soleil est un vieil animal domestique


le matin il traîne ses membres engourdis


à travers la cour


et grimpe péniblement dans l’acacia

 

 

il y est assis pendant des heures


et se chauffe


au plumage des oiseaux

 


12 6 28

 

Ma naissance


n’existe pas


c’est un nombre


qui ouvre le ventre de ma mère


comme un coffre-fort

 

ma mort


n’existe pas


c’est un mirage


en moi il y a une cité déserte


avec des puits comblés

 

ne vous y fiez pas

 

 

 


Traduit de l’allemand par Andrée Sodenkamp


In, Anise Koltz : « Le crique du soleil »


Editions Seghers, 1966

De la même autrice : 


Un monde de pierres (I) (08/11/2021)


Un monde de pierres (II) (07/05/2022)


Galaxies intérieures (I) (08/11/2022)


Galaxies intérieures (II) (07/05/2023)


Soleils chauves (08/11/2023)


Je renaîtrai (1) (07/05/2024)


Je renaîtrai (2) (08//11/2024)
 

5 mai 2025

Miguel Angel Asturias (1899 - 1974) : Méditations du pied nu

 

 

 

Méditations du pied-nu

 

I


Ce n’est pas la première fois,


surgeon humain porteur de bois,


que tu vois se dresser de terre


l’espoir. Ton espoir.


L’espoir pour toi ne peut que se dresser de terre.

 

 

 

Du creux des halliers et du creux des pierres,


du fond des villages obscurs et silencieux,


par les chemins baignés de sueur des mornes journaliers,


les mots sont venus t’offrir leur baiser.


Le mot. L’espoir peut n’être que cela : un mot.

 

 

 

Avec ta mince pupille de graine


tu regardes tout avec étonnement,


parce que dans tes livres secrets le retour


du bien apparaît clair.

 

 

 

                                
                                  - Ton nom ?


Ton nom, dit-on, est « Cœur de fleur qui suit la femme


et le soleil ».  Aussi « Cheveux de lianes » quand tu tombes


dans le nuage du rêve. Moi je t’appelle comme avant :


valet, manœuvre, serf, gardien, Indien...

 

 

 

Comme il est beau de s’élever à cette liberté de ceux d’en-bas


main dans ia main ainsi qu’un arbre qui grandit !


Le silence en astronomie


se change, autour de ta chair que soutient    


le tatouage interne de tes os.


Demain tout sera tatoué de squelettes


quand ton humus sera couché près des métaux,


des fleurs, des creusets printaniers


où s’élabore le cristal de ton climat.

 

 

 

Laisse-moi te parler avant que ne s’épuise en mélodies


le fils de la chèvre et de la flûte,


qui, dans le soir tombant, au croisement des fleuves,


joue parmi des troupeaux d’écume et d’agneaux...


                  O flûte pour la brume bleue


que l’eau qui court emporte au-dessus d’elle


et pour ce qu’elle traîne en ses anneaux de vivantes géologies !

 

 

 

Tout a été dilacéré. Tes doux voisinages troqués


contre des confins de violence.


Qu’as-tu fait pour que tes pieds ne soient pas tranchés


quand on a tranché le pays en multiples géographies ?

 

 

 

L’Amérique est la plante de ton pied, 


avec le grand talon d’Achille au Nord,


au Ccntre l’étroit cou-de-pied


et l’éventail des doigts gigantesque au Sud.


Mais depuis mille siècles


tu attends le retour de tes cités :


celle de l’humus vert et parfumé,


celle du jour couleur de soleil que son or aveugle,


celle des neuf amarantes suspendues aux étoiles,


celle du trille armé de griffes, doux plumage acéré,


celle de l’océan de perles, simple et caniculaire,


celle que régissent les averses


et celle de ton espoir, volcan du jour vert.

 

 

 

Ton espoir devant la réalité, 


a maintenant deux mains, tes deux mains, non celles du maître,


des mains d’où irradient les dix doigts du destin de l’homme.


Dresse-toi. Exige. Tu es flamme brûlante,


et ta conquête est sûre où l’horizon définitif


devient goutte de sang, devient goutte de vie ;


tes épaules en ces lieux porteront l’univers, 


et sur cet univers porteront ton espoir.


Sors. Contemple le ciel,


résolu et sans crainte d’être fou.

 

 

 

II

 

 

Résolu. Parfois sans savoir pourquoi, résolu.


Les racines arrachées au sol et dans le vent racines


irrémédiablement, racines à jamais,


éclairs tragiques, racines de tempêtes, pointes 


de la griffure obscure, sans ongles, jamais plus atavique


qu’en cet instant où elle doit s’agripper à ce qui la soutient.


Ne pas défendre, non, la grâce végétative de l’enfance


ni de la flûte de roseau tiède sous une chevelure de son vivant.


Ni défendre les lèvres qu’entrouvre une question.


Ni défendre, le sang brûlant.de la blessure sur la peau glacée.


Accepter à genoux, comme la bête solitaire,


l’éternité terrible d’être marqué au fer : Indien,


Indien qui éternue en un faisceau d’étoiles gémissantes,


d’étoiles de bois, par le nez des marimbas, 


tandis que le monde repose intact sous l’écorce nocturne.

 

 

 

Misère parmi l’eau, le feu


et les volutes de fumée,


auprès des mères tristes de ne rien sentir


autour d’elles, maintenant que rien ne sent plus


depuis que l’enfant est parti pour son voyage d’homme


rn remerciant le ciel de lui avoir appris


par la marche des nuages à travers les coteaux


comment faire avancer les pieds dans les chemins

 

 

 

Corrals. Ronciers. Ombres. Tigres d’oranges.


La vie de la soirée qui bat parmi les feuilles


a, pris la couleur du moisi, parmi les feuilles.

 

 

 

« Tant mieux si le fils est parti,


maintenant que vous ne pouvez plus cacher les porcs,


car l’homme au panama, le maître est venu hier


dire qu’on les abatte avant qu’ils ne soient gras. ! »


L’homme ne tiendrait pas un semblable langage


si le fils était là, qui saurait lui parler !

 

 

 

La nuit gagne au-dehors, elle envahit les huttes.


Dans les yeux/ d’un enfant une clarté s’allume.


La flamme brille et claque et la cendre se tait.


Les hommes, troupe obscure, au retour du travail,


s’écrasent sous le poids de leur propre fatigue,


sueur et terres mêlées, cheveux en croûtes dures.


La terre des sillons, la sueur de tous les pores,


et la crinière des cheveux peignés chaque dimanche.


Le silence est tombé : les pauvres se sont tus,


qui, rentrés du travail, ressemblent à des vers.

 

 

 

III

 

Chaleur. Chaleur. Le mât volant tournoie parmi les flammes.


Qui donc appellera les pluies ? Chaleur. Chaleur


Le crapaud ? La grenouille ? Moi ? Toi ? Lui ? Nous ?


Coassez ! Coassez : que des nuages bleutés


Colorent le ciel brun !

 

 

 

Chaleur. Chaleur. Le pieu, le trou, le grain


de maïs et le pied fébrile qui le foule afin que son visage


échappe à l’agouti, à la faim noire du corbeau,


au bâillement vert de l’ara, au besoin debout dans les os


du loup. Ils ont perdu et maintenant ils cherchent


le maïs à deux yeux, celui que les Dieux employèrent


pour créer l’homme dont il fut le premier aliment.

 

 

 

Le maïs à deux yeux, et non celui qui porte sur l’épi


l’étoile du matin, aveugle, solitaire.


Il brûle dans la nuit, voit en profondeur, guide


la plante au creux du sol. Il brûle aussi au jour,


découvre à l’infini, guide la plante vers l’espace


et, paraissant sur la minuscule pyramide du grain,


étend son regard végétal, ses feux de perle d’eau.

 

 

 

O destin du maïs, ô destin de ma race,


qui voit dans la nuit, étant une graine,


mais qui, naisant au jour, referme ses pupilles !


O bonheur amer, bonheur de ma race


qui sur des coraux noirs érige sa puissance !


Hier j’ai vu dans mon pays de fables, de séismes,


de graines géantes, j’ai vu, brisés mes boucliers, 


ce qui resta gisant, caché, volé à ma pupille sur l’épi :

 

 

 

La ronde de la lune autour des pyramides


aux frises de jaguars, et l’escargot du temps


escaladant la pierre auditive des temples, 


le bienfait des terres travaillées en commun, 


les lourds arbres fruitiers des végas, l’animal poursuivi,


et l’invisible, immobile sur les linteaux


des portes, nu, dressé, visage parfumé.

 

 

Les troupeaux dévalaient des pôles au tropique


y dévorer le feu. Je vis, pour le reprendre,


succomber des générations aux membres grelottants


sur cette même terre de fables et de séismes, 


succomber et gémir, gémir les cœurs


parmi de blancs icebergs, des tempêtes de glace,


jusqu’à ce jour où la colère en mille éclairs


jaillit dans l’étincelle du volcan, dans l’incendie.

 

 

 

Les troupeaux de la neige regagnèrent


leurs tanières du Nord. Luttant contre les flammes,


surpris par l’ambition, l’audace, le fer égorgeur,


je vis alors périt des générations dans les mines


et tous les trafiquants me flageller


et me troquer contre leurs chiens, marquer au fer ma joue ;


je vis, spectacle inouï, s’effacer à mes yeux


les familles de l’homme, non disparaître, s’effacer,


passer sans rien laisser, en grappes de squelettes,


en os amoncelés, les familles de l’homme


offrant sa marchandise. Et j’achète, j’achète


un peu du monde faux qu’il ne cesse de vendre. 

 

 

 

 

 

 

Traduit de l’espagnol par Claude Couffon,


In, Miguel Angel Asturias : « Messages indiens »


Pierre Seghers, 1958

 


Du même auteur :


Le grand diseur évoque ceux qui passèrent (06/05/2016) 


Marimba jouée par les Indiens /Marimba tocada por indios (06/05/2017)


Litanies de l’exilé /Letanías del desterrado (06/05/2018)


Técoun-Oumane (06/05/2019)


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Méditation devant le lac Titicaca / Meditación frente al lago Titicaca (06/05/2023)


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