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Le bar à poèmes

7 septembre 2024

Anacréon / Ἀνακρέων (vers550 –vers 464 av. J. C.) : « O enfant au regard de fille... »

Anacréon et une jeune fille. Peinture d'Eugène Delacroix, 1934

 

O enfant au regard de fille,

Je te poursuis, tu ne vois rien ;

Ah ! tu ne sais pas que tu tiens

De mon cœur les brides !

........................................

Apporte l’eau, mon garçon, et le vin,

Apporte-nous les couronnes de fleurs,

Et après quoi, je risquerai mon cœur,

Contre l’Amour, à jouer de mes poings

.........................

Ah ! qui donc

Rend la jeunesse à mon cœur amoureux

Et danse au son léger de la flûte trouée ?

..............................................

L’Amour m’a vu sous mes cheveux blanchis,

Et chez les aigles, avec ses ailes d’or,

Son vol a fui.

........................................

Et je fuis à nouveau comme fuit le coucou.

..........................................

L’Amour bûcheron, de sa grande hache,

M’a coupé ainsi que l’on coupe un arbre,

Et il m’a jeté au torrent d’hiver.

 

 

Traduit du grec par Robert Brasillach

in, « Anthologie de la poésie grecque »

Editions Stock, 1950

Du même auteur :

Le souhait (14/04/2015)

« Oui, mes tempes déjà sont grises... »  (31/05/2019)

6 septembre 2024

Adèle Nègre (1965 -) : Résolu par le feu (3)

 

Résolu par le feu

 

................................................................

Iris

six fois repris soit l’œil

de ces limbes

faces réfléchies ou conniventes

trois par trois

issus des spathes comme de langes

d’une soie

déplie l’espace concis

du périanthe

 

J’apprends à résoudre l’impatience

en un poème qui

qui quoi que ce soit est algèbre rougie

au feu j’entends l’ennui

chante pourtant le rossignol d’intranquillité

dans l’arbre il montre la nuit

sa trille oblique comme un beaupré

relance ébruite

c’est un cerne qui luit qui

cerne l’ombre du bosquet nègre qui cerne

le pré qui sombre

gorgé de sang

du temps qu’on voit

son chant réjouit la joue

 

 

Pleine saison bat son

oui son pouls

lent est dur

chargé d’eaux

feuilles aux branches

au sol

la gravier gros

même les pierres sont plus lourdes

et dures à rêver

là assise

froides

mains gourdes

 

 

Ogresse plongée dans le champ

mes enjambées écument

au fond

toute fleur est une bouche-enfant

corail où nourrir d’amour

bordée de cris

toute fleur est un œil qui hume

l’écart

des sensations

un pré madréporique soutient ma nage

 

C’est un dard qui perce en or ligulé de blanc pur une plaie consentie dans

le vert universel gorgé de ce jour gris d’un gris humide ce jour morne

et froid se mouche de glaires mauves et de glaives

des toux poussent les mains sèchent toutes inusitées l’urne ne suffit pas

sèche aussi

sèche sèche est notre vue devant

longtemps que nous n’ avons eu cela la splendide humilité de la marguerite à

l’œil l’arme nous vient avant

c’est la larme qui perce nos vues et pour cause nous trayons le monde

nous trayons jusqu’à nos paumes

magnifiques nous trayons sans cesse et pour qui

« désolé de vous traire ainsi, madame, c’est la duuuure loi de l’ouest »

dit Tex

en bouche nous pleurons rageons et comptons

c’est dit nous ne vivons pas nous soumettons et mourons et des enfants

naissent privés de pluie et de tout

et traits pour traits il n’est pas sûr que nos pauvres traces laissent

des larmes dans la mêlée de l’humeur

la marguerite elle rudérale perce les gravats

 

 

Je dépends depuis hier

de l’astre ligulé haut suspendu

au-dessus de tout

de toutes les herbes solidairement confondues en une

prairie prairie-des-verts

lustre pentu que le capitule bouscule

par son consentement à la lumière

 

 

Le hangar tend sa baie noire au jour

pluvieux noirci qui creuse

l’échelle restreinte et saturée des couleurs

mais la marguerite

ce n’est pas qu’elle suspend

elle tremble le temps concentriquement

autour du disque  sessile

or : un paradoxe de splendeur

et d’humilité

 

 

Sans savoir

le pas désormais si douloureux

je suis

ici puis là puis

où va savoir

ce pas que je sache et

d’autres qui m’ont

à gravir la mesure des nuits

foulée grandes et combien hautes sont les marches

je ne pleure pas je trouve des fleurs

et puis

à la courte échelle il excelle le rossignol dans le noir

 

 

Le fleuve

je suis dedans et je marche à côté

je viens d’où il s’en va

vaquant

la rive invite à voir son double

au loin comme elle paraît rejoindre l’autre

dans un coucher scintillant

la clarté tremblante des pissenlits

et les cillements des grandes-éclaires

je m’incline pour voir ce qui vient

en quel radical sinue cette voie

voire

source s’insinue

dans ma voix

 

 

Quelle racine est ce fleuve

qui traverse la ville

un long parti sinueux que je

jouant avec les rives

suis autant que rêve

je rêve le fleuve

un pour deux rives

qui continue derrière

prolongeant ce qui coule

en haut : nuages et grues

en dessous : fontes racines et des grives

un merle noir réverbère

le lendemain sourd dans l’inversion

de la nuit

la voie de vent converge au coude

avec le cœur

quand le couloir sort de la ville

c’est le jour d’après

 

 

La tête bourdonne au ras des

mottes la berge dormante

j’attends le vent

pour sentir ce qui coule

sauf

sauf les nuages là-haut

les papilles hérissent la houle

épidermique sensation de fuite

avec la menthe

et dessous ce qui fond

les racines et les os

et nous

sans mots

les yeux rivés

vers ce qui converge

en vert

 

 

Les bords flous

s’effritent

sous le clapot

battement simple de l’air

où salicaires faux-roseaux et orties

abritent

les trois canards agitent

leur œuvre vive

l’œil fixe

les saules lentement

et quoi les saules ?

Les saules fixent la feuille

et ‘ombre lancéolée

dans la mémoire ajoutée

de la menthe foulée

 

 

Et brutalement - que le temps est brutal –

des roses

- rose voici un lieu – et des leurres

gros comme un poing

de la clameur et l’allant

des têtes penchées par cent

incurvant tant d’attentes

les questions se défont et les bras tombent

silencieux

c’est assez la vie que je vois

exposée

et stupéfiée

j’arrête et ne regarde pas en aval

 

 

Mai passe

et hausse des lacs de lumière

des taches dansent

voiles en sa montée

un nu sans plainte trouve ses fleurs

 

 

Jour

du rossignol

il escalade les poumons

et le sol brûle la plante

aux pieds chaque escale enfièvre

l’appétence

vers l’échelle du tilleul

où c’est relâche

....................................

 

 

Résolu par le feu

Bruno Guattari, Editeur, 41250 Tour en Sologne,2018

De la même autrice :

« Tu ne tonitrueras pas... » (07/09/2020)

Parler avec le sphinx (extraits) (06/09/2021)

Résolu par le feu (1) (06/09/2022)

Résolu par le feu (2) (06/09/2023)

 

 

5 septembre 2024

Paul Quéré (1931 – 1993) : Bodérès

 

Bodérès

 

Poussières de pluie

que l’ouest par rafales

expectore sur la pilosité pubienne

de la campagne

L’ombre des vallons amollis

par l’excitation de l’attente

tangue arrimée au doigt

de quelque Dieu du Large

 

Ce jour est une nuit que

les arbres éclaboussent

de l’encre séminale

d’une mémoire endormie

 

Rêve de neige étale au bord

du souvenir comme d’un

oiseau de proie à l’aplomb

de l’enfance le regard d’un hiver

qui ne mena nulle part l’année

de la déclaration de guerre

à l’école communale

de Plonéour-Lanvern

 

« les fleurs sont immortelles.

Le ciel est intact.

Et ce qui sera n’est qu’une promesse »

Un an déjà qu’Ossip

Mandelstam était mort

Pierre de rêve

dans un jardin

d’une tout autre neige

à Vladivostok

 

Poèmes d’en Bretagne

Editions Blanc Silex,29350 Moëlan -sur-Mer

Du même auteur : « Comme rivé à l’étoile polaire... » (13/03/2022)

3 septembre 2024

Iliazd / Ильязд (1894 – 1975) : Sentence sans paroles

 

Sentence sans paroles

 

Dans la ville où le jour et l’an muaient

si tu passas tout juste deux semaines

neiges divises brumes que promènent

l’hiver à l’occasion ne refluait

 

Ou la mémoire fauve conspuait

ou pour nos vieux ancêtres notre haine

à vivre en rêve pas en vie humaine

à nous dissoudre d’un réveil fluet

 

Rien à toucher à voir et guère à dire

que l’art est glauque et la parole pire

tourne la page l’âme est aux abois

 

Pas d’autres commentaires tu décides

j’entre à jamais dans cette chambre vide

libre de crainte tu poursuis ma voie

 

 

Libre de crainte tu poursuis ma voie

en route vile au bord d’un précipice

où des chevaux nocturnes retentissent

un fleuve enfui armure col étroit

 

Tes mots sont étouffés sur les parois

de glace lune abrupte subreptice

ils couvrent noirs les pierres qu’ils noircissent

ils cabrent les chevaux ils crient l’effroi

 

Crinières des forêts des roches vives

le mur bouillonnant engloutira la nuit

répercutant une aube vacillante

 

Précipitée dans une vie sans rives

la vieille mort t’absout pour aujourd’hui

peut-être pas finalement consciente

 

 

Peut-être pas finalement consciente

recouvre-moi oublie je ne suis plus

rien dans l’été pourri qu’aura voulu

dame-nature notre mère et tante

 

L’aube moisie fayote sur les sentes

dépiaute les dépouilles du reclus

les plumes du pivert le jour s’est plu

faisant la belle reine déficiente

 

La cruche le raisin le pain porté

dont le piéton perpétua l’usage

ruines des dieux la terre aux vieilles lois

 

Le ciel s’effacera de l’œil bleuté

ne découvrant ni larmes ni nuages

inapte à maîtriser le gouffre toi

 

 

Inapte à maîtriser le gouffre toi

au loin des tours tes pavillons s’installent

la vague ne viendra fondamentale

cernée d’amies crieuses frêles joies

 

N’accuse pas l’été qui s’atermoie

les siècles entassés mon âme étale

si tu réveilles dans l’issue fatale

les fleuves bouillonnants les chants de soie

 

Vision nouvelle dans un cadre antique

loin des montagnes des replis pontiques

où te morfonds gravée munie d’écrins

 

Et tu devines juste un vent qui vente

que tu reposes comme le bon grain

dorénavant ni morte ni vivante

 

 

Dorénavant ni morte ni vivante

la voûte bleue dans le château désert

est prête à mettre en phrases le concert

nommant l’étoile dans le soir filante

 

Dans l’escalier où la forêt se plante

l’interdiction fait sa dentelle en fer

sans armes lourde de son propre enfer

secret polichinelle mise en vente

 

La repentance les aveux sans nom

ne pourront pas changer cet ordre rond

globalité brillante impérative

 

En vain pour moi tel monstre qui aboie

en vain l’horloge et la locomotive

au prisonnier du feu des astres froids

 

 

Au prisonnier du feu des astres froids

la rose en fleur l’esbroufe des tavernes

syllabes non liées ne me décerne

ni les lauriers ni d’autres si je crois

 

La nuit fera la veuve chaque proie

qui se transforme en nous quand l’or nous cerne

ma route quoi c’est la parole terne

le cœur incohérent mon sombre choix

 

Que les baudruches de nos premiers songes

s’élèvent dans la brume que prolonge

ce faux demi-sommeil ce presque faux

 

désengourdissement que mon défaut

demeure laisse-moi ces consolantes

pour l’indicible clés d’énigmes lente

 

 

 

Pour l’indicible clé d’énigmes lentes

La route en fer nous mène loin

La canne d’encre ne soulage point

La page aura son poids la virulente

 

L’automne l’étrangère la démente

laisse envolés les bataillons témoins

nuages grisonnants son triste soin

démêle fait des nattes parlemente

 

Tu préféras la guerre aux cœurs souillés

et l’incommensurable quenouillée

tendresse ma fileuse clandestine

 

S’affole en plaine assassinée sanguine

je sors de cette vie de pékinois

sentence sans paroles vient ta voix

 

 

Sentence sans paroles vient ta voix

soit en furie soit bénissant les choses

vent des collines qui la teint de rose

et lui miroite le ruisseau pantois

 

Hérauts d’hiver en marche dans les bois

rossignolantes sans métamorphoses

mes teintes s’éparpillent se déposent

sapins de l’encre hêtre qui pourproient

 

Toi satisfaite de la route trouble

tu fais la fière mais ton jeu est double

légère un vent frivole adieu s’asseoir

 

Au seuil mauvais de la taverne soir

si vous saviez si si je suis méchante

et je moissonne les saisons couchantes

 

 

Et je moissonne les saisons couchantes

vient le chanteur l’orchestre les signaux

l’agneau que porte le porteur d’agneaux

service à la Noël et l’homme chante

 

Le sort du verbe juste m’épouvante

chez les braillards les chiches les corniauds

comme ils ne cachent leurs replis faciaux

leur masque affiche quelque mort violente

 

Ô science du langage tu régis

le feu qui couve le restant de cire

le gouffre jaune pourpre la bougie

 

Scintille sans écho résiste étire

consume-toi sans trace te rongeant

de flamme droite le reflet changeant

 

De flamme droite le reflet changeant

le port s’est emparé des monts qu’il toise

leçon des siècles fermement narquoise

pour te complaire scribes diligents

 

Les brumes n’auront rien nous assiégeant

sans la dorure ancienne la turquoise

ni les abeilles vides qui dégoisent

festin de crénelures dur argent

 

Là sous l’emprise vieille des décombres

la plume trace jusqu’à la pénombre

qui te protège et t’offre le matin

 

La page bleue ne vole plus altière

les vents reviennent vers leur bon latin

la nuit donne à mon ombre sa matière

 

 

La nuit donne à mon ombre sa matière

la caverneuse insiste vit toujours

qu’ils errent sur la lune les balourds

mes faux miracles mes visions plénières

 

Que la diversité de nos litières

demeure l’une où quelque fleuve sourd

la houle c’est la mer sans les contours

rien ni personne on s’y voudrait poussière

 

Toi découvrant la horde de mes rats

ils fusent comme ils grouillent parviendras-

tu à les fuir dans la lumière dense

 

La foudre en moi soudain qui refluait

unique pour nous deux la récompense

dans les murailles et les murs muets

 

 

Dans les murailles et les murs muets 

fréquentes ma terreur et ma détresse

en nœud serré se roulent mes tristesses

et l’espérance orage que tu es

 

Les pierres et les vents s’évaluaient

pas un qui bouge de sa haine épaisse

mais les héros s’érodent se repaissent

d’eux-mêmes guerre sourde ils engluaient

 

J’obstine nomadise l’œil et l’yeuse

trembleur d’automne du printemps du veuf

je dors en plein soleil je crains le neuf

 

Je parle dans les salles silencieuses

où sans plafond le vide est exigeant

je te cherchais aveugle chez les gens

 

 

Je te cherchais aveugle chez les gens

je reflétais de glace en glace l’onde

les routes tortes des forêts profondes

les doutes louves mais en plus méchant

 

Le ramené en pourpre sur les champs

le jour rappelle que vengeance gronde

pas une roche n’est plus seule au monde

pas un oiseau plus libre que ce chant

 

Voir voir sans cesse pesamment en garde

pas touche aux lampes toute montre en toc

tu apparais alors et je regarde

 

Tu me dépeuples comme une incendiaire

ô cendre plus obtuse que le roc

toi qui delà les âges les frontières

 

 

 

Toi qui delà les âges les frontières

au centre invraisemblable des brûlis

je tresse ta couronne qui me lie

à quelque faute obscure mais première

 

Les rimes sur les tombes font du lierre

et le silence de l’étoile oublie

que son écho le jeu des sons emplit

sa caisse résonnante et singulière

 

Je mène au bout les cercle des adieux

hasard fermé notre journal aura lieu

dans les colimaçons de la mémoire

 

Nous fûmes nous notre ombre remuait

survint la mort éblouissante et noire

dans la ville où le jour et l’an muaient

 

 

Libre de crainte tu poursuis ma voie

peut-être pas finalement consciente

inapte à maîtriser le gouffre toi

dorénavant ni morte ni vivante

 

Au prisonnier du feu des astres froids

pour l’indicible clés d’énigmes lentes

sentence sans paroles viens ta voix

et je moissonne les saisons couchantes

 

De flamme droite le reflet changeant

la nuit donne à mon ombre sa matière

dans les murailles et les murs muets

 

Je te cherchais aveugle chez les gens

toi qui delà les âges les frontières

dans la ville où le jour et l’an muaient

 

 

Traduit du russe par André Markowicz

in, Iliazd : « Œuvres poétiques »

Editions Mesures, 2020

Du même auteur :

« A l’automne... » / « Осенью... » (04/09/2021)

« La guerre éructe » (04/09/2022)

« Je fus j’ai cessé d’être... » (04/09/2023)

3 septembre 2024

Kenneth White (1936 - 2023) : Dans les paroisses du sable

 

Installé à Trébeurden, l'écrivain Kenneth White travaille encore 12 h par jour à son oeuvre.(2022) ©Marie-José Mignot

 

Dans les paroisses de sable

 

Commence, par exemple, à Brouage

 

remparts gris

au milieu des marécages

le cri d’une linotte

au-dessus des parcs à huîtres

un vent frais soufflant de l’ouest

 

marche le long des rues quasi désertes

(« les jeunes quittent le pays

qui les en blâmera ? »)

jusqu’à ce pilier surmonté

d’un globe terrestre blanc et usé

 

dans l’église

(humide et froide, murs chaulés de blanc)

sur un vitrail

tu liras ces lignes :

 

la mer s’est retirée de la terre

comme l’Histoire

et la forteresse inconnue

ne vit plus que grâce

au vent qui passe

 

ici Champlain pria

avant de partir une nouvelle fois pour Hochelaga

et seul maintenant le vent souffle

sur le port ensablé...

 

pousse ensuite un peu plus vers le sud

jusqu’à la pointe des Espagnols

en suivant cette côte

que longeaient les bateaux phéniciens

en route vers la Cornouaille et l’étain

 

descends par Royan

et les vignobles du Médoc

(Théon vécut là dans une hutte au toit de roseau)

traverse les eaux sablonneuses de la Gironde

et tu atteindras ce chapelet

de villages silencieux

où le sable s’empile

contre le bois blanchi

où l’herbe des dunes

ploie sous le vent du large

(longs rouleaux déferlant sur les plages)

 

marche là

dans ce grand vide

rempli de lumière

 

et pense à tous ces lieux

à toutes ces traces

 

perdus dans le sable.

 

Traduit de l’anglais par Marie-Claude White

In : « Les rives du silence »

Editions du Mercure de France,1997

Du même auteur :

Le Grand Rivage (1 - 53) (06/09/2014)

La porte de l’ouest (02/09/2015)

Lettre à un vieux calligraphe (03/09/2016)

Théorie (03/09/2017)

« La pensée est une pensée... » (03/09/2018)

Java (02/09/2019)

La rivière qui traverse le temps (03/09/2020)

Le testament d’Ovide (03/09/2021)

En toute candeur (03/09/2022)

Cérémonie d’hiver (03/09/2023)

2 septembre 2024

Horace / Quintus Horatius Flaccus (65 av. J.-C. - 8 av. J.-C,) : « Trop longtemps le Père... » Iam satis terris ... »

 

 

 

Trop longtemps le Père a jeté sur terre

neige et grêle atroce et sa dextre rouge

sur les monts sacrés a laissé tremblante

          Rome, tremblantes

 

les nations de peur que revienne l’âge

où Pyrrha pleurait ces nouveaux prodiges :

voir Protée menant vers les hautes cimes

          paître ses bêtes,

 

les poissons perchés au sommet des ormes,

ce séjour, naguère, pour les colombes,

et les daims farouches nageant dans l’onde

          dévastatrice.

 

Que ne vîmes-nous ? – Les flots d’or du Tibre,

dévaster, jetés loin des bords étrusques,

et les monuments d’un roi et le temple

          de nos vestales

 

quand le fleuve-époux d’une Ilia dolente

qu’il vengeait, malgré Jupiter lui-même

hors de lui, roulait sur la rive gauche

          ruine et sinistres.

 

On dira le fer aiguisé des luttes

entre citoyens, non les guerres perses,

à ces jeunes que le forfait des pères

          laisse trop rares.

 

Quand l’empire croule, quel dieu le peuple

priera-t-il encor ? par quels chants les vierges

lasseront Vesta qui se tient hostile

          à leurs prières ?

 

A qui Jupiter confiera la tâche

d’expier le crime ? Pourtant, réponds à

nos suppliques, ceint de nuée candide,

          viens, ô prophète

 

Apollon, ou toi, riante Erycine,

dont Amour et Joie font l’heureux cortège,

ou, si tu reviens vers ta race en peine,

          toi, l’origine,

 

rassasié d’un jeu harassant, que charment

les clameurs levées et les casques lisses

et les yeux du Maure sur sa victime

          déjà sanglante,

 

toi, sinon, ailé, imitant l’image

d’un jeune homme, fils de Maïa la sainte,

sois nommé « vengeur de César », accepte

          notre prière,

 

tarde à regagner ton séjour céleste,

reste encor, heureux,  chez ton peuple, à Rome,

et que ta colère contre nos vices

          comme un grand souffle,

 

ne t’emporte, ici, jouis de tes triomphes,

aime, ici, le titre de père et prince,

et punis l’orgueil impudent des Mèdes –

          ô, César, règne !

                                         (Odes, I,2)

 

 

Traduit du latin parAndré Markowicz,

In, André Markowicz : « Partages 2015-2016 »

Editions Mesures, 2022

  

 

Iam satis terris nivis atque dirae

grandinis misit pater et rubente

dextera sacras iaculatus arcis,

          terruit urbem,

 

terruit gentis, grave ne rediret

saeculum Pyrrhae nova monstra questae,

omne cum Proteus pecus egit altos

          visere montis,

 

piscinum et summa genus haesit ulmo,

nota quae sedes fuerat columbis,

et superiecto pavidae natarunt

          aequore dammae;

 

vidimus flavom Tiberim retoris

litore Etrusco violenter undis

ire deiectum monument regis

          templaque Vestae,

 

Iliae dum se nimium querenti

iactat ultorem, vagus et sinistra

labitur ripa Iove non probante u-

          xorius amnis;

 

audiet civis acuisse ferrum,

quo graves Persae melius perirent,

audiet pugnas vitio parentum

          rara iuventus.

 

Quem vocet divum populus ruentis

imperi rebus? prece qua fatigent

virgines sanctae minus audientem

          carmina Vestam?

 

cui dabat partis scelus expiandi

Iuppiter? Tandem venias precamur

nube candentis umeros amictus

          augur Apollo;

 

sive tu mavis, Erycina ridens,

quam Iocus circum volat et Cupido;

sive neglectum genus et nepotes

          respicis auctor,

 

heu nimis longo satiate ludo,

quem iuvat clamor galaeque leves

acer et Marsi peditis cruentem

          voltus in hostem;

 

sive mutata iuvenem figura

ales in terris imitaris almae

filius Maiae patiens vocari

          Caesaris ultor,

 

serus in caelum redeas diuque

laetus intersis populo Quirini

neve te nostris vitiis iniquum

          ocior aura

 

tollat: hic magnos potius triumphos,

hic ames dici pater atque princeps,

neu sinas Medos equitare inultos

          te duce, Caesar.

Poème précédent en latin : 

Ovide : Pénélope à Ulysse / Pénélope Ulixi (26/01/2024)

1 septembre 2024

Edouard Glissant (1928 – 2011) : L’eau du volcan (2)

 

© Pierre Pytkowicz

 

L’eau du volcan

......................................................................

     Il vint à un Plateau

     Où ne poussait ni bas ni haut.

 

     Il fouilla Morne et sables morts. Et sous le sable, morts

     Vaquaient les mots, tortus d’être vacants. Il enta les mots

     D’encan de treize langues se tramant

     Dans l’Unité blessée.

 

     La mort est d’unité

     Où ne se blessent

     Que vains sables rapportés.

 

     L’écho montant criait : « Ne foulez plus d’exclamation. Finissez d’avec la

houlure. » L’écho descendant, ah ! déhalait son double, qui ainsi criait.

     « Il est des mots qui brûlent en leur lieu, ils ne servent qu’à une fois.

     « Ils ne paraissent à métier ni à beauté d’usage,

     « Et n’est de langue pour pays, où tous langages s’émerveillent

     « L’ordre des mots distrait le monde... »

 

     Il descendit dans la houlée du bois.

 

 

     Dans la houlée lèvent les Veilles

 

     Ceux qui sonnent musique à ventée nue et exposée. Ceux qui encore joutent

en Joux. Celles qui nomment les nuits de case en l’Elysée. Tous ceux qui vont,

à cheveux peints déracinés. Goûteurs de boudin grêle ou de gras qui vacille.

Ceux qu’on charge à boulets pour les profonds verdis. Ceux dont le jarret fume

et cille. Les éventées à qui roucou ne vaut. Qui mangent de terre et mènent

cette armée.

 

     Il entreprend la strophe dure où n’est vanté

     Ni l’ample du verset ni la douceur de l’acclamée

     Mais vent y coulent, chutes houles.

     Raideurs des mains et nues acclamations.

 

 

     Le feu boulait au Lamentin, où une jeune fille a tâté du pied sous la mangle.

     Ella connu l’eau de volcan, dans l’eau glacée de la cohée.

     Un tambour gras battait le sang, faisait laver salures d’ans,

     Hélant de chaux en froid et de froid en vœu qu’on étrangle.

     Une jeune fille initiée.

 

 

     Lui dirent : « T’acquittons de nuit. De vent. D’obscurité.

     « Consentons que tu vailles de profonds à étendue.

     « Que tracée aille par nos corps, morts enlavés

     « De Pelée à Cohée à Diamant désoccupé... »

 

     Alors il me fit signe de marcher dans le pays. Mais tout enfant je ne pouvais

     Suivre dans l’eau de feu les Enofis qui le suivaient.

 

 

     Famines d’eau ! Et rauques cécités des assoiffés.

     Ils disent : « C’est la terre, la chiennée, la bien tarie,

     « Qui ravaude sa houle au désordre de l’eau. »

 

     Cette mangue a crié son feu fané sur l’ais du tré.

 

     Mécréants que sulfurent les typhons que vous tonnez

     Enfants asséchés en tant de matins

     Femme qui va, un chevreau mort au sein.

 

     Il voit comme à brui dans tout ce cri un lent pays de sable, et comme cette

barque a navigué sur nos maronnes agonies

     Et comme nous halons dedans nos mains un peu de cette pluie, d’où nous

advient boue à talent et blanche félonie et comme

     Ô sabliers, le poussement de vos Pelées nous a brûlés.

 

 

     Laves. Sévies de feu, d’eau alenties.

 

     Et a surgi Celui qui manque au sable et court à l’erre du Tout-monde.

     « Que viens-tu là, ô Bas-Terrien ? » L’eau du Canal gouffrait aux vergers de

Liban.

     L’antre du Mont roulait cabane en l’Anse.

     « Allez grand prose de leur cri dont s’est hulée la Pointe-à-Pitre. Convier

ramage aux Îles, pluie aux errés, bleue patience ! Et toute lie à vif. »

 

     Et toute vie à vif, au vieux cyclone de l’année !... Il monte en mer, il a

piété... Il a noué gorge de mont à foulard piètre... Et cette idée qui va tonnant le

fiel et le courant jauni... Comme semence de chadron !... Comme lait de

bécune en folie !...Jusqu’à hausser, où joue la roche avec le rouge des maïs, la

baille d’eau qui fut nacrée d’un lourd de mots, tout à veille de la Tracée...

 

Failles, qui surgissez.

 

NOTE

 

     Bécune, chadron, mantou, vonvon sont des espèces de la faune antillaise.

     Le bel-air est une danse ordonnée, qui trace des figures sur l’aire du bal.

     Bezaudin est un Morne de la Martinique, reconnu pour la qualité de ses

conteurs et de ses tambouyeurs.

      Cayali, flambants, frégate, messager, ortolan, pipiri, sucrier : Oiseaux

comme disparus de nos paysages.

     Laghia. Les créolistes recommandent d’écrire : Ladja, qui à mon sens trop

béniment caresse.

     Mabi est pour le boire, migan pour le manger. Mais un manjé-kouli est une

cérémonie religieuse hindoue, en pays caraïbe.

     Connaissance en réel abîme.

 

Pays rêvé, pays réel

Editions du Seuil, 1985

Du même auteur :

Laves (01/09/2014)

Le premier jour (01/09/2015)

L’œil dérobé (01/09/2016)

Versets (01/09/2017)

Pays (01/09/2018)

Le grand midi (01/09/2019)

Saison unique (01/09/2020)

Saisons (01/09/2021)

Miroirs / Givres (01/09/2022)

Afrique (01/09/2023)

L’eau du volcan (1) (01/09/2024)

1 septembre 2024

Edouard Glissant (1928 – 2011) : L’eau du volcan (1)

 

Droits d'auteur : ©Mario Dondero/Leemage

L’eau du volcan

 

PRESENTATION

 

     Le fleuve et la rivière que voici sont en profonds. Ils roulent et fouillent, de

laves enfouies en salines à vif. Depuis l’entraille du volcan, au nord du pays de

Martinique, jusqu’aux sables du sud, par les chemins enterrés des mangles et

des cobées. Descente aux connaissances. Géographie souterraine, qui donne

force à l’étendue du monde. Ne pas craindre les profondeurs. On y voit passer

les personnages d’un mythe sans fond, Ata-Eli, les Enofis, qui gardent secret.

Le driveur suit un nuage, par traces et fonds, soutenu du vent, sans

désemparer. On dit qu’il est fou.... Quand le voyageur se réveille d’un tel

 fleuve, la lave vient en sable aux plages sans marée. Emergence de la parole,

tout au sud de l’imaginaire. Elle déroule et oriente.

 

 

Faille, surgie d’un roc...

*

     Le poète descend, sans guide ni palan, sans rive ni sextant ni clameur

demeurant

     Et l’empreinte du volcan l’ouvre d’une eau de sable.

 

     Il descendit, le feu courant gelait en lui, sans aspes ni douleur

     C’était douceur que cet envalement de laves parmi lui

     Un arbre, un arbre qui se croit, gravissait en cette coulée

     Faisait présage au vent d’un gros de roches qui brûlaient

 

     Et les marchés de rimes coloniales, d’arum sans goût, de blanc piment, et

les crachées d’où nous aura grandi néant, l’espoir aussi l’espoir têtu comme

migan,

     Tout avec lui couvait tombait dans la Pelée.

 

 

     Il descendit aux bas de la Rivière Blanche, il vit qu’elle était rouge.

     Elle était rouge comme rêve déventé.

 

     La trace prenait fond au cratère du Mont. Pas une roche ne lochait.

     Le nuage, le nuage-même, tournant à vœu, dérobait l’entrave

     Il y venait des camélias, des fleurements de balata

     Il marcha dans l’envers de terre, ses talons passés par devant

     Ainsi que dit le conte : Qu’il inventait midi avant matin chantant.

 

     Il tombait dans l’envers de sa vérité, au travers d’un pont, et le pont

     Flambant courait l’abîme

     De haut sans souci à bas qui divague.

 

      L’envers de vérité lui dit : « Cette rivière a sonné blanche quand elle ajoute

à la Lézarde

     « A Jonction, où une bête-longue a fait triangle avec l’eau les bambous. »

 

     Il di : Cela est vrai. J’ai vu son âme triangulaire en proue. Elle a passé au

loin de nous, soigneusement.

     « Traçant sa mire dans l’eau ridée. »

 

 

     Il respira dans l’eau la semblance de la Noire Aimée

     Pour ce qu’à simuler nous encontrons réalité

     N’allant si c’était terre ou tout-douce mélancolie

     Ou si c’était roche désolée sur l’incendie ?

 

    « Je t’ai nommée, de champ nouveau, temps de vezou et batterie

    « Enflamme du bateau où nous avons si long mûri, je t’ai nommée

    « Passage, où j’ai ravi au vent sa palme, à la mémoire son semblant

    « A l’eau son goût d’avant et j’ai scellé ton simulacre et j’ai

     « En l’odeur pâle de ton nom, Ata-Eli, désassemblé

    « La rive qui ne va, l’eau qui ne porte, où tu m’auras nommé. »

 

    Ou si, dans ce boucan de flammes, feux et rageries,

    C’était flammes qui rient d’avoir toujours semblance en lui ?

 

 

     De même miroir arrima cette prophétie

     Des bougres dérivés du plus haut de ce temps passé.

 

     Ceux-là qui rassemblaient marmaille loin de case, ils barricadaient le

silence

     D’un feu de feuilles amolies, tout comme à gens meurtris, puis ils dressaient

un réchaud d’eau

     En mitan de la case, ils récitaient sur l’eau

     Les malédictions enfoulées, un linge enferrait leur tête, les enfants

     Songeaient que c’était fièvre, douleur et cataplasme, c’était

     De citer vers les fonds l’en-vérité crouie, la douleur sans mémoire...

 

     De même mémoire arrima le cri

     Du conte prophète et du vent qui dit.

 

 

     Il descendit. Un pur bourreau passait au fil de l’eau sa hache son ciseau

     Et nouait terre de Mali à l’Ande écartelée,

     Il le salue. Brandons de lune, haillons de lave, trouent le soc. Des villes

     Surgissent, filaos candélabrés de feu. Des mille

     De dieux sans nom quêtent l’emblave du poème.

 

     Tenait le pont une halée de Justes. Lui dirent : « Nous ne saurions, en tant

d’obscurité. Quel est ce vent ? Où, ce balan ? Quoi, cette opacité ? »

 

     Il les quitta. Il descendit.

     Une Ombre là en grand temps s’effarait.

 

 

     - « Quoi mon Colomb », dit-il, « encore une fois rameuter ta folie, encore

une fois ?

     « Nous le savons que tu reviens chaque fois cinq-cent cinquante-cinq ans

     « Par marée des profonds qui s’émet de volcan à la plage,

     « Plus épais que cendre de roche qui tourne à sel

     « Tu es éternel plus que souffrance démarrée nous le savons. »

 

     - « Ô Stupéfait. Mes yeux tourmentés m’ont jeté

     « Vers où l’infinité ne souffre plus mesure ni cadran,

     « Ni plus ni loin, ni pour l’Indien roui ni pour l’Infant

    « Dont on soutient la main quand il scelle les Ordonnances.

 

     « J’ai souvenance n’avoir jamais armé les lourds poissons rampants

     « Ni désolé leur antre d’un lourd d’Africains blets

     « A peine eus-je tanné un tant de mille d’Arawaks

     « Quand il fut nécessité. Ô stupéfaits, voyez

     « Les morts d’antan, que pèsent-ils aux morts d’hier ?

     « Que font boussole et carte aux machines qui voient de nuit,

 

     « La main huant daguaie à doigt qui presse le bouton ?

     « Et si tremblé-je d’un feu louvant

     « Est-ce de même vérité ? »

 

     Or, négligeant réponse et reprenant veillée

     Il retint à long temps un driveur pénitent,

     De ceux qui prennent en nuage boussole carte lourds sextants. 

............................................................................................  

 

 

Pays rêvé, pays réel

Editions du Seuil, 1985

Du même auteur :

Laves (01/09/2014)

Le premier jour (01/09/2015)

L’œil dérobé (01/09/2016)

Versets (01/09/2017)

Pays (01/09/2018)

Le grand midi (01/09/2019)

Saison unique (01/09/2020)

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Miroirs / Givres (01/09/2022)

Afrique (01/09/2023)

31 août 2024

Dominique Sorrente (1953 -) : Le dit de la neige

 

Le dit de la neige

 

Nous avons retrouvé la neige, elle mangeait ici

des fruits secs. Rien ne lui importait tant que de laisser

le jour s’accomplir.

 

Nos pas glissants se souvenaient des autres pas.

 

L’hiver.

C’était d’abord cela, l’hiver, prisonnier pur de l’imparfait.

Celui qui attendait des signes pour entreprendre

vivait dans cette neige.

Là.

*

 

Car le monde est ainsi couvert du blanc qui ment, de celui qui apaise.

Heureux es-tu, plein jour de l’homme ou du grand arbre,

toi qui sais ne pas les confondre !

 

*

Et le voici, de pleine écorce, rendu muet,

abandonné de ses feuillages.

Il entre en son silence qu’ignorent les instants des villes.

 

Au skieur de fond qui le frôle, à ses bâtons qui jettent

la cadence, qu’a-t-il à dire ? Il laisse faire.

Un autre temps, d’allonge ou de paroi,

travaille à ses racines.

 

Ce qu’elle aime déroute toujours mes mains.

 

La place est libre pour ces lumières de vent à naître, pour le cours d’une joie

d’adresse survivante. Aucun témoin

ne s’échappera du pays parallèle.

 

Un jour aura fini selon l’épitre de l’hiver.

 

*

à Gilles Antonowicz,

ami dans les premiers matins

 

Ma naissance alors est comme celle d’un ami de la neige

qui vient vers moi depuis les jours serviteurs de l’enfance,

 

ma mort est cette perte d’alambic

comme celle d’un ami de la neige

qui s’absente pour des années encore,

 

quand devant nous marchent les lettre en retrouvailles

le génie de décembre au cœur.

 

Il est beau, ce claquement d’ailes entrevues dans la lenteur de la forêt.

 

Aucune feuille ne courbera le ciel,

 

Aucun calcul n’aura son chemin de ronde en ces lieux.

 

Un peu de terre recouverte

occupe toute l’histoire.

 

*

Je prends cette parole qui gèle sur le visage.

 

Je taille l’aigle du temps.

 

Là, je porte mon cri.

 

Quand la nuit héritière revient à pas de loup,

je suis toujours le même enfant blotti.

 

*

Ils ont pillé l’ombre et la blancheur de l’ombre.

 

A présent, ils sont devenus corbeaux qui rasent le champ.

Et je les vois, sous leur tremblement noir, quand ils tournoient au soleil, plus

bagués qu’on ne pense.

 

Homme sept fois perdu,

quand t’arrivera-t-il de demander

ta route à la montagne,

faire tienne l’histoire d’une étoile du Berger

qui s’évanouit entre tes mains pour t’enchanter.

 

*

Fais peser tes givres. Amarre tes soleils.

 

La raison pierreuse du Drac

Est plus nue que toutes tes soifs

 

Heureux les enfants de neige qui se sont faits bonshommes .

 

A l’angle mort des lumières, ils sifflent de l’un à l’autre

pour une branche où se dessine un bras,

deux gros cailloux pour voir de leurs seuls yeux,

une écorce qui se fera chapeau.

 

A l’éclaircie de quelque mots,

vous les mettez à découvert, enfants prodigues

qui ne veulent plus repartir,

tant que le jour n’aura pas fondu tout entier

sur leurs mains.

 

Alors et sans attendre, connaissant déjà tout

du temps inculte ou disloqué,

ils signent le moment fantasque

qui les a mis au monde.

 

*

Seul,

ce pourrait être cette pierre à partage.



Le souffle du non-retour

du vent,

le premier logement du soleil

au sommet,

à rendre rose la montagne.

 

Ou bien seul,

la transparence d’un pas perdu, gagné,

tout blanc sur noir

comme une voyelle intermittente.

 

 

J’attends cette aube

ajoutée aux pierres,

 

étendue à tous,

universelle.

 

J’attends cet arbre

jumeau du feu,

qui rêve sur l’oreiller d’emprunt

depuis le jour enfoui de ma naissance.

 

Des oiseaux réveillent les branches,

font un baptême de leurs sèves

comme si ayant perdu le chemin du retour,

nous nous rencontrions pour la première fois

 

Jusqu’aux extrêmes,

Nous allons dans cet étonnement.

 

*

Quelques minutes encore, la nuit amie mêlera

la neige à notre souffle

 

Pour dire quoi, au juste, de ce que je ne sais pas ?

 

Car toujours, elle m’entraîne dans son atelier

pour me montrer les outils oubliés : la peau-tambour

qui résonne le monde, les mots de passe

dans leur migrations de lumière, les débris de miroir

qui s’impatientent au firmament,

miettes de pain pour affamer l’idée de mort,

 le corps d’une lampe qui brûle,

brûle encore.

 

*

Les cahiers tremblent contre le blanc de l’écriture.

 

Ils savent la saison qui ne s’annonce pas.

 

Posés sur un coin de neige, ils retrouvent soudain, leur humeur de bivouac.

 

C’est ainsi que je les préfère avec la peur qui s’appuie

plus légère sur le pays muet des choses.

 

Mes cahiers ont des galeries souterraines du nord au sud, d’est en ouest,

Sous le soleil filtrant chante leur refrain en spirale qu’on réapprend à chaque

fois.

 

 

L’instant panique s’est mis en état d’alerte,

l’homme qui régnait sur sa pensée à la minute précédente

se froisse dans le désordre des sapins.

 

Pour lui, la condition d’un insecte affolé,

 

Et les quelques fruits secs n’y feront rien.

 

*

Plus tard.

 

A la table de pierre, un gant posé suffit parfois

pour retrouver son ciel.

 

*

Et l’avalanche.

 

L’avalanche était le nom d’une jument qui retourne

au galop vers sa maison.

 

 

La neige est dite.

 

La neige ne reprendra rien.

 

Elle vous a seulement changé de place.

 

Où la double vie du monde séjourne en creux,

elle glisse à présent sur l’homme,

suspendue au toit de sa maison.

 

Bien malin celui-là qui bientôt la verra après l’hiver,

continuant sa vie en elle,

matin de pleine lune à naître.

Vallée de Champolléon

Le Champsaur

2000

 

 

Pays sous les continents

Editions M.L.D, 22000 Saint-Brieuc, 2009

Du même auteur :

Lettre du passager (31/08/2019)

 Citadelles et mers (31/08/2020)

L’Apparent de lumière (31/08/2021)

Ephémérides (31/08/2022)

Ballon Rouge en contre-plongée (31/08/2023)

30 août 2024

Charles Cros (1842 – 1888) : « Belle, belle, belle, belle... »

Charles Cros, l'Obsession, par Constant Coquelin

 

Madrigal

Belle, belle, belle, belle,

Que voulez-vous que je dise

A votre frimousse exquise ?

Riez, rose sans cervelle.

 

Vos yeux de saphir grands et clairs,

Inquiètent comme les ondes

De fleuves, des lacs et des mers,

Et j’en ai des rages profondes.

 

Mais je suis pourtant désarmé

Par la bouche, rose de mai,

Qui parle si bien sans parole,

 

Et qui dit le mot sans pareil,

Fleur délicieusement folle,

Eclose à Paris, au soleil

 

Revue Littérature N°6, Août 1919

Du même auteur :

Nocturne (16/06/2015)

Matin (16/08/2016)

A des amants (17/03/2019)

Sonnet madrigal (17/08/2023)

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