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Le bar à poèmes
27 mai 2024

Seamus Heaney (1939 – 2013) : L’homme de Tollund / The Tollund man

 

L’homme de Tollund

 

I

Un jour j'irai à Aarhus

Pour voir sa tête brune comme tourbe,

Les douces cosses de ses paupières,

Sa casquette de peau en pointe.

 

Je resterai debout un long moment

Dans le plat pays des alentours

Où on l’a déterré,

Son dernier potage de graines d’hiver

 

Tout durci dans le ventre,

Nu à part la casquette,

La corde et la ceinture.

Un fiancé de la déesse,

 

Elle serra son torque sur lui

Et lui ouvrit son marais

Où oeuvrent ces sucs noirs

Qui préservèrent son corps comme celui d’un saint,

 

Trésor à découvrir dans les alvéoles

De la tourbe coupée.

Maintenant sa face tachée

Repose à Aarhus.

 

II

Je pourrais risquer le blasphème,

Déclarer sacré ce chaudron

Qu’est la tourbière et le prier

De faire germer

 

La chair surprise dispersée

De travailleurs,

Les cadavres déchaussés

Etendus dans les cours de ferme

 

La peau et les dents révélatrices

Mouchetant les traverses,

De quatre jeunes frères traînés

Des miles le long des voies.

 

III

Un peu de sa triste liberté

Quand on l’emportait sur la charrette

Devrait me parvenir comme je roule

Répétant les noms

 

De Tollund, Grauballe, Negelgard,

En regardant sans les comprendre

Les paysans pointant du doigt,

Moi qui ne connaîs pas leur langue.

 

Là-bas dans le Jutland,

Dans les vielles paroisses meurtrières

Je me sentirai perdu,

Malheureux et chez moi.

 

 

Traduit de l’anglais par Anne Bernard Kearney

in, Seamus Heaney : « Poèmes 1966 – 1984 »

Editions Gallimard, 1988

 

L’homme de Tollund

 

I

Un jour j’irai à Aarhus

Pour voir sa tête couleur de tourbe,

Les douces cosses de ses paupières,

Son bonnet pointu en peau..

 

Dans le plat pays tout près

Où on l’a déterré,

Son dernier gruau de céréales d’hiver

Caillé dans le ventre,

 

Tout nu sauf le bonnet,

La corde et la ceinture,

Je resterai longtemps debout.

Quand il épousa la déesse,

 

Elle l’enserra dans son torque

Et lui ouvrit son marais,

Et ses sucs noirs le façonnèrent

En une relique de saint.

 

Trésor des dédales

Creusés par les chercheurs de tourbe.

Son visage souillé

Repose maintenant à Aarhus.

 

II

Je pourrais oser le blasphème,

Bénir le creuset des marécages,

En faire notre terre saine

Et prier Dieu qu’il fasse germer

 

La chair éparpillée

Des paysans pris en embuscade,

Des cadavres déchaussés

Gisant dans les cours de ferme

 

Les traverses de chemin de fer

Mouchetées de peau et de dents

Dénoncent la mort de quatre jeunes frères

Traînés sur des miles le long des voies.

 

 

Traduit de l’anglais par Deidre McKeown-Laigle

in, Denis Rigal : « Poésies d’Irlande. Anthologie »

Editions SUD, 13001Marseille, 1987

Du même auteur :

Bonne nuit / Good night (26/02/2019)

Mère (26/05/2020)

Rites funèbres / Funeral Rites (27/05/2021)

Victime / Casualty (27/05/2022)

Bêcher / Digging (27/05/2023)

 

The Tollund man

I


Some day I will go to Aarhus

To see his peat-brown head,

The mild pods of his eye-lids,

His pointed skin cap.



In the flat country nearby

Where they dug him out,

His last gruel of winter seeds

Caked in his stomach,



Naked except for

The cap, noose and girdle,

I will stand a long time.

Bridegroom to the goddess,

 


She tightened her torc on him

And opened her fen,

 Those dark juices working

Him to a saint's kept body,



Trove of the turfcutters’

Honeycombed workings.

Now his stained face

Reposes at Aarhus.




II

 

I could risk blasphemy,

Consecrate the cauldron bog

Our holy ground and pray

Him to make germinate



The scattered, ambushed

Flesh of labourers,

Stockinged corpses

Laid out in the farmyards,



Tell-tale skin and teeth

Flecking the sleepers

Of four young brothers, trailed

For miles along the lines.




III



Something of his sad freedom

As he rode the tumbril

Should come to me, driving,

Saying the names



Tollund, Grauballe, Nebelgard,

Watching the pointing hands

Of country people,

Not knowing their tongue.



Out here in Jutland

In the old man-killing parishes

I will feel lost,

Unhappy and at home.

 

 

Wintering out

Publisher: Faber & Faber, London,1972

 

Poème précédent en anglais :

Percy Bysshe Shelley : Cimetière un soir d’été / A summer evening churchyard (12/04/2024)

Poème suivant en anglais :

Seamus Heaney : L’homme de Tollund / The Tollund man (27/05/2024)

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