Li Bai (ou Li Po) / 李白 (701 – 762) : Buvant seul sous la lune
Buvant seul sous la lune
Pichet de vine au milieu des fleurs.
Seul à boire, sans un compagnon,
Levant ma coupe, je salue la lune :
Avec mon ombre, nous sommes trois.
La lune pourtant ne sais point boire.
C’est en vain que l’ombre me suit.
Honorons cependant ombre et lune :
La joie ne dure qu’un printemps !
Je chante et la lune musarde,
Je danse et mon ombre s’ébat.
Eveillés, nous jouissons l’un de l’autre.
Ivres, chacun va son chemin...
Retrouvailles sur la Voie lactée :
A jamais, randonnée sans attaches !
Traduit du chinois par François Cheng
In, « L'écriture poétique chinoise »
Editions Du Seuil, 1982
Boire seul sous la lune
Parmi les fleurs une coupe de vin,
Seul je bois, pas un ami.
Levant ma tasse, j’invite la lune claire,
En comptant mon ombre, nous voilà trois.
La lune ne s’entend guère à boire,
Mon ombre suit mes mouvements.
Pour un instant la lune me prête mon ombre,
Notre joie passagère est pareille au printemps.
Je chante, la lune vacille ;
Je danse, mon ombre gesticule.
Le bon sens
fait le bon convive ;
Si la tête tourne, il est temps de se quitter.
Réunion qui trop dure est sans attrait,
Rendez-vous pris sur l’autre rive du Fleuve céleste.
Traduit du chinois par Louis Laloy
In, « Choix de poésies chinoises »
Fernand Sorlot éditeur, 1944,
Libation solitaire au clair de lune
Parmi les fleurs un pot de vin :
Je bois tout seul sans un ami.
Levant ma coupe, je convie le clair de lune ;
Voici mon ombre devant moi : nous sommes trois.
La lune, hélas, ne sait pas boire ;
Et l’ombre en vain me suit.
Compagnes d’un instant, ô vous, la lune et l’ombre !
Par de joyeux ébats, faisons fête au printemps !
Quand je chante, la lune indolente musarde
Quand je danse, mon ombre égarée se déforme.
Tant que nous veillerons ensemble égayons-nous ;
Et, l’ivresse venue, que chacun s’en retourne.
Que dure à tout jamais notre liaison sans âme :
Retrouvons-nous sur la lointaine Voie Lactée !
Traduit du chinois par Tch’en Yen-hia.
In, « Anthologie de la poésie chinoise classique »
Editions Gallimard (Poésie), 1962
Buvant seul sous la lune
Parmi les fleurs un flacon de vin.
Je bois seul sans compagnon.
Levant ma coupe j’invite la lune,
Avec mon ombre nous voici trois.
Bien que la lune ne sache pas boire
Et que mon ombre ne sache que me suivre,
J’en fais mes compagnons d’un instant.
Pour atteindre la joie il faut saisir le printemps.
Je chante, la lune se promène,
Je danse, mon ombre titube.
Avant l’ivresse nous nous réjouissons ensemble,
Quand je suis gris, nous nous séparons.
Ainsi je me lie à ces amis insensibles
Quand la lune m’attend dans le ciel.
Traduit du chinois par Patricia Guillermaz
in, « La poésie chinoise des origines à la révolution »
Editions Gérard & C°, Verviers (Belgique), 1966
Libation solitaire sous la lune
Une cruche de vin parmi les fleurs :
Sans aucun de mes proches, seul je bois.
Je lève ma coupe pour inviter la lune ;
Avec mon ombre nous sommes trois.
Evidemment, la lune ne sait pas boire ;
Mon ombre ne fait que suivre mes pas.
Lune et ombre sont des amies provisoires,
Pour s’amuser il faut jouir du printemps.
Je chante pendant que la lune se promène ;
Je danse et mon ombre devient diffuse.
Sobres, nous nous amusons tous ensemble ;
Ivres, nous prenons chacun notre chemin.
Avec des non-humains je me lie d’amitié ;
Rendez-vous au loin dans la Voie lactée !
Traduit du chinois par Florence Hu – Sterk
in, « Anthologie de la poésie chinoise »
Editions Gallimard (La Pléiade), 2015
Du même auteur :
Chant de Qiupu (23/10/2016)
En cherchant Maître Yong-Tsouen à son ermitage : (23/10/2017)
Accompagnant un ami (23/10/2018)
Réveil de l’ivresse (23/10/2019)
Nuit de lune sur le fleuve (23/10/2020)
Dernier poème (23/102021)
Visite à un Taoïste (23/10/2022)
Pensée d’une nuit calme (23/10/2023)
De loin en loin (23/10/2024)
Buvant seul sous la lune (22/04/2025)