Giacomo Leopardi (1798 – 1837) : Le calme après l’orage / La quiete dopo la tempesta
Le calme après l’orage
L’orage s’en est allé :
J'entends les oiseaux s'égayer, et la poule
Reparue sur la route
Qui répète son cri. Voilà que la lumière
Eclate au couchant, là-bas, sur la montagne ;
S'éclaircit la campagne,
Et dans le val soudain brille le fleuve.
Tout cœur s'allège, de tout côté
Resurgit la rumeur
Et reprend le travail familier.
L'artisan pour contempler l'humide ciel,
Chantonnant, son ouvrage à la main,
Se montre sur le seuil ; en hâte sort
La paysanne pour puiser l'eau
De la nouvelle pluie ;
Le maraîcher renouvelle
De chemin en chemin
Son appel journalier.
Voilà le Soleil reparu, voilà qu'il brille
Par les collines, les hameaux. Les serviteurs
Ouvrent volets, ouvrent fenêtres et terrasses
Du fond de la grand-rue, on entend au lointain
Des sonnailles tinter ; le char grince
Du voyageur qui reprend son chemin.
S'allègent tous les cœurs.
Quand est si chère, si précieuse,
Comme à présent, la vie ?
Quand avec tant d'amour
L'homme s'applique à ses travaux,
Reprend son œuvre, s'attelle à quelque tâche ?
Quand de ses maux il perd un peu le souvenir ?
Plaisir, fils de souffrance ;
Joie vaine, car il est fruit
De la frayeur enfuie, par qui s'est ranimé,
A redouté la mort,
Qui abhorrait la vie ;
Par qui, d'un long tourment,
Pâles, glacés, sans mots,
Suaient et palpitaient les êtres,
Voyant levés à notre assaut
Nuages, foudre et vents.
O affable nature,
Ce sont là tes présents,
Tels sont donc les plaisirs
Que tu offres aux mortels. Sortir de peine
Est plaisir parmi nous.
Les peines tu répands à pleines mains ; le deuil
Est là spontanément ; et de plaisir, ce peu
Qui par prodige quelquefois
Naît de souffrance, est un grand gain. O peuple
Humain, si cher aux Eternels ! heureux assez
S'il t'est permis de respirer
D'une douleur, mais bienheureux
Si de toute douleur mort te guérit.
Traduit de l’italien par Michel Orcel
In, « Anthologie bilingue de la poésie italienne »
Editions Gallimard (La Pléiade), 1994
Le calme après l’orage
J’entends après l’orage
Les oiseaux exulter et la poule glousser
Qui revient sur la route.
Du côté du couchant et devers la montagne
La soudaine embellie !
La campagne est sans brume et le fleuve reluit
Au fond de la vallée.
Coeurs en liesse et partout
Le bruit renaît et fuse
Et derechef on vaque aux tâches routinières ;
L’artisan est venu sur le pas de la porte
Regarder, en chantant,
Le ciel encor mouillé ;
Et filles de sortir
Pour puiser à l’envie l’eau de cette pluie ;
Le maraîcher reprend
De venelle en venelle
Son cri de tous les jours.
Le soleil de retour, le voici tout riant
Sur coteaux et hameaux ;
Et les valets d’ouvrir balcons, loges, terrasses ;
Et des grelots au loin tintent de la grand’route
Et grince une voiture en train de repartir.
Liesse dans tous les cœurs.
Est-il heure où la vie
Soit plus douce et charmante ?
Où l’homme se consacre
Avec autant d’entrain et d’amour à sa tâche ?
Quand donc à ses travaux
Revient-il ou encore
S’attelle-t-il à d’autres ?
Et quand se souvient-il le moins de ses malheurs ?
Plaisir naît de douleur,
C’est une vaine joie
Que produit à son tour une frayeur passée ;
En proie à celle-ci
On a vu regimber
Et redouter la mort
Ceux-là même pourtant qui détestaient la vie ;
Et voilà que des gens
Dans des tourments san fin
Avaient des sueurs froides,
Blêmissaient, sidérés, cœurs battants, en émoi,
En voyant s’ébranler, tous ligués pour nous nuire,
Foudres, nuées et vents.
Généreuse Nature,
Voilà bien tes présents
Et voilà ces plaisirs
Offerts à nous, mortels ; car pour nous c’est plaisir
D’échapper à l’emprise
Du chagrin, ces chagrins
Qu’à foison tu répands ; douleur naît toute seule :
Ce soupçon de plaisir qui peut naître parfois
Par miracle et prodige
De la douleur, pour nous c’est là un grand profit.
Race humaine, chérie
Des Dieux ! Pour ton bonheur
Un répit suffit
Après une douleur ;
Mais ta béatitude
Tu l’auras, si la mort guérit toute douleur.
Traduit de l’italien par Sicca Vernier
in, « Poètes d’Italie. Anthologie, des origines à nos jours »
Editions de la Table Ronde, 1999
Du même auteur :
A Sylvia / A Silvia (30/12/2014)
Le coucher de la lune / Il tramonto della luna (20/12/2015)
Le soir du jour de fête /La sera del dì di festa (20/12/2016)
L’Infini / L’Infinito (20/12/2017)
A se stesso (20/12/2018)
Les souvenirs / Le ricordanze (20/12/2019)
A la lune / Alla luna (20/12/2020)
Le dernier chant de Sappho / Ultimo canto di Saffo (20/12/2021)
Le passereau solitaire / Il passero solitario (20/12/2022)
La quiete dopo la tempesta
Passata è la tempesta :
Odo augelli far festa, e la gallina,
Tornata in su la via,
Che ripete il suo verso. Ecco il sereno
Rompe là da ponente, alla montagna ;
Sgombrasi la campagna,
E chiaro nella valle il fiume appare.
Ogni cor si rallegra, in ogni lato
Risorge il romorio
Torna il lavoro usato.
L’artigiano a mirar l’umido cielo,
Con l’opra in man, cantando,
Fassi in su l’uscio ; a prova
Vien fuor la femminetta a còr dell’acqua
Della novella piova ;
E l’erbaiuol rinnova
Di sentiero in sentiero
Il grido giornaliero.
Ecco il Sol che ritorna, ecco sorride
Per li poggi e le ville. Apre i balconi,
Apre terrazzi e logge la famiglia :
E, dalla via corrente, odi lontano
Tintinnio di sonagli ; il carro stride
Del passegger che il suo cammin ripiglia.
Si rallegra ogni core.
Sì dolce, sì gradita
Quand’è, com’or, la vita ?
Quando con tanto amore
L’uomo a’ suoi studi intende ?
O torna all’opre? o cosa nova imprende ?
Quando de’ mali suoi men si ricorda ?
Piacer figlio d’affanno ;
Gioia vana, ch’è frutto
Del passato timore, onde si scosse
E paventò la morte
Chi la vita abborria ;
Onde in lungo tormento,
Fredde, tacite, smorte,
Sudàr le genti e palpitàr, vedendo
Mossi alle nostre offese
Folgori, nembi e vento.
O natura cortese,
Son questi i doni tuoi,
Questi i diletti sono
Che tu porgi ai mortali. Uscir di pena
E’ diletto fra noi.
Pene tu spargi a larga mano; il duolo
Spontaneo sorge: e di piacer, quel tanto
Che per mostro e miracolo talvolta
Nasce d’affanno, è gran guadagno. Umana
Prole cara agli eterni! assai felice
Se respirar ti lice
D’alcun dolor: beata
Se te d’ogni dolor morte risana.
Canti
Felice Le Monnier editore, Firenze, 1845
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