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Le bar à poèmes
20 décembre 2023

Giacomo Leopardi (1798 – 1837) : Le calme après l’orage / La quiete dopo la tempesta

smp1770[1]

 

Le calme après l’orage

 

L’orage s’en est allé :

J'entends les oiseaux s'égayer, et la poule

Reparue sur la route

Qui répète son cri. Voilà que la lumière

Eclate au couchant, là-bas, sur la montagne ;

S'éclaircit la campagne,

Et dans le val soudain brille le fleuve.

Tout cœur s'allège, de tout côté

Resurgit la rumeur

Et reprend le travail familier.

L'artisan pour contempler l'humide ciel,

Chantonnant, son ouvrage à la main,

Se montre sur le seuil ; en hâte sort

La paysanne pour puiser l'eau

De la nouvelle pluie ;

Le maraîcher renouvelle

De chemin en chemin

Son appel journalier.

Voilà le Soleil reparu, voilà qu'il brille

Par les collines, les hameaux. Les serviteurs

Ouvrent volets, ouvrent fenêtres et terrasses

Du fond de la grand-rue, on entend au lointain

Des sonnailles tinter ; le char grince

Du voyageur qui reprend son chemin. 

 

S'allègent tous les cœurs.

Quand est si chère, si précieuse,

Comme à présent, la vie ?

Quand avec tant d'amour

L'homme s'applique   à ses travaux,

Reprend son œuvre, s'attelle à quelque tâche ?

Quand de ses maux il perd un peu le souvenir ?

Plaisir, fils de souffrance ;

Joie vaine, car il est fruit

De la frayeur enfuie, par qui s'est ranimé,

A redouté la mort,

Qui abhorrait la vie ;

Par qui, d'un long tourment,

Pâles, glacés, sans mots,

Suaient et palpitaient les êtres,

Voyant levés à notre assaut

Nuages, foudre et vents.

 

O affable nature,

Ce sont là tes présents,

Tels sont donc les plaisirs

Que tu offres aux mortels. Sortir de peine

Est plaisir parmi nous.

Les peines tu répands à pleines mains ; le deuil

Est là spontanément ; et de plaisir, ce peu

Qui par prodige quelquefois

Naît de souffrance, est un grand gain.  O peuple

Humain, si cher aux Eternels ! heureux assez

S'il t'est permis de respirer

D'une douleur, mais bienheureux

Si de toute douleur mort te guérit.

 

 

Traduit de l’italien par Michel Orcel

In, « Anthologie bilingue de la poésie italienne »

Editions Gallimard (La Pléiade), 1994

 

Le calme après l’orage

 

J’entends après l’orage

Les oiseaux exulter et la poule glousser

Qui revient sur la route.

Du côté du couchant et devers la montagne

La soudaine embellie !

La campagne est sans brume et le fleuve reluit

Au fond de la vallée.

Coeurs en liesse et partout

Le bruit renaît et fuse

Et derechef on vaque aux tâches routinières ;

L’artisan est venu sur le pas de la porte

Regarder, en chantant,

Le ciel encor mouillé ;

Et filles de sortir

Pour puiser à l’envie l’eau de cette pluie ;

Le maraîcher reprend

De venelle en venelle

Son cri de tous les jours.

Le soleil de retour, le voici tout riant

Sur coteaux et hameaux ;

Et les valets d’ouvrir balcons, loges, terrasses ;

Et des grelots au loin tintent de la grand’route

Et grince une voiture en train de repartir.

Liesse dans tous les cœurs.

 

Est-il heure où la vie

Soit plus douce et charmante ?

Où l’homme se consacre

Avec autant d’entrain et d’amour à sa tâche ?

Quand donc à ses travaux

Revient-il ou encore

S’attelle-t-il à d’autres ?

Et quand se souvient-il le moins de ses malheurs ?

Plaisir naît de douleur,

C’est une vaine joie

Que produit à son tour une frayeur passée ;

En proie à celle-ci

On a vu regimber

Et redouter la mort

Ceux-là même pourtant qui détestaient la vie ;

Et voilà que des gens

Dans des tourments san fin

Avaient des sueurs froides,

Blêmissaient, sidérés, cœurs battants, en émoi,

En voyant s’ébranler, tous ligués pour nous nuire,

Foudres, nuées et vents.

 

Généreuse Nature,

Voilà bien tes présents

Et voilà ces plaisirs

Offerts à nous, mortels ; car pour nous c’est plaisir

D’échapper à l’emprise

Du chagrin, ces chagrins

Qu’à foison tu répands ; douleur naît toute seule :

Ce soupçon de plaisir qui peut naître parfois

Par miracle et prodige

De la douleur, pour nous c’est là un grand profit.

Race humaine, chérie

Des Dieux ! Pour ton bonheur

Un répit suffit

Après une douleur ;

Mais ta béatitude

Tu l’auras, si la mort guérit toute douleur.

 

 

Traduit de l’italien par Sicca Vernier

in, « Poètes d’Italie. Anthologie, des origines à nos jours »

Editions de la Table Ronde, 1999

Du même auteur :

A Sylvia / A Silvia (30/12/2014)

Le coucher de la lune / Il tramonto della luna (20/12/2015)

Le soir du jour de fête /La sera del dì di festa (20/12/2016)

L’Infini / L’Infinito (20/12/2017)

A se stesso (20/12/2018)

Les souvenirs / Le ricordanze (20/12/2019)

A la lune / Alla luna (20/12/2020)

Le dernier chant de Sappho / Ultimo canto di Saffo (20/12/2021)

Le passereau solitaire / Il passero solitario (20/12/2022)

 

La quiete dopo la tempesta

 

Passata è la tempesta :

Odo augelli far festa, e la gallina,

Tornata in su la via,

Che ripete il suo verso. Ecco il sereno

Rompe là da ponente, alla montagna ;

Sgombrasi la campagna,

E chiaro nella valle il fiume appare.

Ogni cor si rallegra, in ogni lato

Risorge il romorio

Torna il lavoro usato.

L’artigiano a mirar l’umido cielo,

Con l’opra in man, cantando,

Fassi in su l’uscio ; a prova

Vien fuor la femminetta a còr dell’acqua

Della novella piova ;

E l’erbaiuol rinnova

Di sentiero in sentiero

Il grido giornaliero.

Ecco il Sol che ritorna, ecco sorride

Per li poggi e le ville. Apre i balconi,

Apre terrazzi e logge la famiglia :

E, dalla via corrente, odi lontano

Tintinnio di sonagli ; il carro stride

Del passegger che il suo cammin ripiglia.

 

 

Si rallegra ogni core.

Sì dolce, sì gradita

Quand’è, com’or, la vita ?

Quando con tanto amore

L’uomo a’ suoi studi intende ?

O torna all’opre? o cosa nova imprende ?

Quando de’ mali suoi men si ricorda ?

Piacer figlio d’affanno ;

Gioia vana, ch’è frutto

Del passato timore, onde si scosse

E paventò la morte

Chi la vita abborria ;

Onde in lungo tormento,

Fredde, tacite, smorte,

Sudàr le genti e palpitàr, vedendo

Mossi alle nostre offese

Folgori, nembi e vento.

 

 

O natura cortese,

Son questi i doni tuoi,

Questi i diletti sono

Che tu porgi ai mortali. Uscir di pena

E’ diletto fra noi.

Pene tu spargi a larga mano; il duolo

Spontaneo sorge: e di piacer, quel tanto

Che per mostro e miracolo talvolta

Nasce d’affanno, è gran guadagno. Umana

Prole cara agli eterni! assai felice

Se respirar ti lice

D’alcun dolor: beata

Se te d’ogni dolor morte risana.

 

 

Canti

Felice Le Monnier editore, Firenze, 1845

Poème précédent en italien :

Giambattista Marino: Esclave / Schiava (22/11/2023)

Poème suivant en italien :

Dino Campana : Femme génoise / Donna genovese (01/02/2024)

 

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