Izanne (19? -) : Lilith. Chant III
Lilith (Chant IV)
Ce n’est ma beauté qu’on redoute
mais ma liberté
Ce n’est pas mon pouvoir qui les terrifie
mais leur faiblesse
Ils peuvent bien essayer de me bannir
de me maudire
de me conjurer
de m’exorciser
je suis immortelle
Certains affirment que je suis une légende
une illusion de l’esprit
mais j’existe
dans chacune de leurs pensées impures
dans chacun de leur geste
inutile à la procréation
je suis la caresse fatidique
et le cauchemar
de vos liaisons fétales
Vous pouvez bien me traiter de sale chienne
c’est votre queue
qui est en l’air
ou entre vos pattes
Je ne vais pas vous caresser
dans le sens du poil
je vais vous mordre
et vous allez aimer çà
Je n’attendrai pas votre tombe
pour vous cracher dessus
et vous aller aimer
détester ça
et vous aller vous haïr
d’aimer ça
Dans son hôtel du cul tourné
Dieu détournera les yeux
et je sais qu’il fait ça bien
Congédiée
destituée
maudite
mais mon destin n’est pas édicté
je suis le destin
auquel ils essaient d’échapper
Mon exil n’est pas une sentence
ce n’est pas un purgatoire
mais votre condamnation à me craindre
à voir revenir la démone des démones
à laquelle vous vouez un culte
sans vous l’avouer
J’enflamme votre imagination
et dans l’au-delà de votre libido agonisante
vous entrevoyez l’aînée de la petite mort
Elle vous appelle
s’éloigne
vous incite à la suivre
Aveuglée par les étincelles de ses yeux
vous avancez à tâtons
Petit colin maillard maléfique
Vous tentez de refroidir vos ardeurs
en agitant des amulettes
en embrassant des talismans
Vous psalmodiez
en tremblant des lèvres
Vous cherchez le salut
dans l’ataraxie
le répit avec le gardénal
les plaisirs lénifiants
la vertu ostentatoire
Mais on n’éteint pas le feu
qui n’a pas besoin de combustible
et l’on sait qu’on se trouve
quand on entend
« attention tu brûles »
Vous me trouvez misandre
sardonique ?
c’est bien dans le lit de Procuste
que je me couche
que je vous touche
que je fais mouche
mais l’amour
la haine
sont androgynes
embrassons-nous
dans la bave
de l’escargot hermaphrodite
entrelacez vos cuisses
de grenouilles de bénitier
Je me moque bien
si l’on fait à peine allusion à moi
dans leurs grimoires
« Là se rencontreront chats sauvages et
chiens sauvages,
là les satyres se donneront rendez-vous »
Mon histoire
personne ne l’écrira pour moi
et si je ne suis pas
dans leurs petits papiers
leurs livres d’école
je suis dans l’encre invisible
de leurs petits carnets noirs
Je me moque
de leurs certificats de mariage
leurs livrets de famille
j’en fait des confettis
au carnaval des faux-culs
et leurs voeux d’artifice
leur explosent en pleine face
Je me moque bien
si je ne suis pas
dans les saintes écritures
leur mode d’emploi des corps
le manuel d’instruction des esprits
l’abécédaire de la peur
la peur de tout, de rien
de leur propre reflet
l’encyclopédie des interdits
des tabous
et des malédictions
Moi ce que je lis
dans leurs yeux
c’est tout le contraire
Moi ce que je lis
dans vos yeux
c’est la soif inextinguible
des plaisirs maudits
de la transgression
et de ses frissons
la faim qui tord les tripes
la goutte de sang
au coin des lèvres du vampire
le bout de viande
entre les dents du cannibale
J’écrirai
la déclaration des droits de l’âme
qu’elle soit blanche
grise ou noire
noire
comme la lune
MA lune
la peau de la reine de Saba
Tituba calcinée
le Spirit de Grisogono
la nuit de l’apocalypse
Vous mes sœurs
à qui l’on a coupé la langue
et bien plus encore
et quoi de pire
la parole
La parole d’évangelle
Entendez, je porte la parole d’évangelle
Ma salive est la sève des meurtrissures
Ma voix est la litanie des trahisons
Je suis l’ode des insoumises
Vous pouvez vous astiquer
à vous rendre sourd
je percerais vos tympans
de ma langue fourchue
Toi ma rivale
tu crois être la mère des mères
tirée de la côte d’Adam
allongée sur le dos
le front candide
femelle apprivoisée
blonde jouvencelle
évanescente
l’ezer kenegdo
soumise et asservie
qu’Adam
prit en deuxième main
je t’inciterai
à goûter le fruit de la connaissance
tu commettras l’irréparable
comme moi
à ton insu
au moins moi j’ai osé prononcer
le nom de l’ineffable
Personne ne me manipule
je n’ai pas de corde à mon cou
pas de ficelle à mes membres
tandis que ma présence
autant que mon absence
sont hypnotiques
vous êtes mes choses
lambeaux de chair putrescibles
avec ce profond mésaise
de se vider, de se remplir
Carcasses soumises à la pesanteur
traînant les chaînes de vos angoisses
comme des bracelets de pacotille
à l’effleurement de mon épiderme
Mon nom à moi
il résonne dans le silence
il l’enveloppe, il le transcende
comme le mystère
d’une existence vaine
comme l’idée de la mort
qui vous taraude
à chaque coup de reins
Mon nom à moi
il se distingue dans le brouhaha
il dégouline de vos lèvres
de chaque orifice de votre être
qui fuit et s’enfuit
dans le néant
Qui suis-je ?
Je suis celle qui n’est pas
Celle qui ne sera pas
Qui ne sera pas celle
Celle qu’ils voulaient
Celle qu’ils ont bannie
Je ne suis pas
la petite fille
à qui on offre une poupée
Je ne suis pas
la jeune fille qu’on excise
le hiérodule du temple
pour des pseudo dieux
en quête de rituels orgiaques
Je ne serai pas
l’épouse qu’on lapide
Je serai celle
qui vole plus haut que les aigles
là où même les nuages
ne s’aventurent pas
Celle qui gratte la terre
comme une taupe
jusqu’au magma en fusion
Je suis celle qui n’est pas
mais vous me trouvez partout
dans une poigne de limon
le limon dont je suis faite
le hululement d’une chouette
la chouette qu’on cloue sur la porte
la chair qui suinte
qui suinte et qui pourrit
je parle de la vôtre
la mienne est éternelle
Je suis
dans l’écaille du serpent
le serpent
qui s’enroule autour de moi
qui rampe comme vous
dans chaque morceau d’Apophis
dans le vol de l’onocentaure
à l’affût de sa proie
dans le sourire
des vierges effarouchées
le cri de la Gorgone
le murmure des nymphes
dans les larmes de cire
des madones oubliées
le chant des sirènes
le rictus des pleureuses
dans le soleil qui disparaît
non, le soleil qui décampe
comme un puceau
à la porte du bordel
cacochyme et pusillanime
avec son petit cœur qui pompe
dans l’éclipse du désir
à la vue d’un calvaire
Je suis
dans le reflet de la pupille
la pupille qui se dilate
à vos pensées lubriques,
Je suis
dans le L de Salem
Je chevauche
Le Léviathan
Cerbère
vient me manger
dans la main
et le dragon aveugle
est mon esclave
Pirate de la volupté
j’ai mis les voiles
sur le galion de l’exil
en escale sur l’île
de vos plaisirs solitaires
je suis votre vendredi 13
sur votre navire dans la tempête
je suis la vague du naufrage
dans les abysses glacés
vous qui rêviez de vous enliser
dans mes sables émouvants
Le sol se dérobe sous vos pas
et je vous retiens en apesanteur
pour aller copuler
sur la cime de l’arbre de vie
le greffon de cette union charnelle
suce la sève de la racine
dans la boue et la lie des enfers
Et cette brise dans votre cou
c’est mon souffle
remontez votre col
et je me glisse sous l’étoffe
je slalome
entre chacun de vos poils qui se hérissent
je suis l’avalanche incendiaire des fantasmes
Parole d’Evangelle
Sans Crispations éditions
22000 Saint-Brieuc, 2022
De la même autrice :
Lilith ,Chant IV (21/12/2022)
Lilith. Chant I (21/12/2024)