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Le bar à poèmes
19 décembre 2024

Giacomo Leopardi (1798 – 1837) : A Sylvia (2)

 

A Sylvia

 

Silvia, te souviens-tu

De ton temps sur la terre ? La beauté

Illuminait tes yeux qui n’auront eu,

Rieurs, qu’une journée,

Et toi, tu gravissais, joyeuse, pensive,

Le seuil, ô jeune fille, de ta vie.

 

Et résonnaient paisibles

Les salles, les rues proches,

De ton chant perpétuel

Quand tes travaux de femme te gardaient

Assise à ta croisée, attentive, contente

De ce vague avenir auquel tu rêvais.

C’était le mois de mai, tout en odeurs.

Et c’est ainsi

Que se passaient tes heures et tes jours.

 

Moi, mes chères études

Je les laissais quelquefois, ces feuillets

Jaunis, où ma jeunesse

Et le meilleur de ma vie se perdaient,

Et des balcons du logis paternel

Je tendais mon oreille vers ta voix

Et le bruit que faisaient, diligentes, tes mains

S’évertuant sur la toile grossière.

Je contemplais le ciel, tout à sa paix,

Les rues ensoleillées et les jardins.

Par là, c’était la mer, là-bas les collines,

Quelle langue mortelle aurait su dire

Ce que je ressentais au fond de mon cœur ?

 

Que de douces pensées, que d’espérances,

Que d’élans de ce cœur, ô ma Silvia !

Et qu’elles nous semblaient

Belles, nos existences, nos destinées !

Au souvenir de tant d’espoir je sens

Une émotion m’étreindre,

J’ai mal, je me désole, c’est à nouveau

La détresse qui reste des grands malheurs.

Ô nature, nature,

Pourquoi ne tiens-tu pas

Tes promesses, pourquoi

Abuses-tu ainsi tes filles, tes fils ?

 

Toi, l’hiver n’avait pas flétri l’herbe encore

Que te frappait un mal mystérieux

Et tu étais vaincue, tu es morte. Ô ma douce,

Tu n’as pas vu ta jeunesse fleurir,

Ni senti ton cœur battre

À quelque éloge ou de tes mèches brunes

Ou de tes yeux ardents bien que timides.

Au soir des jours de fête tes compagnes

N’auront pas avec toi devisé d’amour.

 

Et bientôt était morte

Aussi mon espérance. Le destin

À moi aussi refusa la jeunesse.

Ah, comme tu es loin

De moi, si tendre amie

De mes jeunes années, toi, mon attente

Maintenant tout en pleurs ! Est-ce cela,

Le monde ? Est-ce cela,

L’amour, les joies, les travaux, l’existence

Dont si souvent nous parlions entre nous ?

Est-ce cela, la condition humaine ?

La vérité, d’un coup ; et toi, l’infortunée,

Qui es tombée et qui de loin me montres

D’un geste de ta main

La mort, ce froid, et la tombe déserte.

 

 

Traduit de l’italien par Yves Bonnefoy

In, Revue « Po&sie, N°121, 2007 »

Editions Belin, 2007

Du même auteur :

A Sylvia (1) / A Silvia (30/12/2014)

Le coucher de la lune / Il tramonto della luna (20/12/2015)

Le soir du jour de fête /La sera del dì di festa (20/12/2016)

L’Infini / L’Infinito (20/12/2017)

A se stesso (20/12/2018)

Les souvenirs / Le ricordanze (20/12/2019)

A la lune / Alla luna (20/12/2020)

Le dernier chant de Sappho / Ultimo canto di Saffo (20/12/2021)

Le passereau solitaire / Il passero solitario (20/12/2022)

Le calme après l’orage / La quiete dopo la tempesta (20/12/2023)

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