William Shakespeare (1564 – 1616) : « Les yeux de mon amante... » / « My mistress' eyes... »
CXXX
Les yeux de mon amante n’ont rien du soleil.
Le rouge de ses lèvres n’est pas le corail.
Si neige est blanche, et de soie le cheveu, le sien
pousse noir sur sa tête et elle a brun le sein.
J’ai vu les roses peintes de toutes couleurs,
Mais nulle de ces roses sur sa joue n’ai vue.
J’ai senti des parfums de loin plus enchanteurs
Que celui de ma mie, quand son haleine pue.
J’aime le son de son parler ; pourtant je sais
De plus belles musique prêtes à me plaire.
Jamais, j’avoue, n’ai vu déesse aller à pied ;
Le pas de mon amante foule bien la terre.
Mais par le ciel enfin ! je la tiens pour meilleure
qu’une autre qui se farde de blasons menteurs.
Traduit de l’anglais par Cédric Demangeot
In, Revue « Moriturus N°3-4, avril 2004 »
Editions Fissile, 09310 les cabannes, 2004
130
Les yeux de ma maîtresse au soleil comparables ?
Non pas ! Ni l’éclat de ses lèvres au corail.
La neige est blanche, alors certes ses seins sont bruns,
Les cheveux, des fils d’or ? Les siens sont des fils noirs.
J’ai vu des roses incarnate, rouges, blanches,
Mais sur ses joues je ne vois point de telles roses,
Il est aussi de plus délicieux parfums
Que l’haleine qui de ma maîtresse s’exhale.
J’aime entendre sa voix, et pourtant je sais bien
Que le son de la musique est beaucoup plus doux :
Comment s’avance une déesse, je l’ignore,
Ma maîtresse en marchant met ses pieds sur le sol :
Et je jure pourtant mon amour aussi rare
Qu’aucune autre pour qui trichent les métaphores.
Traduit de l’anglais par Henri Thomas
In, "Oeuvres complètes de Shakespeare, Tome 7"
Editions Formes et Reflets, 1961
130
Les yeux de ma maîtresse au soleil ne ressemblent,
Le corail est plus rouge que ne le sont ses lèvres,
Et si la neige est blanche, ma foi, son sein est brun ;
Ses cheveux sont des fils, mais fils noirs et non d’or ;
La rose de Damas, je l’ai vu rouge et banche,
Mais je ne voie pareilles roses sur ses joues ;
Et il est des parfums bien plus délicieux
Que l’haleine exhalée, impure, de ses lèvres.
J’aime entendre sa voix et je sais bien pourtant
Que plaisent davantage les sons de la musique.
Je n’ai vu, je l’avoue, marcher une déesse ;
Ma maîtresse en marchant a les pieds sur le sol.
Mais, par le ciel, mon amour à mes yeux vaut bien
Toute femme affublée de fausses métaphores.
Traduit de l’anglais par Robert Ellrodt
In, « William Shakespeare, Oeuvres complètes. Poésies »
Editions Robert Laffont (Bouquins), 2002
CXXX
Ma maîtresse a des yeux qui n’ont rien du soleil
Et ses lèvres n’ont point la rougeur coralline ;
A de noirs fils de fer ses cheveux sont pareils
Et, si la neige est blanche, est brune sa poitrine ;
Rouge et blanche, j’ai vu la rose de Damas,
Mais sur sa joue en vain je cherche rose telle,
Et je sais des parfums plus doux à l’odorat
Que l’haleine qui sort des lèvres de ma belle.
Je sais bien, quoique j’aime à l’entendre parler,
Que musique a des sons beaucoup mieux faits pour plaire ;
J’accorde n’avoir vu de déesse marcher,
Mais quand va ma maîtresse, elle a les pieds sur terre :
Et pourtant, par le ciel, je la prise aussi haut
Que femmes qu’on déguise en parallèles faux.
Traduit de l’anglais par Jean Fuzier,
Editions Gallimard, 1959
CXXX
Les yeux de ma maîtresse n’ont rien du soleil ; le corail est plus rouge que
le rouge de ses lèvres ; et si blanche est la neige, pourquoi donc ses seins
bruns ; si les cheveux sont des fils, sur sa tête sont des fils noirs.
J’ai vu des roses damassées, rouges et blanches, mais je n’aperçois pas ces
roses sur ses joues ; et dans quelques parfums il est plus de finesse que dans le
souffle qui ressort de ma maîtresse.
J’aime l’entendre parler, mais je sais bien que la musique a un son plus
plaisant ; j’avoue n’avoir jamais vu de déesse marcher, - ma maîtresse est
pesante à la terre, en marchant.
Je trouve, par le ciel ! mon amante aussi rare qu’aucune autre qui par
fausseté se compare.
Traduit de l’anglais par Pierre Jean Jouve
In, "Sonnets de Shakespeare"
Editions du Sagittaire (Club français du livre, 1955)
Du même auteur :
« C’est quand mon œil est clos… » / "When most I wink..." (02/02/2015)
« Lorsque quarante hivers… » / «When forty winters… » (02/02/2016)
« Quand je compte les coups du balancier... » / « When I do count the clock... » (09/09/2021)
« Mon poème a menti... » / « Those lines that I before have writ do lie... » (09/0/9/2023)
« D’aucuns vantent leur nom.. » / « Some glory in their birth,... » (09/09/2024)
My mistress' eyes are nothing like the sun;
Coral is far more red than her lips' red;
If snow be white, why then her breasts are dun;
If hairs be wires, black wires grow on her head.
I have seen roses damasked, red and white,
But no such roses see I in her cheeks;
And in some perfumes is there more delight
Than in the breath that from my mistress reeks.
I love to hear her speak, yet well I know
That music hath a far more pleasing sound;
I grant I never saw a goddess go ;
My mistress, when she walks, treads on the ground.
And yet, by heaven, I think my love as rare
As any she belied with false compare.
SHAKE-SPEARES / SONNETS / Never before imprimed
Thomas Torpe, 1609
Poème précédent en anglais :
John Montague : James Joyce (15/08/2022)
Poème suivant en anglais :
Richard Brautigan : le port / The Harbor (27/09/2022)