Buland al-Ḥaydarī (1926 - 1996) / بلند الحيدري : « Vous êtes arrivés avec l’aube... »
Vous êtes arrivés avec l’aube
et il y avait là,
en ce lieu où l’on tuait
sans raison, où l’on tuait
sans relâche
derrière la porte de la prison...
oui, il y avait là celle
qu’avait élue le désir,
à présent en proie à l’accablement.
Il y avait là, prêtes à la trahison,
mille mains qui dérobaient
de ma mémoire,
de mon libre sang, la vieille convoitise
que la noirceur des nuits nourrit
dans l’attente de l’aube...
Vous êtes arrivés et nous étions là,
attendant en silence l’heure,
du massacre.
L’homme sera-t-il crucifié ?
Les flammes consumeront-elles
nos maisons,
nos petits ?
Tout cela parce que nos rêves envisageaient
la venue de l’aube ?
Mais vous êtes arrivés
et nous étions là,
à nous demander d’où viendrait
celle qu’avait élue le désir.
D’où viendrait-elle ?...
Elle ne viendra pas.
Le soleil ne se lèvera pas
et au fond de la maison
déjà s’enfoncent dans la mort
les pas de mes enfants...
réduits au silence.
D’où viendrait-elle ?...
Elle ne viendra pas,
car notre prison est aveugle,
sans lucarne,
car notre chemin s’enfonce et se perd
dans un gouffre,
car nous sommes sans puissance
et sans force.
Mais vous êtes arrivés
et nous étions là.
Telle est l’histoire de notre hier
et son goût est amertume ;
telle est notre marche lente, le cortège
de notre dignité :
notre seul bien jusqu’à l’heure où se lèvera
enfin une aube libre.
Traduit de l’arabe par René R. Khawam
in, « La poésie arabe des origines à nos jours »
Editions Phébus, 1995
Avec l’aube vous êtes arrivés
Il y avait ici une boucherie
sans merci
Derrière la porte de prison
« Mouna » vivait souffrante
Et la trahison
Avait mille mains
Qui volaient de ma mémoire
De mon sang libre
L’envie des nuits sombres
De l’aube éclairée
Vous êtes arrivés
Nous étions là
A nous battre calmement
sans le savoir
A nous demander :
« Sera-t-on égorgé ?
Les flammes
Brûleront-elles
Nos maisons ?
Nos petits ? »
Car nous rêvions de l’aube
Mais vous êtes arrivés
Et nous étions là
A nous demander
D’où viendra le secours ?
D’où ?
Il ne viendra pas
Le soleil ne se lèvera pas
Et dans ma maison
sans bruit
Les pas de mes enfants
S’enfoncent dans la mort
D’où viendra le secours ?
Il ne viendra pas
Car notre prison est sombre
sans ouverture
Et notre chemin se dirige
Vers un précipice
Et nous sommes sans volonté
Et sans force
Mais vous êtes arrivés
Et nous étions là
Un récit sur notre passé amer
Et une image de lumière
Dans la clarté
De notre aube libre.
Traduit de l’arabe par D.Palavan
In, Revue « Vagabondages, N°31, Juin 1981 »
Association « Paris-Poète »
Librairie Séguier, 1981