Friedrich Hölderlin (1770 - 1843) : « Comme, lorsqu’au jour de fête... » / « Wie wenn am Feiertage...
Dessin de Mary Evans Picture Library
Comme, lorsqu’au jour de fête, pour aller inspecter son champ,
Un paysan s’en va le matin, quand pendant tout le temps
D’une brûlante nuit la fraîcheur des éclairs est tombée
Et qu’au loin retentit encore le tonnerre
Le fleuve revient en ses berges,
Le sol se met à reverdir,
Et de l’agréable pluie du ciel
La vigne goutte doucement et les arbres
Du bois scintillent doucement sous le soleil :
Ainsi se trouvent-ils, sous un climat propice,
Ceux que n’éduque pas un maître seul, mais dans
La merveilleuse omniprésence de son embrassement léger,
La puissante, la divine et belle nature.
C’est pourquoi, lorsqu’elle semble à certaines saisons
Endormie dans le ciel ou parmi les plantes ou les peuples,
Le visage des poètes aussi est attristé,
Ils semblent être seuls, mais ils continuent de pressentir,
Car elle-même aussi repose dans cette préscience.
Mais maintenant le jour se lève ! Je l’attendais et l’ai vu venir,
Et que ce que j’ai vu, le sacré soit ma parole.
Car elle-même, elle qui est plus vieille que les temps
Et se tient au-dessus des dieux du Soir et de l’Orient,
La nature, maintenant, s’est réveillée dans un bruit d’armes ;
Et, depuis les hauteurs de l’Ether jusqu’au fond de l’abîme,
Selon, comme jadis, une loi rigoureuse, engendré du Chaos sacré,
De nouveau l’enthousiasme éprouve,
Lui l’omnicréateur, sa renaissance.
Et, comme à l’œil de l’homme un feu s’est allumé
Quand il a projeté quelque chose de noble, ainsi
S’est enflammé aux signes maintenant, de nouveau,
Aux actions du monde, dans l’âme des poètes, un feu.
Et ce qui était advenu déjà, mais à peine senti,
N’est manifeste qu’aujourd’hui, et celles
Qui avaient en souriant cultivé notre champ,
Sous l’apparence de serviteurs, elles sont reconnues,
Les toutes-vivantes, les forces des dieux.
Les interroges-tu ? C’est dans le chant que souffle leur esprit,
Quand du soleil du jour il a surgi et de la terre
Chaude et des orages qui errent dans les airs, et des autres,
Davantage mûris dans les profondeurs du temps,
Et plus chargés de sens et plus audibles,
Qui errent entre le ciel et la terre, et parmi les peuples,
Les pensées de l’esprit collectif sont,
Silencieusement, parvenues à leur terme, dans l’âme du poète.
Afin que vite atteinte, et depuis longtemps
Familière à l’infini, elle frémisse de souvenir,
Et que lui réussisse, incendié par le rayon sacré,
Fruit enfanté dans l’amour, ouvrage des dieux et des hommes,
Pour témoigner des uns et des autres, le Chant.
Ainsi, comme le disent les poètes, puisqu’elle désirait
Voir visiblement le dieu, s’est abattue sa foudre sur la maison
De Sémélé, et la divinement atteinte a mis au monde
Le fruit de cet orage, le dieu sacré Bacchus.
Et de là vient que les fils de la terre,
A présent, boivent le feu céleste sans danger.
Mais à nous il revient, parmi les orages de Dieu,
Vous les poètes, de demeurer debout la tête nue,
Et de saisir le rayon du père, de le saisir lui-même de notre main
Et de tendre, enveloppée dans le voile
Du chant, au peuple la divine offrande.
Car pour peu que de cœur pur
Comme les enfants nous-mêmes nous soyons, qu’innocentes
Soient nos mains, le rayon du Père, le pur, ne brûlera pas
Notre cœur, et celui-ci, bien que profondément ébranlé, compatissant
Avec les douleurs du plus fort, demeurera dans les tempêtes
Déferlantes du dieu, à son approche, inébranlable.
Malheur à moi pourtant ! quand de
Malheur à moi !
Et si je dis aussitôt
Que je me suis approché pour contempler les célestes,
Et qu’eux-mêmes ils me jettent profondément sous les vivants,
Moi, le faux prêtre, dans l’obscurité, pour que
Je chante, à ceux qui savent apprendre, le chant de mise en garde.
Là-bas
Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
In, « Anthologie bilingue de la poésie allemande »
Editions Gallimard (La Pléiade), 1995
Tout comme au jour de fête, pour voir le champ,
Un paysan s’en va, le matin, quand
D’une très chaude nuit les éclairs rafraîchissants sont tombés
Tout le temps, et loin encore résonne le tonnerre,
Qu’en ses rives revient le torrent,
Et frais, le sol verdoie,
Et de la pluie réjouissante du ciel
La vigne s’égoutte et, scintillant
Dans le soleil tranquille, se dressent les arbres du bosquet :
Ainsi vous dressez-vous sous un climat propice,
Vous qu’aucun maître seul, que miraculeusement
Toute-présence éduque en accolades légères
La puissante la divinement belle Nature.
Voilà pourquoi quand elle semble dormir à certaines saisons de l’an
Au ciel ou parmi les plantes ou les peuples,
Alors est en deuil la face des poètes aussi ;
Ils semblent être seuls, pourtant ils pressentent toujours,
Car pressentant elle repose elle aussi.
Mais à présent voici le jour ! j’attendais, le vis venir,
Et ce que j’ai vu : Salve soit ma parole.
Car elle, elle-même, plus ancienne que les siècles,
Et au-dessus des dieux du Soir et de l’Orient,
La Nature est à présent réveillée à grand bruit d’armes,
Et d’en haut, de l’Ether, jusqu’à l’abîme en bas,
Suivant ferme statut, comme jadis, engendrée d’un saint Chaos,
L’ivresse à nouveau se sent,
Elle, la Toute-Créatrice, encore une fois.
Et tout comme en l’œil un feu scintille à l’homme,
Quand c’est haut ce qu’il a projeté, ainsi est
A nouveau aux signes, aux gestes du monde à présent
Un feu allumé en des âmes de poètes.
Et ce qui avant a eu lieu, mais à peine ressenti,
Voilà que c’est manifeste seulement à présent,
Et celles qui, souriantes, nous ont cultivé l’arpent,
Sous figure serve, elles sont connues, elles,
Les Toutes-Vivantes, les forces des dieux.
Les interroges-tu ? En louange souffle leur esprit,
Quand du soleil du jour et de la Terre chaude
Elle s’éveille, et que tempêtes qui dans l’air, et autres,
Qui plus préparées en des profondeurs du Temps,
Et plus pleines de sens et plus à apprendre pour nous,
S’en viennent en voyageant entre Ciel et Terre et parmi les peuples.
Ce sont les pensées de l’esprit commun,
En paix finissant dans l’âme du poète.
Ô ! que vite frappée, elle, de l’Infini
Connue depuis longtemps, de souvenir
Ebranlée, et que lui soit, embrasé par un rayon salutaire,
Le fruit amoureusement porté, Grand-Œuvre des dieux et des hommes,
Le Plain-Chant, pour qu’il témoigne des deux, réussite.
Ainsi tomba, comme disent les poètes, alors que visiblement
Elle convoitait de voir le dieu, sa foudre sur la maison de Sémélé
Et la divinement atteinte mit au monde
Le fruit de l’orage, le salutaire Bacchus
De là vient que boivent Feu céleste à présent
Les fils de la Terre, sans péril.
Pourtant à nous revient, sous les orages de Dieu,
Ô poètes ! tête nue de nous tenir debout,
Et le Rayon du Père, lui-même, de notre propre main,
De le saisir et au peuple, en l’ode
Revoilée la donation céleste de la tendre,
Car ne sont de cœur pur,
Comme des enfants, que nous, sont innocentes nos mains.
Le rayon du Père, le pur, ne l’enflamme pas
Et profondément remué, aux souffrances d’un plus fort
Compatissant, demeure dans les tempêtes s’abattant de très haut,
Du Dieu, quand il approche, le cœur cependant ferme.
Cependant malheur à moi ! si de
Malheur à moi !
Et je dis aussitôt,
Que je me suis approché pour regarder les Célestes,
Eux-mêmes, ils me jettent loin sous les vivants,
Faux- prêtre, dans les ténèbres, pour que je
Chante l’ode de mise en garde aux dociles.
Là-bas
Traduit de l’allemand par François Fédier
in, « Hölderlin »
Les Cahiers de l’Herne
Editions de l’Herne, 1989
Du même auteur :
« Je connais quelque part un château-fort… » / « Das alte Schloss zu untergraben … » (14//02/2015)
Ainsi Ménon pleurait Diotima /Menons Klagen um diotima (14/02/2016)
Le Pays / Die Heima (06/02/2017)
Chant du destin d’Hypérion / Hyperions Schickalslied (06/02/2018)
Fantaisie du soir / Abendphantasie (06/02/2019)
En bleu adorable / In lieblicher Bläue (06/02/2020)
Fête de la paix / Friedensfeier (01/08/2021)
La moitié de la vie / Hälfte des Lebens (06/02/2022)
Pain et vin / Brot und wein (06/02/2023)
Patmos (06/02/2024)
Soiuvenir / Andenken (06/02/2025)
Wie wenn am Feiertage, das Feld zu sehn,
Ein Landmann geht, des Morgens, wenn
Aus heißer Nacht die kühlenden Blitze fielen
Die ganze Zeit und fern noch tönet der Donner,
In sein Gestade wieder tritt der Strom,
Und frisch der Boden grünt
Und von des Himmels erfreuendem Regen
Der Weinstock trauft und glänzend
In stiller Sonne stehn die Bäume des Haines:
So stehn sie unter günstiger Witterung,
Sie, die kein Meister allein, die wunderbar
Allgegenwärtig erzieht in leichtem Umfangen
Die mächtige, die göttlichschöne Natur.
Drum wenn zu schlafen sie scheint zu Zeiten des Jahrs
Am Himmel oder unter den Pflanzen oder den Völkern,
So trauert der Dichter Angesicht auch,
Sie scheinen allein zu sein, doch ahnen sie immer.
Denn ahnend ruhet sie selbst auch.
Jetzt aber tagts! Ich harrt und sah es kommen,
Und was ich sah, das Heilige sei mein Wort.
Denn sie, sie selbst, die älter denn die Zeiten
Und über die Götter des Abends und Orients ist,
Die Natur ist jetzt mit Waffenklang erwacht,
Und hoch vom Aether bis zum Abgrund nieder
Nach festem Gesetze, wie einst, aus heiligem Chaos gezeugt,
Fühlt neu die Begeisterung sich,
Die Allerschaffende, wieder.
Und wie im Aug ein Feuer dem Manne glänzt,
Wenn hohes er entwarf, so ist
Von neuem an den Zeichen, den Taten der Welt jetzt
Ein Feuer angezündet in Seelen der Dichter.
Und was zuvor geschah, doch kaum gefühlt,
Ist offenbar erst jetzt,
Und die uns lächelnd den Acker gebauet,
In Knechtsgestalt, sie sind erkannt,
Die Allebendigen, die Kräfte der Götter.
Erfrägst du sie? im Liede wehet ihr Geist,
Wenn es der Sonne des Tags und warmer Erd
Entwächst, und Wettern, die in der Luft, und andern,
Die vorbereiteter in Tiefen der Zeit,
Und deutungsvoller, und vernehmlicher uns
Hinwandeln zwischen Himmel und Erd und unter den Völkern.
Des gemeinsamen Geistes Gedanken sind,
Still endend, in der Seele des Dichters,
Daß schnellbetroffen sie, Unendlichem
Bekannt seit langer Zeit, von Erinnerung
Erbebt, und ihr, von heilgem Strahl entzündet,
Die Frucht in Liebe geboren, der Götter und Menschen Werk,
Der Gesang, damit er beiden zeuge, glückt.
So fiel, wie Dichter sagen, da sie sichtbar
Den Gott zu sehen begehrte, sein Blitz auf Semeles Haus
Und die göttlichgetroffne gebar,
Die Frucht des Gewitters, den heiligen Bacchus.
Und daher trinken himmlisches Feuer jetzt
Die Erdensöhne ohne Gefahr.
Doch uns gebührt es, unter Gottes Gewittern,
Ihr Dichter! mit entblößtem Haupte zu stehen,
Des Vaters Strahl, ihn selbst, mit eigner Hand
Zu fassen und dem Volk ins Lied
Gehüllt die himmlische Gabe zu reichen.
Denn sind nur reinen Herzens,
Wie Kinder, wir, sind schuldlos unsere Hände,
Des Vaters Strahl, der reine, versengt es nicht
Und tieferschüttert, die Leiden des Stärkeren
Mitleidend, bleibt in den hochherstürzenden Stürmen
Des Gottes, wenn er nahet, das Herz doch fest.
Doch weh mir! wenn von
Weh mir !
Und sag ich gleich,
Ich sei genaht, die Himmlischen zu schauen,
Sie selbst, sie werfen mich tief unter die Lebenden,
Den falschen Priester, ins Dunkel, daß ich
Das warnende Lied den Gelehrigen singe.
Dort
Poème précédent en allemand :
ClemensBrentano : Chant des moissons / Erntelied (02/01/2021)
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Friedrich Nietzche : La chanson ivre / Das trunkene lied (07/02/2021)