Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
6 février 2025

Friedrich Hölderlin (1770 - 1843) : Souvenir / Andenken

 

Souvenir

 

 

Le vent du nord est souffle,


de tous les vents mon préféré,


parce qu’il promet aux marins


esprit de feu et traversée heureuse.


Mais va maintenant, et salue


pour moi la belle Garonne,


et les jardins de Bordeaux


là-bas, où sur la rive abrupte


monte le chemin, où dans le fleuve


tombe profond le ruisseau,  mais là-haut


regarde au loin un noble couple


de chênes et de peupliers d’argent ;

 

 

Je m’en souviens encore et aussi


des larges cimes que penche,


sur le moulin, la forêt d’ormes,


mais dans la cour croît un figuier.


Là, aux jours de fête


marchent les femme brunes


sur le sol soyeux,


au temps de mars,


quand la nuit et le jour sont d’égale longueur,


quand sur de lents chemins,


chargés de rêves dorés,


passent les brises qui bercent.

-

 

Mais que l’un me tende,


remplie de sombre lumière,


la coupe odorante


qui me donnera le repos ; si doux


serait le sommeil sous son ombre.


Il n’est pas bon


d’avoir l’âme vide de pensées


mortelles. Mais c’est chose bonne


une conversation, de dire


ce que pense le cœur et d’écouter beaucoup


des jours de l’Amour ,


et des hauts faits, les récits

 

 

Mais où sont les Amis ? Bellarmin


avec son compagnon ? Maint


à peur d’aller jusqu’à la source ;


là, en effet, est le commencement


de la richesse, dans la mer. Eux,


comme les peintres, recueillent


la beauté de la terre et ne méprisent


point la guerre ailée, ni,


au long des ans, de vivre solitaires, sous


le mât défeuillé, où, la nuit, jamais ne percent


les lumières des fêtes de la ville,,


l’écho des harpes et des danses du pays.

 

 

Mais maintenant vers les Indes


les hommes sont partis,


là-bas loin de la pointe ventée


des montagnes de raisin, d’où


descend la Dordogne,


et où, ensemble avec la splendide


Garonne, le fleuve


disparaît dans la grande mer. C’est elle,


la mer, qui retire ici et donne la mémoire,


et l’amour aussi retient inlassablement le regard,


maiss ce qui demeure, les poètes le fondent.

 


Traduit de l’allemand par Gilles Jallet


In, Revue « Polyphonies, N°5, printemps 1987 »

 

 

En souvenir de

 

 

Il vente du nord-est


le plus cher qui d’entre les vents


me soit, car il prédit fougue, enthousiasme,


Et bon voyage aux mariniers.


Mais pars, maintenant, et salue


La belle Garonne


Et les jardins de Bourdeaux


Là-bas, depuis la rive franche


Où court l’embarcadère et chute le ruisseau


Au plus profond du fleuve, mais tandis


Qu’au-dessus d’eux regarde au loin un couple


Altier de chênes et peupliers d’argent.

 

 

Il m’en souvient très bien encore et comme


Largement le bois d’ormes incline


Ses cimes au-dessus du moulin,


Mais il y a dans la cour un figuier.


Là même, aux jours de fête,


Les femmes brunes vont


Fouler un sol soyeux


A la saison de mars,


Quand la nuit et le jour durent le même temps,


Et que dessus les lents embarcadères,


Lourdes de rêves d’or,


Des brises endormeuses passent.

 

 

Mais, qu’on me rende, pleine


De l’obscure lumière,


La coupe parfumée


Qui me permettrait le repos ; qu’il serait doux


Parmi les ombres le sommeil.


Il n’est pas bon


De perdre l’âme à coups de mortelles


Pensées. Mais il est bon


De se parler et de se dire


Ce qu’on pense en son cœur, d’entendre longuement


Parler de jours d’amour et puis


De grandes choses qui se font.

 

 

Mais, où sont-ils donc, les amis ? Bellarmin


Et son compagnon ? Beaucoup


Ont contrecoeur de se rendre à la source ;


La richesse, en effet commence


Dans la mer. Eux font


Comme les peintres une moisson


Des beautés de la terre et ne honnissent


Point la guerre des voilures, ni


D’habiter, à longueur d’an et seul, sous l’arbre


Nu des mâts, où il n’est pas de jours


De fête de la ville qui transpercent la nuit


De lumière, ni chants des cordes ou danses des pays.

 

 

Mais les hommes sont maintenant


Partis chez les Indiens


Là-bas par la pointe venteuse,


Au long des vignes, là


Où la Dordogne descend,


Où se conjugue, ample comme la mer,


A la Garonne magnifique,


Le fleuve, et part. Mais la mer


Prend et donne la mémoire,


Et l’amour aussi attache assidûment les yeux,


Mais ce qui reste est oeuvre des poètes.

 


Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre


In, « Anthologie bilingue de la poésie allemande »


Editions Gallimard (La Pléiade), 1995

 


Du même auteur :


« Je connais quelque part un château-fort… » / « Das alte Schloss zu untergraben … » 

(14//02/2015)


Ainsi Ménon pleurait Diotima /Menons Klagen um diotima (14/02/2016)


Le Pays / Die Heimat (06/02/2017)


Chant du destin d’Hypérion / Hyperions Schickalslied (06/02/2018)


Fantaisie du soir / Abendphantasie (06/02/2019)


En bleu adorable / In lieblicher Bläue (06/02/2020)


 « Comme, lorsqu’au jour de fête... » / « Wie wenn am Feiertage... » (06/02/21)


Fête de la paix / Friedensfeier (01/08/2021)


La moitié de la vie / Hälfte des Lebens (06/02/2022)


Pain et vin / Brot und wein (06/02/2023)


Patmos (06/02/2024)

 

 

Andenken

 

Der Nordost wehet,  


Der liebste unter den Winden


Mir, weil er feurigen Geist


Und gute Fahrt verheißet den Schiffern.


Geh aber nun und grüße


Die schöne Garonne,


Und die Gärten von Bourdeaux


Dort, wo am scharfen Ufer


Hingehet der Steg und in den Strom


Tief fällt der Bach, darüber aber


Hinschauet ein edel Paar


Von Eichen und Silberpappeln ;

 

 

Noch denket das mir wohl und wie  


 Die breiten Gipfel neiget


Der Ulmwald, über die Mühl,


Im Hofe aber wächset ein Feigenbaum.


An Feiertagen gehn


Die braunen Frauen daselbst


Auf seidnen Boden,


Zur Märzenzeit,


Wenn gleich ist Nacht und Tag,


Und über langsamen Stegen,


Von goldenen Träumen schwer,


Einwiegende Lüfte ziehen.

 

 

Es reiche aber,


Des dunkeln Lichtes voll,


Mir einer den duftenden Becher,


Damit ich ruhen möge ; denn süß


Wär unter Schatten der Schlummer.


Nicht ist es gut,


Seellos von sterblichen


Gedanken zu sein. Doch gut


Ist ein Gespräch und zu sagen


Des Herzens Meinung, zu hören viel


Von Tagen der Lieb,


Und Taten, welche geschehen.

 


Wo aber sind die Freunde ? Bellarmin


Trägt Scheue, an die Quelle zu gehn ;


Es beginnet nämlich der Reichtum


Im Meere. Sie,


Wie Maler, bringen zusammen


Das Schöne der Erd und verschmähn


Den geflügelten Krieg nicht, und


Zu wohnen einsam, jahrlang, unter


Dem entlaubten Mast, wo nicht die Nacht durchglänzen


Die Feiertage der Stadt,


Und Saitenspiel und eingeborener Tanz nicht.

 

Nun aber sind zu Indiern


Die Männer gegangen,


Dort an der luftigen Spitz


An Traubenbergen, wo herab


Die Dordogne kommt,


Und zusammen mit der prächtgen


Garonne meerbreit


Ausgehet der Strom. Es nehme aber


Und gibt Gedächtnis die See,


Und die Lieb auch heftet fleißig die Augen,


Was bleibet aber, stiften die Dichter

 


Poème précédent en allemand :


Friedrich Nietzche) : « Brume d’automne alentour... » / « Herbstnebel rings ... » (03/02/2025)

 

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
112 abonnés