Seamus Heaney (1939 – 2013) : Mère
Mère
Alors que je pompe de l’eau, le vent chargé
de crachats de pluie effiloche
La corde d’eau qui coule.
Elle se déroule, tel le placenta de l’air qui vient de naître,
A chaque goulée du plongeur.
Je suis fatiguée de nourrir le bétail.
Tous les soirs je manie le bras de cette pompe
Une demi-heure d’affilée, pendant que les vaches,
Dans l’étable, vident goulûment leurs abreuvoirs.
Avant que je n’y aie fait monter le niveau de l’eau
Elles le font baisser.
A la queue leu leu, elles sont rentrées par le portail tout fait
Qu’il a fixé dans la clôture : une tête de lit tintinnabulante
Attachée aux piquets avec du fil de fer. Elle est prête à rendre l’âme.
Maintenant, elle ne tinte plus du tout de joie.
Je suis fatiguée de me déplacer avec ce plongeur
En moi. Seigneur, il cabriole comme un jeune veau
Fou après la corde qui l’attache.
M’étendre ou rester debout ne calmera pas ces ruades,
Cette goulée dans mon puits.
Ô lorsque je me délivrerai
Qu’un vent effiloche mes eaux
Tel celui qui ente ma jupe entre mes cuisses
Et gonfle ma gorge d’air.
Traduit de l’anglais par Florence Lafon
in, Seamus Heaney : « Poèmes 1966 – 1984 »
Editions Gallimard, 1988
Du même auteur :
Bonne nuit / Good night (26/02/2019)
Rites funèbres / Funeral Rites (27/05/2021)
Victime / Casualty (27/05/2022)
Bêcher / Digging (27/05/2023)
L’homme de Tollund / The Tollund man (27/05/2024)