Gaucelm Faidit (vers 1150 – vers 1205) : « Du vaste sein de la mer... » / « Del gran golfe de mar... »
Du vaste sein de la mer
Et des ennuis des ports
Et des périls du phare
Suis, Dieu merci, sorti,
Et puis dire et conter
Que maints maux et douleurs
Y ai soufferts, et maints tourments ;
Et puisqu’ à Dieu plaît que revienne
En Limousin, le cœur joyeux,
Dont partis avec tristesse,
Pour retour et grand faveur
Le remercie, puisque me l’accorde.
Bien dois Dieu remercier
Qui veut que sain et fort
Puis au pays retourner,
Y vaut mieux jardinet
Qu’en d’autres terres être
Riche avec de grands biens ;
Car seul le bel accueillement,
Les nobles gestes, les dits plaisants
De notre dame et les présents
D’amoureuse accointance
Et la si double semblance
Valent tous les biens en autres terres.
Or ai droit de chanter
Car vois joie et plaisir
Fêtes et jouissances
Qui sont en votre Cour ;
Les fontaines, le ru clair
Me font le cœur joyeux,
Et prés et vergers, tout m’est gent,
Qu’or ne crains plus ni mer ni vents
Du nord-ouest ou de l’ouest.
Ma nef n’est plus balancée
Et n’ai plus à redouter
Galère ni corsaire, poursuivant.
Cil qui pour Dieu gagner
Prend de tels déconforts
Et pour son âme sauver,
A raison et pas tort ;
Mais cil qui pour voler
Et mal se comporter
Va par mer, tel homme tel mal prend
En peu de temps que bien souvent
Quand il croit s’élever, il choit,
Et avec désespérance
Il laisse tout et il lance
L’âme et le corps, l’or et l’argent.
Adaptée de l’occitan par France Igly
In, « Troubadours et trouvères »
Pierre Seghers, 1960
Du grand gouffre de la mer
et des ennuis des ports
et des phares périlleux
je suis désormais sauvé
donc je peux dire et conter
que bien plus d’un malheur
j’y ai souffert et des tourments
et puisque à Dieu plaît que je retourne
en Limousin le cœur joyeux
dont je partis avec douleur
du retour et de l’honneur
je le remercie puisqu’il me les donne
Je dois bien remercier Dieu
qui veut que sain et fort
je retourne au pays
où mieux vaut un jardin
qu’être une autre terre
riche en grand réconfort
car seul le bel accueil
les nobles actions aimables paroles
de notre dame et ses cadeaux
d’amoureuse accointance
et sa double ressemblance
valent ce que d’autres terres produit
Maintenant je peux chanter
je vois joie et plaisir
délice et courtoisie
car c’est notre volonté
les fontaines et les ruisseaux clairs
me font allégresse au cœur
les prés et les vergers
car tout m’est enchanteur
maintenant je ne crains mer ni vent
ni le garbi ni le mistral ni le ponant
ni que le navire balance
je n’ai plus peur
ni de corsaire courant
Celui qui pour gagner Dieu
risque de tels dangers
et pour sauver son âme
a raison n’a pas tort
mais celui qui pour voler
avec de mauvais desseins
va sur mer où sont tant de maux
en peu d’heures il arrive souvent
qu’il croie monter mais descende
si bien qu’en désespérance
il laisse et abandonne
âme et corps et or et argent
Traduit de l’occitan par Claude Adelen
in, Bernard Delvaille « Mille et cent ans de poésie française »
Editions Robert Laffont (Bouquins), 1991
Du même auteur :
« Un chevalier reposait... » / « Us cavaliers si jazia... » (10/10/2023)
« Triste chose est... » / « Fortz chaua e... » (10/10/2024)
Del gran golfe de mar
E dels enois dels portz,
E dels perillos far,
Soi, merce Dieu estortz
Don posc dir e comdar
Qe mainta malanansa
I hai suffert’e maint turmen
E pos a Dieu platz que torn m'en
En Lemozi, ab cor jauzen
Don parti ab pesansa
Lo tornar e l'onransa
Li grazisc, pos el m'o cossen.
Ben dei Dieu mercejar,
Pos vol que sans e fortz
Puesc' el pais tornar
On val mais uns paucs ortz
Qe d'autra terr'estar
Rics ab gran benanansa
Qar sol li bel acuillimen
E-il onrat fag e·il dig plazen
De nostra domn'eb-il prezen
D'amorosa coindansa
E la doussa semblanza
Val tot can autra terra ren.
Ar hai dreg de chantar
Pos vei joi e deportz
Solatz e domnejar
Qar so es vostr'acortz
E las font e-l riu clar
Fan m'al cor alegransa
Prat e vergier, qar tot m'es gen
Q'era non dopti mar ni ven
Garbi maistre ni ponen
Ni ma naus no-m balansa
Ni no-m fai mais doptansa
Galea ni corsier corren.
Qi per Dieu gazaignar
Pren d'aitals desconortz
Ni per s'arma salva
Ben es dregz, non ges tortz
Mas cel qi per raubar
E per mal'acordansa
Vai per mar on hom tan mal pren
Em pauc d'ora s'aven soven
Qe qan cuj'om pujar deissen
Si c'ab desesperansa
Il laissa tot en lansa
L'arm'e-l cors e l'aur e l'argen.
Poème précédent en occitan :
Max Rouquette : La vieille / La vièlha (06/10/2025)