Magtymguly Pyragy (1724- 1827) : « Debout ! me dirent-ils... »
/image%2F1371599%2F20251011%2Fob_a09212_1-1.png)
« Debout ! me dirent-ils... »
Une fois à minuit, pendant que je dormais,
Vinrent quatre cavaliers, « Debout ! me dirent-ils,
Nous venons t’annoncer la chance de ta vie !
Les Hommes sont là, viens les voir ! »
Quand mon regard tomba sur les quatre Braves,
Mon coeur s’exalta, la tête me tourna.
Près de moi se tenaient deux Inspirés.
« Mon garçon, me dirent-ils, pars sans plus attendre ! »
Les deux Inspirés me prirent par le bras,
M’emmenant loin des lieux où je reposais.
Alors, auprès de moi, il y eut un signal :
« Arrête-toi ici, me dirent-ils, et contemple ! »
Comme nous étions assis, vinrent deux Fils des Sages.
Des larmes coulaient de leurs yeux, des prières de leur bouche.
« C’est Lui la Vérité ! » crièrent six hommes à pieds, surgissant.
« L’Homme arrive maintenant : vois-le ! » me dirent-ils.
Vinrent quatre cavaliers, tous vêtus de vert.
Verts étaient leurs sceptres. Les pas de leurs chevaux sonnaient.
« Ne soyez pas si peu, au Cercle des Convives !
Envoyez-en quérir, dirent-ils, pour une grande Assemblée ! »
On vit de l’horizon surgir soixante cavaliers.
Tous s’avancèrent en criant ; « Mohammed !»
Ils s’entre-saluèrent s’enquérant de leur sante.
« Ne restons pas ici, allons vers le Grand Lieu ! »
On me prit en croupe et ils m’emmenèrent.
Arrivés au Lieu de Contemplation, ils s’arrêtèrent.
Tous s’installèrent et formèrent l’Assemblée.
« Mon garçon, me dirent-ils, viens parmi nous ! »
« Voilà Ali : » dirent-ils. Il me prit par la main.
Il enleva la natte de jonc où j’étais assis.
Il mit sur moi quelque chose que je ne pus identifier.
« C’est le Règne qui t’échoit ! Règne donc ! » me dirent-ils.
Au Lion Ali, je demandai le nom de chacun.
« Voici le Saint Prophète, sache-le bien !
Voici Sèlim-Hodja, voici Baba-Zouryat !
Voici Veysel-Kara, sache-le ! » me dit-il.
« Voici Baha-ed-Dîn , un Homme par excellence,
Voici Zenguî-Baba l’Illustre !
Et ces quatre hommes en liesse ce sont les Compagnons Bien-Aimés !
Quoique tu puisses désirer, demande-leur ! » dit-il,
Alors les deux jeunes Cheïks qui se tenaient là, debout,
Dirent à leur tour : « Bénissez ce garçon ! »
« Voici les Trente Prophètes et les Trente Compagnons,
Tous sont ici, sache-le bien ! » me dirent-ils.
L’Envoyé de Dieu di : « Ô Ali, roi des hommes de cœur !
Et toi, Sélim-Hodja, et toi, Baba-Selmân,
Abou-Bakr le Juste, Omar, et Osman !
Donnez à ce serviteur de Dieu ce qu’il souhaite ! »
Sélim et Baba-Selmân donnèrent un ordre à un homme.
On me tendit la Coupe, j’y bus, et je reçus un coup terrible :
Je perdis connaissance et tombai, terrassé.
« Vois, me dirent-il,; tout ce qu’il y a dans le monde et au plus haut des cieux ! »
Je devins vent et m’engouffrai dans les veines de la terre.
Mon regard atteignit la plus haute voute des cieux.
« Dans le Monde de la Grandeur Suprême, le Mystère du Très-Haut,
Va le contempler de tes propres yeux, et vois-le ! » me dirent-ils.
Tout ce que j’avais pu imaginer, je l’obtins.
Tout ce que je regardais, ma vue le pénétra.
Alors que je restais étendu, dans cet état de béatitude,
On me cracha au visage, en me criant : « Debout ! »
L’Envoyé de Dieu s’écria : « Allez, mes Compagnons !
Donnez-lui votre bénédiction, et expédiez-le ! »
Aux quatre cavaliers, il commanda : « Emmenez-le, portez-le,
Et déposez-le là où vous l’avez pris ! »
Magtymguly a ouvert les yeux et s’est levé.
Quelles émotions n(avait-il pas ressenties !
Comme un chameau mâle hors de lui, il avait la bouche débordante d’écume
blanche.
« Mon garçon ! lui avait-on dit, tu es désormais l’Ami de Dieu ! Va ton chemin ! »
Traduit du Turkmène par Louis Bazin et Pertev Boravav
in, Magtymguly Pyragy : « Poèmes turkmènes »
Jean Picollec Editeur, 2014