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Le bar à poèmes
15 avril 2025

Salvatore Quasimodo (1901 – 1968) : Plainte pour le Sud / Lamento per il Sud

 

Plainte pour le Sud

 

 

La lune rouge, le vent, ta couleur


de femme du nord, l’étendue de neige...


Mon cœur est désormais sur ces prairies


dans ces eaux assombries par les brumes.


J’ai oublié la mer, le pesant


coquillage dans lequel soufflaient les bergers siciliens,


les cantilènes des charrettes le long des routes


où le caroubier tremble dans la vapeur des éteules,


j’ai oublié le passage des hérons et des grues


dans l’air des hauts plateaux verts


par les terres et les fleuves de la Lombardie.


Mais l’homme crie partout le destin d’une patrie.


Plus personne ne m’emmènera vers le Sud.

 

 

Oh le Sud est las de charrier des morts


au bord des marécages de malaria,


il est las de solitude, las de chaînes


il est las dans sa bouche


des blasphèmes de toutes les races


qui ont hurlé à la mort avec l’écho de ses puits


qui ont bu le sang de son cœur.


C’est pourquoi ses enfants retournent sur les monts,


assujettissent les chevaux à des coutres d’étoiles,


mangent des fleurs d’acacias le long des pistes


de nouveau rouges, encore rouges, encore rouges.


Plus personne ne m’emmènera vers le Sud.

 

 

Et ce soir chargé d’hiver


nous appartient encore, et je te répète ici


mon absurde contrepoint


de douceurs et de rages,


une plainte d’amour sans amour.

 

 

 

Traduit de l’italien par Jean-Yves Masson,


In, Revue « Polyphonie, N°7 printemps 1988 »

 

 

Complainte pour le Sud

 

La lune rouge, le vent, ton teint


de femme du nord, l’étendue de neige...


Mon cœur est désormais sur ces prairies


dans ces eaux ennuagées de brumes.


J’ai oublié la mer, la conque


grave soufflent les bergers siciliens,


les cantilènes des charrettes le long des routes


où le caroubier tremble dans la fumée des chaumes,


j’ai oublié le pas des hérons et des grues


dans l’air des verts plateaux 


par les terres et les fleuves de la Lombardie.


Mais l’homme pleure partout le destin d’une patrie.


Plus personne ne m’emmènera dans le Sud.

 

 

Oh le Sud est las de charrier ses morts


au bord de palus de malaria,


il est las de solitude, las des chaînes


las d’avoir dans sa bouche


les blasphèmes de toutes les races


qui ont hurlé à la mort avec l’écho de ses puits


et qui ont bu le sang de son cœur.


C’est pour cela que ses enfants retournent dans les montagnes,


domptent les chevaux sous les draps d’étoiles,


mangent les fleurs d’acacias le long des pistes


à nouveau rouges, encore rouges, encore rouges.


Plus personne ne m’emmènera dans le Sud.

 

 

Et ce soir chargé d’hiver


est encore nôtre, et je te répète ici


mon absurde contrepoint


de douceurs et de rages,


une complainte d’amour sans amour.

 

 

 


Traduit de l'italien par Roland Ladrière


in, Salvatore Quasimodo : "Oeuvres poétiques"


Editions de Corlevour, 92110 Clichy, 2021

 

Du même auteur : 


Et c’est bientôt le soir / Ed è subito sera (01/11/2014)


J'entends encore la mer / S’ode ancora il mare (15/04/2018)


Devant le gisant d’Ilaria del Carretto / Davanti al simulacro d’Ilaria Del Carretto (15/04/2019)


Anno Domini MCMXLVII (15/04/2020)


Vent à Tyndaris / Vento a Tindari (15/04/2021)


Temple de Zeus à Agrigente / Tempio di Zeus Ad Agrigento 15/04/2022)


La pie noire rit sur les orangers / Ride la gazza, nera sugli aranci. (06/10/2022)


Les retours / I Ritorni (15/04/2023)


Glendalough (06/10/2023) 


Ô mes doux animaux / O miei dolci animali (15/04/2024)


Dialogue / Dialogo (06/10/2024)


Lamento per il Sud

 


La luna rossa, il vento, il tuo colore

 

di donna del Nord, la distesa di neve…

 

Il mio cuore è ormai su queste praterie,

 

in queste acque annuvolate dalle nebbie.

 

Ho dimenticato il mare, la grave

 

conchiglia soffiata dai pastori siciliani,

 

le cantilene dei carri lungo le strade

 

dove il carrubo trema nel fumo delle stoppie,

 

ho dimenticato il passo degli aironi e delle gru

 

nell’aria dei verdi altipiani

 

per le terre e i fiumi della Lombardia.

 

Ma l’uomo grida dovunque la sorte d’una patria.

 

Più nessuno mi porterà nel Sud.

 

 


Oh, il Sud è stanco di trascinare morti

 

 in riva alle paludi di malaria,

 

è stanco di solitudine, stanco di catene,

 

è stanco nella sua bocca

 

delle bestemmie di tutte le razze

 

che hanno urlato morte con l’eco dei suoi pozzi,

 

che hanno bevuto il sangue del suo cuore.

 

Per questo i suoi fanciulli tornano sui monti,

 

costringono i cavalli sotto coltri di stelle,

 

mangiano fiori d’acacia lungo le piste

 

nuovamente rosse, ancora rosse, ancora rosse.

 

Più nessuno mi porterà nel Sud.

 

 


E questa sera carica d’inverno

 

è ancora nostra, e qui ripeto a te

 

il mio assurdo contrappunto

 

di dolcezze e di furori,

 

un lamento d’amore senza amore. 

 

 

 


La vita non è sogno, 1946-1948


Mondadori, Milano (Italia),1949


Poème précédent en italien :


Eugenio Montale : Elégie de Pico  Farnese / Elegia di Pico Farnese 08/02/2025)

 

Poème suivant en italien :


Cesare Pavese (1908 – 1950) : Travailler fatigue / Lavorare stanca (18/04//2025)
 

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