Salvatore Quasimodo (1901 – 1968) : Plainte pour le Sud / Lamento per il Sud
Plainte pour le Sud
La lune rouge, le vent, ta couleur
de femme du nord, l’étendue de neige...
Mon cœur est désormais sur ces prairies
dans ces eaux assombries par les brumes.
J’ai oublié la mer, le pesant
coquillage dans lequel soufflaient les bergers siciliens,
les cantilènes des charrettes le long des routes
où le caroubier tremble dans la vapeur des éteules,
j’ai oublié le passage des hérons et des grues
dans l’air des hauts plateaux verts
par les terres et les fleuves de la Lombardie.
Mais l’homme crie partout le destin d’une patrie.
Plus personne ne m’emmènera vers le Sud.
Oh le Sud est las de charrier des morts
au bord des marécages de malaria,
il est las de solitude, las de chaînes
il est las dans sa bouche
des blasphèmes de toutes les races
qui ont hurlé à la mort avec l’écho de ses puits
qui ont bu le sang de son cœur.
C’est pourquoi ses enfants retournent sur les monts,
assujettissent les chevaux à des coutres d’étoiles,
mangent des fleurs d’acacias le long des pistes
de nouveau rouges, encore rouges, encore rouges.
Plus personne ne m’emmènera vers le Sud.
Et ce soir chargé d’hiver
nous appartient encore, et je te répète ici
mon absurde contrepoint
de douceurs et de rages,
une plainte d’amour sans amour.
Traduit de l’italien par Jean-Yves Masson,
In, Revue « Polyphonie, N°7 printemps 1988 »,
Complainte pour le Sud
La lune rouge, le vent, ton teint
de femme du nord, l’étendue de neige...
Mon cœur est désormais sur ces prairies
dans ces eaux ennuagées de brumes.
J’ai oublié la mer, la conque
grave soufflent les bergers siciliens,
les cantilènes des charrettes le long des routes
où le caroubier tremble dans la fumée des chaumes,
j’ai oublié le pas des hérons et des grues
dans l’air des verts plateaux
par les terres et les fleuves de la Lombardie.
Mais l’homme pleure partout le destin d’une patrie.
Plus personne ne m’emmènera dans le Sud.
Oh le Sud est las de charrier ses morts
au bord de palus de malaria,
il est las de solitude, las des chaînes
las d’avoir dans sa bouche
les blasphèmes de toutes les races
qui ont hurlé à la mort avec l’écho de ses puits
et qui ont bu le sang de son cœur.
C’est pour cela que ses enfants retournent dans les montagnes,
domptent les chevaux sous les draps d’étoiles,
mangent les fleurs d’acacias le long des pistes
à nouveau rouges, encore rouges, encore rouges.
Plus personne ne m’emmènera dans le Sud.
Et ce soir chargé d’hiver
est encore nôtre, et je te répète ici
mon absurde contrepoint
de douceurs et de rages,
une complainte d’amour sans amour.
Traduit de l'italien par Roland Ladrière
in, Salvatore Quasimodo : "Oeuvres poétiques"
Editions de Corlevour, 92110 Clichy, 2021
Du même auteur :
Et c’est bientôt le soir / Ed è subito sera (01/11/2014)
J'entends encore la mer / S’ode ancora il mare (15/04/2018)
Devant le gisant d’Ilaria del Carretto / Davanti al simulacro d’Ilaria Del Carretto (15/04/2019)
Anno Domini MCMXLVII (15/04/2020)
Vent à Tyndaris / Vento a Tindari (15/04/2021)
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Glendalough (06/10/2023)
Ô mes doux animaux / O miei dolci animali (15/04/2024)
Dialogue / Dialogo (06/10/2024)
Lamento per il Sud
La luna rossa, il vento, il tuo colore
di donna del Nord, la distesa di neve…
Il mio cuore è ormai su queste praterie,
in queste acque annuvolate dalle nebbie.
Ho dimenticato il mare, la grave
conchiglia soffiata dai pastori siciliani,
le cantilene dei carri lungo le strade
dove il carrubo trema nel fumo delle stoppie,
ho dimenticato il passo degli aironi e delle gru
nell’aria dei verdi altipiani
per le terre e i fiumi della Lombardia.
Ma l’uomo grida dovunque la sorte d’una patria.
Più nessuno mi porterà nel Sud.
Oh, il Sud è stanco di trascinare morti
in riva alle paludi di malaria,
è stanco di solitudine, stanco di catene,
è stanco nella sua bocca
delle bestemmie di tutte le razze
che hanno urlato morte con l’eco dei suoi pozzi,
che hanno bevuto il sangue del suo cuore.
Per questo i suoi fanciulli tornano sui monti,
costringono i cavalli sotto coltri di stelle,
mangiano fiori d’acacia lungo le piste
nuovamente rosse, ancora rosse, ancora rosse.
Più nessuno mi porterà nel Sud.
E questa sera carica d’inverno
è ancora nostra, e qui ripeto a te
il mio assurdo contrappunto
di dolcezze e di furori,
un lamento d’amore senza amore.
La vita non è sogno, 1946-1948
Mondadori, Milano (Italia),1949
Poème précédent en italien :
Eugenio Montale : Elégie de Pico Farnese / Elegia di Pico Farnese 08/02/2025)
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Cesare Pavese (1908 – 1950) : Travailler fatigue / Lavorare stanca (18/04//2025)