Dino Campana (1885 – 1932) : Voyage à Montevideo / Viaggio a Montevideo
Voyage à Montevideo
J’ai vu du pont du navire
Les collines de l’Espagne
Disparaître dans le vert
Cachant la terre brune sous le crépuscule d’or
Comme une mélodie :
Seule, jeune fille d’une scène inconnue,
Comme une mélodie
Bleue, sur la rive des collines, j’ai vu trembler une violette...
Le ciel serein s’alanguissant sur la mer :
Puis les silences dorés de temps en temps par les ailes
Entrèrent lentement dans l’azur...
Lointains et teints de mille couleurs
Venus des plus lointains silences
Des oiseaux d’or entrèrent dans le ciel serein : le navire
Aveugle entrait en cognant dans les ténèbres
Avec nos cœurs naufragés
Et les ailes du ciel cognaient les ténèbres sur la mer.
Mais un jour
Montèrent sur le navire les lourdes matrones d’Espagne
Aux yeux troubles et angéliques
Aux seins lourds de vertige. Le jour
Où dans la baie profonde d’une île équatoriale
Dans une baie plus tranquille et profonde que le ciel nocturne
Nous vîmes surgir dans la lumière ensorcelée
Une ville blanche endormie
Aux pieds des très hauts pics des volcans éteints
Dans l’haleine trouble de l’équateur : et enfin
Après tant de cris et tant d’ombres d’un pays inconnu,
Après tant de grincements de chaînes et de ferveur brûlante
Nous quittâmes la ville équatoriale
Pour aller vers l’inquiète mer nocturne.
Nous allions nous allions, jour après jour : les navires
Lourds de voiles molles d’haleines chaudes nous croisaient
Avec lenteur : et une jeune fille de la race nouvelle
Nous apparaissait à la poupe, bronzée
Les yeux luisants et la robe au vent ! et tout à coup
Sauvage, à la fin du jour apparut
La rive sauvage là-bas au-dessus de la mer sans limites
Et je vis comme des cavales
Vertigineuses se dérouler les dunes
Vers la prairie sans fin
Déserte sans les maisons des hommes
Et nous virâmes de bord pour fuir les dunes et apparut
Sur une mer jaunie par la puissante richesse du fleuve
La capitale marine du nouveau continent.
Fraîche limpide et électrique était la lampe
Du soir et là les hautes maisons semblaient désertes
Là-bas sur la mer du pirate
Les maisons de la ville abandonnée
Entre la mer jaune et les dunes.....................................
......................................................................................
Traduit de l’italien par Michel Sager
In, « Anthologie bilingue de la poésie italienne »
Editions Gallimard (Pléiade)1994
Voyage à Montevideo
Je vis du pont du navire
Les collines d’Espagne
S’évanouir, dans le vert
Dedans le crépuscule d’or la brune terre celant
Comme une mélodie :
De scène ignorée enfant seule
Comme une mélodie
Bleue, sur la rive des collines encore trembler une viole...
Alanguissait le soir céleste sur la mer :
Jusqu’aux dorés silences alors alors de l’aile
Franchirent lentement en un bleuissement...
Lointains et teints des diverses couleurs
Depuis les plus lointains silences
Dans le céleste soir franchirent les oiseaux d’or : le navire
Déjà aveugle franchissant en battant la ténèbre
Avec nos cœurs naufragés
Battant la ténèbre l’aile céleste sur la mer.
Mais un jour
Montèrent sur le navire les lourdes matrones d’Espagne
Aux yeux troubles et angéliques
Aux seins gravides de vertige. Quand
Dans une baie profonde d’une île équatoriale
Dans une baie tranquille et profonde bien plus que le ciel nocturne
Nous vîmes surgir dans la lumière enchantée
Une blanche cité endormie
Aux pieds des pics très hauts des volcans éteints
Dans le souffle trouble de l’équateur : jusqu’au jour où
Après tant de cris et tant d’ombres d’un pays inconnu,
Après tant de grincements de chaînes et tant de ferveur embrasée
Nous quittâmes la cité équatoriale
Vers l’inquiète mer nocturne.
Nous allions nous allions, pendant des jours et des jours : les navires
Lourds de voiles molles de souffles chauds croisaient lentement
Si près de nous sur la dunette nous apparaissait de bronze
Une jeune fille de la race nouvelle,
Les yeux luisants et les habits au vent ! et voici : sauvage à la fin d’un jour
qu’apparut
La rive sauvage là-bas par-dessus la grève de la mer sans limites :
Et je vis comme des cavales
Vertigineuses se défaire les dunes
Vers la prairie sans fin
Déserte sans les maisons humaines
Et nous virâmes fuyant les dunes quand apparut
Sur une mer jaune de la prodigieuse abondance du fleuve
Du continent nouveau la capitale marine.
Limpide fraîche et électrique était la lampe
Du soir et là les hautes maisons paraissaient désertes
Là-bas sur la mer du pirate
De la cité abandonnée
Entre la mer jaune et les dunes.....................................
...................................................................................... ;
Traduit de l’italien par Irène Gayraud et Christophe Mileschi
In, Dino Campana : « Chants orphiques et autres poèmes »,
édition bilingue.
Editions Points, 2016
Du même auteur :
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Viaggio a Montevideo
Io vidi dal ponte della nave
I colli di Spagna
Svanire, nel verde
Dentro il crepuscolo d'oro la bruna terra celando
Come una melodia:
D'ignota scena fanciulla sola
Come una melodia
Blu, su la riva dei colli ancora tremare una viola...
Illanguidiva la sera celeste sul mare:
Pure i dorati silenzii ad ora ad ora dell'ale
Varcaron lentamente in un azzurreggiare: ...
Lontani tinti dei varii colori
Dai più lontani silenzii
Ne la ceste sera varcaron gli uccelli d'oro: la nave
Già cieca varcando battendo la tenebra
Coi nostri naufraghi cuori
Battendo la tenebra l'ale celeste sul mare.
Ma un giorno
Salirono sopra la nave le gravi matrone di Spagna
Da gli occhi torbidi e angelici
Dai seni gravidi di vertigine. Quando
In una baia profonda di un'isola equatoriale
In una baia tranquilla e profonda assai più del cielo notturno
Noi vedemmo sorgere nella luce incantata
Una bianca città addormentata
Ai piedi dei picchi altissimi dei vulcani spenti
Nel soffio torbido dell'equatore: finché
Dopo molte grida e molte ombre di un paese ignoto,
Dopo molto cigolìo di catene e molto acceso fervore
Noi lasciammo la città equatoriale
Verso l'inquieto mare notturno.
Andavamo andavamo, per giorni e per giorni: le navi
Gravi di vele molli di caldi soffi incontro passavano lente:
Sì presso di sul cassero a noi ne appariva bronzina
Una fanciulla della razza nuova,
Occhi lucenti e le vesti al vento! ed ecco:
Selvaggia a la fine di un giorno che apparve
La riva selvaggia là giù sopra la sconfinata marina:
E vidi come cavalle
Vertiginose che si scioglievano le dune
Verso la prateria senza fine
Deserta senza le case umane
E noi volgemmo fuggendo le dune che apparve
Su un mare giallo de la portentosa dovizia del fiume,
Del continente nuovo la capitale marina.
Limpido fresco ed elettrico era il lume
Della sera e là le alte case parevan deserte
Laggiù sul mar del pirata
De la città abbandonata
Tra il mare giallo e le dune..
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