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Le bar à poèmes
1 février 2025

Dino Campana (1885 – 1932) : Voyage à Montevideo / Viaggio a Montevideo

 

Voyage à Montevideo

 

 

J’ai vu du pont du navire


Les collines de l’Espagne


Disparaître dans le vert


Cachant la terre brune sous le crépuscule d’or  


Comme une mélodie :


Seule, jeune fille d’une scène inconnue,


Comme une mélodie


Bleue, sur la rive des collines, j’ai vu trembler une violette...


Le ciel serein s’alanguissant sur la mer :


Puis les silences dorés de temps en temps par les ailes


Entrèrent lentement dans l’azur...


Lointains et teints de mille couleurs


Venus des plus lointains silences


Des oiseaux d’or entrèrent dans le ciel serein : le navire


Aveugle entrait en cognant dans les ténèbres

 


Avec nos cœurs naufragés


Et les ailes du ciel cognaient les ténèbres sur la mer.


Mais un jour


Montèrent sur le navire les lourdes matrones d’Espagne


Aux yeux troubles et angéliques


Aux seins lourds de vertige. Le jour


Où dans la baie profonde d’une île équatoriale


Dans une baie plus tranquille et profonde que le ciel nocturne


Nous vîmes surgir dans la lumière ensorcelée


Une ville blanche endormie


Aux pieds des très hauts pics des volcans éteints


Dans l’haleine trouble de l’équateur : et enfin


Après tant de cris et tant d’ombres d’un pays inconnu,


Après tant de grincements de chaînes et de ferveur brûlante


Nous quittâmes la ville équatoriale


Pour aller vers l’inquiète mer nocturne.


Nous allions nous allions, jour après jour : les navires


Lourds de voiles molles d’haleines chaudes nous croisaient


Avec lenteur : et une jeune fille de la race nouvelle


Nous apparaissait à la poupe, bronzée


Les yeux luisants et la robe au vent ! et tout à coup


Sauvage, à la fin du jour apparut


La rive sauvage là-bas au-dessus de la mer sans limites


Et je vis comme des cavales


Vertigineuses se dérouler les dunes


Vers la prairie sans fin


Déserte sans les maisons des hommes


Et nous virâmes de bord pour fuir les dunes et apparut


Sur une mer jaunie par la puissante richesse du fleuve


La capitale marine du nouveau continent.


Fraîche limpide et électrique était la lampe


Du soir et là les hautes maisons semblaient désertes


Là-bas sur la mer du pirate


Les maisons de la ville abandonnée


Entre la mer jaune et les dunes.....................................


......................................................................................

 

 


Traduit de l’italien par Michel Sager


In, « Anthologie bilingue de la poésie italienne »


Editions Gallimard (Pléiade)1994

 

 


Voyage à Montevideo

 

Je vis du pont du navire


Les collines d’Espagne


S’évanouir, dans le vert


Dedans le crépuscule d’or la brune terre celant


Comme une mélodie :


De scène ignorée enfant seule


Comme une mélodie


Bleue, sur la rive des collines encore trembler une viole...


Alanguissait le soir céleste sur la mer :


Jusqu’aux dorés silences alors alors de l’aile


Franchirent lentement en un bleuissement...


Lointains et teints des diverses couleurs


Depuis les plus lointains silences


Dans le céleste soir franchirent les oiseaux d’or : le navire


Déjà aveugle franchissant en battant la ténèbre


Avec nos cœurs naufragés


Battant la ténèbre l’aile céleste sur la mer.


Mais un jour


Montèrent sur le navire les lourdes matrones d’Espagne


Aux yeux troubles et angéliques


Aux seins gravides de vertige. Quand


Dans une baie profonde d’une île équatoriale


Dans une baie tranquille et profonde bien plus que le ciel nocturne


Nous vîmes surgir dans la lumière enchantée


Une blanche cité endormie


Aux pieds des pics très hauts des volcans éteints


Dans le souffle trouble de l’équateur : jusqu’au jour où


Après tant de cris et tant d’ombres d’un pays inconnu,


Après tant de grincements de chaînes et tant de ferveur embrasée


Nous quittâmes la cité équatoriale


Vers l’inquiète mer nocturne.


Nous allions nous allions, pendant des jours et des jours : les navires


Lourds de voiles molles de souffles chauds croisaient lentement


Si près de nous sur la dunette nous apparaissait de bronze


Une jeune fille de la race nouvelle,


Les yeux luisants et les habits au vent ! et voici : sauvage à la fin d’un jour


     qu’apparut


La rive sauvage là-bas par-dessus la grève de la mer sans limites :


Et je vis comme des cavales


Vertigineuses se défaire les dunes


Vers la prairie sans fin


Déserte sans les maisons humaines


Et nous virâmes fuyant les dunes quand apparut


Sur une mer jaune de la prodigieuse abondance du fleuve


Du continent nouveau la capitale marine.


Limpide fraîche et électrique était la lampe


Du soir et là les hautes maisons paraissaient désertes


Là-bas sur la mer du pirate

 

De la cité abandonnée


Entre la mer jaune et les dunes.....................................


...................................................................................... ;

 

 

 


Traduit de l’italien par Irène Gayraud et Christophe Mileschi


In, Dino Campana : « Chants orphiques et autres poèmes »,

 

édition bilingue.


Editions Points, 2016

 


Du même auteur :


Gênes / Genova (20/08/2017)


La Chimère / La Chimera (20/08/2018)


Poésie facile / Poesia facile (20/08/2019)


Jardin automnal (Florence) / Giardino autunnale (Firenze) (20/02/2020)


Bâtiment en voyage / Bastimento in viaggio (20/08/2020)


L’espérance (sur le torrent nocturne) /La speranza (sul torrente notturno) (01/02/2021)


La baie vitrée / L’invetriata (20/08/2021)


Le chant de la ténèbre / Il canto della tenebra (01/02/2022)


Le soir de la foire / La sera di fiera (20/08/2022)


Guglielma et Manfreda au balcon (XIIIème siècle) /Guglielmina e Manfreda al balcone (Secolo XIII) (01/02/2023)


Femme génoise / Donna genovese (01/02/2024)

 

 

Viaggio a Montevideo

 

Io vidi dal ponte della nave


I colli di Spagna


Svanire, nel verde


Dentro il crepuscolo d'oro la bruna terra celando


Come una melodia:


D'ignota scena fanciulla sola


Come una melodia


Blu, su la riva dei colli ancora tremare una viola...


Illanguidiva la sera celeste sul mare:


Pure i dorati silenzii ad ora ad ora dell'ale


Varcaron lentamente in un azzurreggiare: ...


Lontani tinti dei varii colori


Dai più lontani silenzii


Ne la ceste sera varcaron gli uccelli d'oro: la nave


Già cieca varcando battendo la tenebra


Coi nostri naufraghi cuori


Battendo la tenebra l'ale celeste sul mare.


Ma un giorno


Salirono sopra la nave le gravi matrone di Spagna


Da gli occhi torbidi e angelici


Dai seni gravidi di vertigine. Quando


In una baia profonda di un'isola equatoriale


In una baia tranquilla e profonda assai più del cielo notturno


Noi vedemmo sorgere nella luce incantata


Una bianca città addormentata


Ai piedi dei picchi altissimi dei vulcani spenti


Nel soffio torbido dell'equatore: finché


Dopo molte grida e molte ombre di un paese ignoto,


Dopo molto cigolìo di catene e molto acceso fervore


Noi lasciammo la città equatoriale


Verso l'inquieto mare notturno.


Andavamo andavamo, per giorni e per giorni: le navi


Gravi di vele molli di caldi soffi incontro passavano lente:


Sì presso di sul cassero a noi ne appariva bronzina


Una fanciulla della razza nuova,


Occhi lucenti e le vesti al vento! ed ecco:


Selvaggia a la fine di un giorno che apparve


La riva selvaggia là giù sopra la sconfinata marina:


E vidi come cavalle


Vertiginose che si scioglievano le dune


Verso la prateria senza fine


Deserta senza le case umane


E noi volgemmo fuggendo le dune che apparve


Su un mare giallo de la portentosa dovizia del fiume,


Del continente nuovo la capitale marina.


Limpido fresco ed elettrico era il lume


Della sera e là le alte case parevan deserte


Laggiù sul mar del pirata


De la città abbandonata


Tra il mare giallo e le dune..

 


Poème précédent en italien :


Antonia Pozzi: Légère offrande / Lieve offerta (14/11/2024)

 

Poème suivant en italien :

 

genio Montale : Elégie de Pico  Farnese / Elegia di Pico Farnese 08/02/2025)

 

 

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