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Le bar à poèmes
2 février 2025

Alice Rahon (1904 – 1987) : A même la terre

Alice Rahon au Mexique, vers 1940-41. Photo : Walter Reuter
 

 

 

A même la terre


(extraits)

 

 


Une femme qui était belle


un jour


ôta son visage


sa tête devint lisse


aveugle et sourde


à l’abri des pièges des miroirs


et des regards d’amour

 

entre les roseaux du soleil


on ne put trouver sa tête


couvée par un épervier

 

les secrets bien plus beaux


de n’avoir pas été dits


les mots pas écrits


les pas effacés


les cendres envolées sans nom


sans plaque de marbre


violant le souvenir

 

tant d’ailes à casser


avant la nuit


*


Comme la braise au duvet bleu


dans l’aisselle du feu


qui parle en étincelles


trouve-moi les mots pour consoler


mon amie

 

elle est douce et brune


telle une prune sous la pluie


à genoux au coin des routes


où passent des chapelets


de petits cœurs se donnant la main


          elle attend


pour moissonner les lumières


          et les rires de l’eau

 

ô vous source de la neige


la laisserez-vous longtemps


si près de la meule


que l’amour retient de la chute


*


Les amazones de la mer


en robe noire dansent


comme des araignées dans leur toile


et crient et jouent à bouche close


sur le sable de cette grève


chacune son fil blanc assis sur le noir


un grain de terre dans la main


et les talons lisses usés couchés

 

le museau de bois à la place du visage


arqué par la folie sur le feu de nuit


tu respires les mots empoisonnés

 

ce fils tissé à la hâte


cette bave éclatante


ces cris d’herbe sous les pieds


ces toiles lourdes d’encre


cette spirale vibrante d’eau


ce museau


cette pointe


noué dans la crainte du rire sans remède


*


Je ne sais pas ce qu’il faut penser


de la vie et de la mort


Je sais seulement combien j’aime


la lumière du soleil


Si un cheval devient vieux et fourbu


dans des besognes serviles


il a pourtant sur son front


entre ses yeux de planètes innocentes

 


cette fleur merveilleuse


du miracle et de la folie


le mal – personne ne peut rien contre cela


ni au vent qui taille des oiseaux


en flèches vives

 

Derrière des vitres closes


des rideaux de poussière


sur des couloirs où l’on ne passe plus


Quand le soleil s’unit de profil


à un mur blanc et nu

 

il faudrait un télescope


ce serait comme dans le monde des étoiles


Je ne sais pas lire la calligraphie des éclairs

 

 

 

Editions surréalistes, 1936

 

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