Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
7 janvier 2025

Kazimierz Brakoniecki (1952 -) : Borussia

Kazimierz Brakoniecki (Fot. Robert Robaszewski / Agencja Wyborcza.pl)

 

Borussia

 

                                                                                           En souvenir d’un Mage du Nord

                                                                                                       Johann Georg Hamann (1730 – 1788)

                                                                                                       de Königsberg

 

 

Ciel gondolé comme la tôle des heaumes des Chevaliers Teutoniques et

des caques soviétiques le vent rouillé de la mer brûle sur un bûcher d’algues

     vertes

fossilisés dans l’ambre les membres et le sépulcre de la Prusse

Könisberg cette lanterne noircie de Germanie

au sommet de laquelle Lénine ne salue pas le monde

Krolewiec ville plaintive conquise par de misérables ivrognes

Kaliningrad ville malheureuse volcanique et lunaire

barque atomique remplie à ras bord de sang d’alcool et de larmes

ciel gondolé comme la tôle des monuments prussiens et soviétiques

cordon littoral de vomissures rouillées de poèmes d’immeubles de fabriques

 

Kaliningrad archipel plaintif sur l’océan éclaté de l’empire

massue de béton au milieu de la vieille ville assassinée

la cathédrale du Könisberg qui n’est plus dresse maladroite ses vieux os

et décroche à ses visiteurs des sourires qui dévoilent leurs dents en or

une femme du pays de Bosch se prend pour un Allemand fidèle

tramways et trolleybus sont chargés des attraits du socialisme

des femmes élégantes son délicatement assises dans des fauteuils déchirés

des garçons américanisés ruminent l’espace sur les marches des banques

des combattants en blouson matelassé tremblent de colère ou de délirium

des brochures des Témoins de Jéhovah remplissent deux sacs plastiques

les œuvres gelées de Marx gisent sur le trottoir près de Bouddha

un couple en promenade évite soigneusement les flaques

les cratères les orties les bûches de béton menaçant d’explosion dans le quartier

une ravissante jeune fille est dans une cabine téléphonique narquoise et

     branlante

sans vitres ni portes et rit à goge déployée dans le combiné

Staline lui répond sans réfléchir

il porte une combinaison envoyée par la Croix-Rouge allemande 

Roulent voitures étrangères puent crissent et tremblotent

conduites par une jeunesse que le chaos abasourdit

monument de Schiller de Kant de Lénine marque de la Kalachnikov de la

     Mafia

forteresses allemandes bazars soviétiques Parti et putes

exposées sur le trottoir tibias rasés pommes bouteilles malosols

au camion-citerne tu peux boire une bière réchauffée par de la musique rock

roulent gémissent moteurs des Jeeps des camions ferraille masures et tombes

un couple de gens soignés patauge dans la ferraille pour rentrer chez eux

sur la ville impossible chante la lune rouge humide

l’ambre de la Baltique roule sous la terre éreintée du Moloch

le centaure perfide symbole du grotesque alcoolisé tire vers l’Ouest

la bête de trait du néant

 

Knipawa sans Könisberg n’est plus

un parc chimérique pousse à sa place sur des cadavres

ces bâtiments factices ont de l’allure sur ces dépouilles dispersées

alors avec Oleg écrivain judéo-russe aux yeux noirs

nous rendons visite à Jesienin à Blok à Pouchkine à quelques autres

et nous écoutons la musique allemande s’élever des sphères de l’interprétation

     de Kant

sous un ciel étoilé tout couvert de gazon brûlé par les bombes

puis étendus à l’ombre d’un feuillage nous évoquons la beauté et la mémoire

comparons un impératif moral avec d’autres métaphores de l’Europe

Oleg ouvre son cartable sort son atlas tout un roman toutes ses archives

il avait passé des années sur des bateaux dans des ports sur des docks

et c’est enfant qu’il avait vu des officiers polonais faits prisonniers

il se souvient du froid

aujourd’hui il a achevé son roman sur un lointain ancêtre de Nazareth

C’est toujours après la Révolution que Jésus rentre en Russie

 

Nous sommes à une réunion d’hommes de lettres j’ai devant moi de vieilles

     têtes

lettres lasses symboles dilapidés cœurs malades et tables d’écoliers

comme au club de Presse au conseil des agriculteurs à une séance du parti

tous ces gens sont remarquables émouvants exceptionnels

et je les vois comme le masque épuisé de l’épouvante monotone

et j’ignore comment les aider car je me sens moi-même comme leur enfant

Oleg mon Ami juif Prussien en sandales d’apôtre

toi prophète accablé de la Borussia vaste telle la Russie riche telle l’Allemagne

je t’envoie une lettre afin que tu ne tiennes plus compte de ce qui est derrière

     toi

si quelque part dans les orbites des immeubles çà pue l’apocalypse

 

 

Traduit du polonais par Frédérique Laurent

In, Kazimierz Brakoniecki « Poèmes du Nord »

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 1999

Du même auteur :

Dithyrambe / Dytyramb (07/01/2014)

 Fugacité / Przemijanie (07/01/2015)

Armor, Poèmes de l’Atlantique / Armor, Wiersze atlantyckie (I- IX) (07/01/2016) 

Souvenance (07/01/2017)

Vent de la mer (07/01/2018)

Varmie (07/01/2019)

Sur la route de Pont-Aven (07/01/2020)

Armor, Poèmes de l’Atlantique / Armor, Wiersze atlantyckie (X – XVIII) (07/01/2021)

Intangible (07/01/2022)

Indestructibles (07/01/2023)

Lettre à Allen Ginsberg – 1986 (07/01/2024)

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
107 abonnés