Kazimierz Brakoniecki (1952 -) : Intangible
Hanna i Kazimierz Brakonieccy, 2017
Intangible
Dormant d’un sommeil si profond sur la terre meuble afin de réveiller le soleil
Pourquoi sommes-nous venus à Carnac aux confins de l’Europe mégalithique
vestiges néolithiques étendus étripés par des flèches
tombeaux de charognes magiques charognes de pierre appuyées à l’océan
sur lesquels tu montes courbé comme sous le poids de l’écorce céleste
ta chaussure bute dans un caillou tu essuies de tes doigts les creux et les gouttes.
tu sors durci à l’air brumeux et tu plisses des yeux car quelqu’un
a fait entrer une lumière qui éclaire la mémoire noire du menhir
tu cries tu es debout à ses côtés joyeusement foulant aux pieds
les feux éteint des divinités des Celtes des hommes de Néandertal
dieux des cellules des gênes des acides des déchets
et tu voudrais citer le poème d’Eugène Guillevic
car tu sens soudain sa main rude et apaisante
et tu vois que ce poète est dans la terre mouvante jusqu’à la ceinture
et qu’une langue de granit le soutient
Tu racontes la terre des druides afin d’apaiser ta propre identité de poussière
car tu ne connais que des idoles prussiennes arrachées au vide par la pelle du fumier
le regard terne rivé aux tuiles gothiques aux tombeaux de Mazurie
pourquoi sommes-nous allé là-bas dans cette voiture allemande
munis de passeports polonais portant des noms ukrainiens et biélorusses
avec un souvenir déchiré sur ces frontières acerbes
avec quelques chansons dont on a bu les refrains
tu ne peux pas l’atteindre c’est sacré s’écria-t-il mais ce n’était pas sacré
encadré dans les petites images de l’ennui par le crissement de la caméra
le piétinement d’une dépouille mortelle
Dormant d’un sommeil si profond sur la terre ondoyante afin de réveiller le soleil
cachette pour des divinités marines distraites pénis de la guerre
cachettes remplies de journaux étrangers et d’excrétions sidérales
écritures néolithiques en Braille poinçonnées sur le dos d’un mort
alors tu t’en va fourbu comme si toi seul avais déterré la mémoire
que personne ne peut plus comprendre comme si toi seul avais renversé le temps
en laissant les sarcophages des valeurs éteintes et les coquillages de l’océan
quand soudain l’image de la cathédrale de Quimper s’approche de toi au matin
sous les coups d’une chute de pierres tu es vite sorti désabusé
et tu t’es trouvé nez à nez dans le vestibule avec un homme d’âge mûr
qui t’as tendu une main tremblotante en faisant le geste du mendiant
et cette main t’as coupé la parole ni cette main cadavérique triomphale
ni cette main néolithique main de l’écriture de pierres s’entassant au vent
mais la main mortelle et ouverte à la mémoire comme des mots blessés
comme du papier sur lequel Jacob (1) avant sa déportation et sa disparition
avait écrit son dernier poème harmonieux comme un dolmen un menhir
main raide rude appelant au souvenir de l’humus de la terre
main serrée comme la paupière sur l’œil pétrifié de la parole
(1) Le poète de Quimper, Max Jacob
Traduit du polonais par Frédérique Laurent
In, Kazimierz Brakoniecki : "Atlantide du nord"
Editions Folle Avoine,35137 Bédée, 2014
Du même auteur :
Dithyrambe / Dytyramb (07/01/2014)
Fugacité / Przemijanie (07/01/2015)
Armor, Poèmes de l’Atlantique / Armor, Wiersze atlantyckie (I- IX) (07/01/2016)
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Vent de la mer (07/01/2018)
Varmie (07/01/2019)
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