Kazimierz Brakoniecki (1952 -) : Indestructibles
Autor zdjęcia: Archiwum GO (gazeta olsztynska.pl)
Indestructibles
1.
Elle s’efforçait de ne pas porter de bas d’avril en octobre
le matin se tenait près du kiosque ou des baraquements se frottait un mollet
contre l’autre
somnolait debout comme une cigogne blanchie de givre près d’une clôture ou
d’un arbuste
dégageait une chaleur une fraîcheur vive en levant sa jambe engourdie sous sa
jupe
et continuait jusqu’à l’école maternelle près de la morgue de l’hôpital Lyna
Il la regardait il était si bienveillant si discret
il sautillait comme une bergeronnette et aimait toucher les grappes de gelée
blanche
La ville était encore petite ils traversaient le cimetière par les plus courts chemins
où gisaient Varmiens assassinés et Vilniouk oubliés
ils marchaient vite et des souvenirs déchirés la hantaient
Elle s’ôtait le pain de la bouche mais mangeait des mots d’amour
elle restera à jamais gravée dans son esprit et dans ses rêves
elle mère femme amante aube et crépuscule neige extase
2.
Nous sommes tous vivants et morts à la fois par notre corps et sa conscience
les vieux matérialistes Lucrèce Hobbes Marx
et même un professeur fébrile en biologie me l’ont appris
et tu dis que je suis Jésus que chacun de nous est Jésus
c’est peut-être vrai mais qu’entends- tu par là
Jésus aussi avait un corps et il mourut par ce corps
et qu’y eut-il ensuite c’est une question de foi et d’inclination du cœur
mais je sais qu’une telle comparaison t’est utile
car la vie est cruelle et il faut donner un nom à sa souffrance
mais réfléchis qu’est-ce que j’ai à voir avec ce Jésus
je vis seul j’écoute de la musique à la radio je pique du nez devant la télévision
je ne lis pas de livres et je ne me souviens pas de ceux que j’ai lus
tu dis que moi aussi je suis Jésus peut-être
dans cette misère il faut apporter une preuve à tout
buvons donc à la santé de sa mère
3.
Il s’efforçait de prendre le moins de place possible même dans son ventre
se cachait derrière un pli timide là où les voix du monde du sang des pères
des hêtres
de la pierre ne parvenaient pas où il n’ y avait qu’un nuage un silence même
quand
il pleurait
car il était fini il était né et quelque part au loin les ténèbres avaient tremblé
Il s’efforçait de prendre le moins de place possible même dans son corps
ainsi il se consumait arrachait tendons entrailles et artères
et s’enveloppait de paroles ressuscitées croyait déjà au néant
il était de nouveau un foetus ensanglanté
4.
Elle s’efforçait de ne plaire qu’à ces hommes qui disparaissaient
ou qui restaient en mémoire dans l’extase du non-accomplissement
quelque part là-bas entre l’Amour-Daria de pierre et l’Oural glacé
pendant ses rapports avec un homme elle pensait toujours à l’église
elle en avait un peu honte car elle était vraimnt croyante et pure
mais le corps la dégoûtait la faisait disparaître
et si elle l’avait pu elle l’aurait abandonné comme une robe étripée
dans une armoire délaissée par les Allemands dans une pièce non chauffée
à Olsztyn
Elle ne pouvait pas regarder ses doigts gelés car elle sentait qu’ils mouraient
sans avoir été apprivoisés sauvages et oubliés
elle prenait dans ses doigts glacés des morceaux de charbon brûlant jarretières
préservatif
et toujours avec dégoût comme si elle touchait la vulve d’un animal
elle était bien dans l’église regardait le mouvement de l’autel
et posait la main sur son corsage à l’endroit où battait l’éternité
4.
Elle s’efforçait de ne pas porter le bas d’avril en octobre
le matin se tenait près du kiosque ou des baraquements se frottait un mollet
contre l’autre
dégageait une chaleur une fraîcheur vive en levant sa jambe engourdie sous sa
jupe
Il s’efforçait de prendre le moins de place possible même dans son ventre
il se cachait derrière un pli timide où les mondes ne parvenaient pas
il regardait l’aube à travers elle il y avait du brouillard
ils traversaient la vie par les plus courts chemins
avançant délicatement à la lisière de leur cœur dédoublé
Traduit du polonais par Frédérique Laurent
In, Kazimierz Brakoniecki : "Atlantide du nord"
Editions Folle Avoine,35137 Bédée, 2014
Du même auteur :
Dithyrambe / Dytyramb (07/01/2014)
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Armor, Poèmes de l’Atlantique / Armor, Wiersze atlantyckie (I- IX) (07/01/2016)
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