Giovambattista Marino (1569 – 1625) : Madrigaux (5, 7, 8, 11, 12, 17, 27, 30, 32, 35, 38, 39, 42, 46)
Madrigaux
(extraits de Rimes, IIe partie)
V Scherzo tiré de l ’Amour fugitif de Moschus
J ’ai entendu, Vénus,
Que loin de ton sein,
Fugitif, ton fils se cache,
Et que tu promets un baiser
A qui te le retrouve.
Ne soupire plus belle Déesse :
Si tu cherches Amour,
Donne-moi le baiser promis,
Ou fais qu’elle me le donne,
Car ma Dame l’a dans ses beaux yeux.
VII Enfant dans les bras de sa Mère
Bel enfant qui prend le lait,
De ces deux seins blancs comme lait,
Dis-moi, lequel des Dieux es-tu
Qui par telle métamorphose
Jouis d ’eux, refusés à mes désirs ?
Certes, heureux enfant,
Si celle-ci est Vénus
Et si tu es son fils, tu es Amour.
VIII Sur le même sujet
Ce bel enfançon
Dame, qui à toute heure,
Serré dans tes bras,
A toi les seins, à moi vide le cœur,
Vraiment c’est Amour.
Ses langes sont des liens
Et son repas, non du lait, mais du sang.
Ah fuis imprudente ! Didon, sous même forme,
Fut blessée par lui, et ensuite tuée.
XI Feu d ’Amour partagé
Amour n ’a plus de feu,
Car il l’a partagé entre nous :
A moi brûlure, à vous lumière.
Par Dieu, gente Dame,
Rendez la lumière à ma flamme,
Qu’elle se montre claire et pure
A vos yeux comme elle est en mon cœur.
Ou bien prenez en vous ma flamme,
Et brûlez, comme je brûle.
XII Ressemblance entre l ’amant et l ’aimée
Vous restez de marbre, Madame,
A mes pleurs, aux coups d ’Amour ;
Et moi je suis de marbre aussi
A ses secousses, à vos colères.
Moi constant par Amour
Vous dure par nature,
Nous sommes pierres tous deux et rochers,
Moi de foi, vous d ’orgueil.
XVII Scherzo sur un baiser demandé
Quand je te demandai un baiser,
Petit soulagement de mon désir brûlant,
J ’aurais dû me taire.
Mais si j’avais parlé
Tu m ’aurais dédaigneuse
De ma folle ardeur, digne vengeance,
Avec tes propres lèvres, ou même avec tes dents,
Fermé alors la bouche.
Vive est la langue, téméraire et sotte.
XXVII Guerre de baisers
Mordez-vous, mordez
Venimeux vipereaux,
Doux, hardis guerriers
De Plaisir et d ’Amour, bouches sagaces.
Lancez-vous donc, vibrantes
Brûlantes, vos flèches pointues,
Mais vos morts sont vives,
Et paisibles vos guerres,
Flèches les langues, plaies les baisers.
XXX Du lait et des fleurs
Allons tirer du lait, cueillir des fleurs,
Dit Licoris à Tirsis.
Je ne cherche d ’autre lait,
Que le lait de ton beau sein,
Et ne désire d ’autres fleurs,
Lui répondit Tirsis,
Que les vives roses de tes lèvres.
XXXII Nymphe tirant du lait
Ô chèvre fortunée,
A laquelle la main,
Par qui l’Amour triomphe,
Et qui me presse le cœur
Presse les mamelles,
Tu peux t ’estimer heureuse,
Et l’autre, pour avoir allaité Jupiter
Eut un sort moins enviable,
Car celle qui recueille ton humeur suave,
Te donne certes plus qu’elle ne t ’enlève.
XXXV Aigle volant autour d ’une belle nymphe
Dis-moi Clitie, par quelle merveille,
Vers toi l ’Aigle prend-il son vol ?
Il a dû se tromper,
Et te confond avec le Soleil
Mais le Soleil, qui tant ressemble à ton visage,
Sous tes beaux cils passe et s’arrête souvent;
Et si le Soleil contemple et mire,
Une autre Clitie,
Pour ma seule Clitie,
Le Soleil brûle et soupire.
XXXVIII Amant changé en rossignol
Si j’étais ce rossignol
Qu’Elpinie tant chérit,
Elle, peut-être, chérirait mon chant aussi.
Toi qui jadis le chant et le vol
Donnas du Cygne à Jupiter,
Amour, toi seul, peux me donner telle forme.
Qu’ils soient plumes mes désirs,
Brises mes soupirs, que je vole aussi,
Et dans ces beaux yeux fasse mon nid.
Ah non, mes ailes ne vous ouvrez,
Car autour d ’eux je vois les liens, et dedans les flèches.
XXXIX Oisillon échappé de la main de sa nymphe
Il s’est enfui ce traître
Cet oisillon joli, Elpinie ma belle,
Que ta main nourrissait ?
Alors vois cruelle,
Combien tu es ingrate, et moi fidèle.
Lui, qui te doit la vie,
Il te fuit, il te méprise,
Moi, par un sort contraire,
Je te suis, je t ’aime,
Et c’est la mort que tu me donnes.
XLII Nymphe belle et cruelle
Grosse de toi, cruelle nymphe,
Ta mère vit de ces montagnes
Couverts de neige les fronts chenus ;
Alors je crois imprudente et peu sage,
Sûr qu’elle porta la main contre son flanc.
Et plein de neige,
En naissant couvrit ton cœur et ton ventre :
Comme la neige, l’un est froid et l’autre blanc.
XLVI Petit chien dans le giron d’une belle Dame
Lorsque plein de rage,
Tu te tournes vers moi
Menaces dur et courroucé,
Je ne t ’appelle pas Roger,
Mais de mon Enfer,
Cerbère impitoyable
Puis lorsque je t ’aperçois
Aux côtés de mon beau Soleil,
Au cœur inaccoutumé,
Je sens sa vive chaleur,
Et ne te nomme plus Cerbère,
Mais nouveau Sirius du Firmament d ’Amour.
Traduit de l’italien par Jean-Pierre Cavaillé
In, Revue » Po&sie, N°60, 1982
Editions Belin, 1982
Du même auteur :
Ciel et mer / Tanquillita notturna (22/11/2019)
Polyphème et Galatée (22/11/2020)
« Silence, ô Faunes... » / « Silenzio, o fauni... » (22/11/2021)
Au Sommeil / Al Sonno (22/11/2022)
Esclave / Schiava (22/11/2023)