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Le bar à poèmes
22 novembre 2024

Giovambattista Marino (1569 – 1625) : Madrigaux (5, 7, 8, 11, 12, 17, 27, 30, 32, 35, 38, 39, 42, 46)

 

Madrigaux

(extraits de Rimes, IIe partie)


V Scherzo tiré de l ’Amour fugitif de Moschus


J ’ai entendu, Vénus,

Que loin de ton sein,

Fugitif, ton fils se cache,

Et que tu promets un baiser

A qui te le retrouve.

Ne soupire plus belle Déesse :

Si tu cherches Amour,

Donne-moi le baiser promis,

Ou fais qu’elle me le donne,

Car ma Dame l’a dans ses beaux yeux.


VII Enfant dans les bras de sa Mère


Bel enfant qui prend le lait,

De ces deux seins blancs comme lait,

Dis-moi, lequel des Dieux es-tu

Qui par telle métamorphose

Jouis d ’eux, refusés à mes désirs ?

Certes, heureux enfant,

Si celle-ci est Vénus

Et si tu es son fils, tu es Amour.


VIII Sur le même sujet


Ce bel enfançon

Dame, qui à toute heure,

Serré dans tes bras,

A toi les seins, à moi vide le cœur,

Vraiment c’est Amour.

Ses langes sont des liens

Et son repas, non du lait, mais du sang.

Ah fuis imprudente ! Didon, sous même forme,

Fut blessée par lui, et ensuite tuée.


XI Feu d ’Amour partagé


Amour n ’a plus de feu,

Car il l’a partagé entre nous :

A moi brûlure, à vous lumière.

Par Dieu, gente Dame,

Rendez la lumière à ma flamme,

Qu’elle se montre claire et pure

A vos yeux comme elle est en mon cœur.

Ou bien prenez en vous ma flamme,

Et brûlez, comme je brûle.


XII Ressemblance entre l ’amant et l ’aimée


Vous restez de marbre, Madame,

A mes pleurs, aux coups d ’Amour ;

 Et moi je suis de marbre aussi

A ses secousses, à vos colères.

 Moi constant par Amour

 Vous dure par nature,

 Nous sommes pierres tous deux et rochers,

 Moi de foi, vous d ’orgueil.
 

XVII Scherzo sur un baiser demandé

 
Quand je te demandai un baiser,

 Petit soulagement de mon désir brûlant,

 J ’aurais dû me taire.

 Mais si j’avais parlé

Tu m ’aurais dédaigneuse

 De ma folle ardeur, digne vengeance,

 Avec tes propres lèvres, ou même avec tes dents,

Fermé alors la bouche.

 Vive est la langue, téméraire et sotte.


XXVII Guerre de baisers

 
Mordez-vous, mordez

Venimeux vipereaux,

Doux, hardis guerriers

De Plaisir et d ’Amour, bouches sagaces.

Lancez-vous donc, vibrantes

Brûlantes, vos flèches pointues,

Mais vos morts sont vives,

Et paisibles vos guerres,

Flèches les langues, plaies les baisers.


XXX Du lait et des fleurs


Allons tirer du lait, cueillir des fleurs,

 Dit Licoris à Tirsis.

Je ne cherche d ’autre lait,

Que le lait de ton beau sein,

Et ne désire d ’autres fleurs,

Lui répondit Tirsis,

Que les vives roses de tes lèvres.
 

XXXII Nymphe tirant du lait


Ô chèvre fortunée,

A laquelle la main,

Par qui l’Amour triomphe,

Et qui me presse le cœur

Presse les mamelles,

Tu peux t ’estimer heureuse,

Et l’autre, pour avoir allaité Jupiter

Eut un sort moins enviable,

Car celle qui recueille ton humeur suave,

Te donne certes plus qu’elle ne t ’enlève.


XXXV Aigle volant autour d ’une belle nymphe

 

Dis-moi Clitie, par quelle merveille,

Vers toi l ’Aigle prend-il son vol ?

Il a dû se tromper,

Et te confond avec le Soleil

Mais le Soleil, qui tant ressemble à ton visage,

Sous tes beaux cils passe et s’arrête souvent;

Et si le Soleil contemple et mire,

Une autre Clitie,

Pour ma seule Clitie,

Le Soleil brûle et soupire.


XXXVIII Amant changé en rossignol


Si j’étais ce rossignol

Qu’Elpinie tant chérit,

Elle, peut-être, chérirait mon chant aussi.

Toi qui jadis le chant et le vol

Donnas du Cygne à Jupiter,

Amour, toi seul, peux me donner telle forme.

Qu’ils soient plumes mes désirs,

Brises mes soupirs, que je vole aussi,

Et dans ces beaux yeux fasse mon nid.

Ah non, mes ailes ne vous ouvrez,

Car autour d ’eux je vois les liens, et dedans les flèches.
 

XXXIX Oisillon échappé de la main de sa nymphe

 
Il s’est enfui ce traître

Cet oisillon joli, Elpinie ma belle,

Que ta main nourrissait ?

Alors vois cruelle,

Combien tu es ingrate, et moi fidèle.

Lui, qui te doit la vie,

Il te fuit, il te méprise,

Moi, par un sort contraire,

Je te suis, je t ’aime,

Et c’est la mort que tu me donnes.


XLII Nymphe belle et cruelle

 

Grosse de toi, cruelle nymphe,

Ta mère vit de ces montagnes

Couverts de neige les fronts chenus ;

Alors je crois imprudente et peu sage,


Sûr qu’elle porta la main contre son flanc.

Et plein de neige,

En naissant couvrit ton cœur et ton ventre :

Comme la neige, l’un est froid et l’autre blanc.


XLVI Petit chien dans le giron d’une belle Dame


Lorsque plein de rage,

Tu te tournes vers moi

Menaces dur et courroucé,

Je ne t ’appelle pas Roger,

Mais de mon Enfer,

Cerbère impitoyable

Puis lorsque je t ’aperçois

Aux côtés de mon beau Soleil,

Au cœur inaccoutumé,

Je sens sa vive chaleur,

Et ne te nomme plus Cerbère,

Mais nouveau Sirius du Firmament d ’Amour.

 

Traduit de l’italien par Jean-Pierre Cavaillé

In, Revue » Po&sie, N°60, 1982

Editions Belin, 1982

Du même auteur :

Ciel et mer / Tanquillita notturna (22/11/2019)

Polyphème et Galatée (22/11/2020) 

« Silence, ô Faunes... » / « Silenzio, o fauni... » (22/11/2021)

Au Sommeil / Al Sonno (22/11/2022)

Esclave / Schiava (22/11/2023)

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