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Le bar à poèmes
15 août 2024

John Montague (1929 - 2016) : Cours de nu

Le poète John Montague dans son jardin à Ballydehob, dans le comté de Cork (Tony Gavin)

 

Cours de nu

 

douceur infinie

complexité d’un corps

allongé. Pivot

 

de la cheville qui dé

finit l’empan

d’un pied, ses plis

 

de peau, sa presqu’arche.

La lourde courbe du mollet

dont l’arc en bas contrepèse

 

le tibia ou remonte

jusqu’aux tièdes jarrets

bombés et creux

 

décrivant une ligne de

pesanteur, d’énergie comme

celle qui va de l’épaule

 

aux jointures, le bras

en cascade, autour du

coude, sur le poignet.

 

Le corps entier un système

de contrôles et de balances.

Ces formes naturelles

 

qu’un sculpteur honore

grottes érodées, étangs

dalles souches

 

ou à chaque tour de main

croissance de tentations :

bras et cuisses qui s’ouvrent

 

sur de plus douces plus secrètes

aires, fentes germant

en toison, recoins parfumés

 

et fissures d’amour

attendant la frappe

du désir, la ferveur


courtoise, ou ce qui entraîne

à l’anéantissement d’une

fouille aveugle

 

(tortueux délacement

des vêtements brûlants

de honte, rêve d’un

 

anachorète de

nudité salope,

démon aux seins

 

inflammés branlant

ses tresses pour tirer les hommes

vers le béant

 

bouge vaginal d’enfer)

regarder ce modèle comme

une femme parmi les autres comme

 

une gentille ménagère

gagnant son argent de poche

pour le mari pour la famille

 

C’est sentir les âges

obscurs se dépiauter

jusqu’à l’innocence de

 

la blanche trace de

ses épaules où

sur la peau brune

 

la brassière glisse

montrant le calme des

seins pâles et

 

c’est pleurer, chérir

la mélancolie des preuves

de la mortalité rancunière

 

rongeant la perfection :

les cicatrices

qui lacent le ventre

 

les pâles coutures de

ce mur des lamentations

cage des côtes où

 

le cœur officieusement

pompe

 

Quel hommage

pourrait égaler tel

 

gentil dévoilement?

mordiller les doigts

 

du pied, ivre d’amour, lapper l’eau

de la chevelure

 

(les modélistes

aplatiraient ses

seins, nivelleraient

les rondes fesses, le


ventre, réduisant

le filon mère

qui palpite derrière

 

à l’uniformité d’un

paradis robotisé)

 

sur papier canson

un bataillon de crayons

en silence déployé

la capture au leurre


du filet des lignes

tandis que sur et depuis

son corps gelé,

 

gourd déclot cette

tardive fleur

son sourire las.

 

 

Traduit de l’anglais par Michel Deguy

Revue Po&sie, N°22

Belin éditeur,1982

 

Du même auteur :  

Mer vineuse / Wine dark sea (25/10/2014)

Tous les obstacles légendaires / All legendary obstacles (15/08/2021)

James Joyce (15/08/2022)

Comme des dolmens autour de mon enfance, les vieux / Like dolmens round my childhood, the old people.(15/08/2023)

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