John Montague (1929 - 2016) : Cours de nu
Le poète John Montague dans son jardin à Ballydehob, dans le comté de Cork (Tony Gavin)
Cours de nu
douceur infinie
complexité d’un corps
allongé. Pivot
de la cheville qui dé
finit l’empan
d’un pied, ses plis
de peau, sa presqu’arche.
La lourde courbe du mollet
dont l’arc en bas contrepèse
le tibia ou remonte
jusqu’aux tièdes jarrets
bombés et creux
décrivant une ligne de
pesanteur, d’énergie comme
celle qui va de l’épaule
aux jointures, le bras
en cascade, autour du
coude, sur le poignet.
Le corps entier un système
de contrôles et de balances.
Ces formes naturelles
qu’un sculpteur honore
grottes érodées, étangs
dalles souches
ou à chaque tour de main
croissance de tentations :
bras et cuisses qui s’ouvrent
sur de plus douces plus secrètes
aires, fentes germant
en toison, recoins parfumés
et fissures d’amour
attendant la frappe
du désir, la ferveur
courtoise, ou ce qui entraîne
à l’anéantissement d’une
fouille aveugle
(tortueux délacement
des vêtements brûlants
de honte, rêve d’un
anachorète de
nudité salope,
démon aux seins
inflammés branlant
ses tresses pour tirer les hommes
vers le béant
bouge vaginal d’enfer)
regarder ce modèle comme
une femme parmi les autres comme
une gentille ménagère
gagnant son argent de poche
pour le mari pour la famille
C’est sentir les âges
obscurs se dépiauter
jusqu’à l’innocence de
la blanche trace de
ses épaules où
sur la peau brune
la brassière glisse
montrant le calme des
seins pâles et
c’est pleurer, chérir
la mélancolie des preuves
de la mortalité rancunière
rongeant la perfection :
les cicatrices
qui lacent le ventre
les pâles coutures de
ce mur des lamentations
cage des côtes où
le cœur officieusement
pompe
Quel hommage
pourrait égaler tel
gentil dévoilement?
mordiller les doigts
du pied, ivre d’amour, lapper l’eau
de la chevelure
(les modélistes
aplatiraient ses
seins, nivelleraient
les rondes fesses, le
ventre, réduisant
le filon mère
qui palpite derrière
à l’uniformité d’un
paradis robotisé)
sur papier canson
un bataillon de crayons
en silence déployé
la capture au leurre
du filet des lignes
tandis que sur et depuis
son corps gelé,
gourd déclot cette
tardive fleur
son sourire las.
Traduit de l’anglais par Michel Deguy
Revue Po&sie, N°22
Belin éditeur,1982
Du même auteur :
Mer vineuse / Wine dark sea (25/10/2014)
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