Derek Mahon (1941-) : Image tirée de Beckett / An image from Beckett
Image tirée de Beckett
(pour Doreen Douglas)
En cet instant
Il y eut une mer, lointaine,
Vert-vif comme laitue,
Un paysage nordique
Et des maisons
Blotties sur le rivage.
Aussi, je crois, le bref
Eclat blanc des mouettes
Et du linge étendu
Poignantes, ces
Arrière-cours – et puis le fossoyeur
Qui reposait son forceps.
Puis les planches dures
Et de nouveau la nuit.
Mais à cet instant
Je fus frappé
Par la douceur, la lumière
La douce lumière,
J’imaginai quelles graves
Cités, quels durables monuments...
Si nous avions le temps.
A l’heure qu’il est on aura enterré
Mes arrière-petits enfants et leurs et leurs
Descendants auprès de moi
Avec un imperceptible couinement
De déploration réflexe.
Nos cheveux et nos excréments
Jonchent la terre grasse
Et se changent, de seconde en seconde,
En civilisations.
C’était bon, le temps que ça durait
Et si cela n’a duré
Que l’intervalle biblique
Nécessaire pour tomber de six pieds
Dans le scintillement d’un soleil hivernal
C’est la faute à Personne.
Pourtant, je suis hanté
Par ce paysage,
Ses bouffées de vent doux,
Son mobilier urbain
Et ses écoliers debout
A qui par mon testament,
Que voici, je lègue mon testament.
J’espère qu’ils ont eu assez de temps
Et de lumière pour le lire.
Traduit de l’anglais par Denis Rigal
In, « Poésies d’Irlande. Anthologie »
Sud, 13001 Marseille
Du même auteur :
Quatre promenades dans la campagne près de Saint-Brieuc / Four walks in the country near St.-Brieuc (11/11/2014)
Portrait de l’artiste / A portrait of the artist (22/06/2020)
Epitaphe pour Robert Flaherty / Epitaph for Robert Flaherty (22/06/2021)
Les dieux bannis / The banished gods (22/06/2022)
L’Ecclésiaste / Ecclesiastes (22/06/2023)
An image from Beckett
(for Doreen Douglas)
In that instant,
There was a sea, far off,
As bright as lettuce,
A northern landscape
And a huddle
Of houses along the shore.
Also, I think, a white
Flicker of gulls
And washing hung to dry –
The poignancy of those
Back-yards – and the gravedigger
Putting aside his forceps.
Then the hard boards
And darkness once again.
But in that instant
I was struck
By the sweetness and light,
The sweetness and light,
Imagining what grave
Cities, what lasting monuments,
Given the time.
They will have buried
My great-grandchildren, and theirs,
Beside me by now
With a subliminal batsqueak
Of reflex lamentation.
Our hair and excrement
Litter the rich earth,
Changing, second by second,
To civilizations.
It was good while it lasted,
And if it only lasted
The biblical span
Required to drop six feet
Through a glitter of wintry light,
There is No one to blame.
Still, I am haunted
By that landscape,
The soft rush of its winds,
The uprighness of its
Utilities and schoolchildren –
To whom in my will,
This, I have left my will.
I hope they had time,
And light enough, to read it.
Poème précedent en anglais :
Ronald Stuart Thomas : Ce qu’on voit par la fenêtre / The View from the window (14/06/2024)
Poème suivant en anglais :
William Blake : A l’étoile du soir / To the evening star (08/07/24)