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Le bar à poèmes
22 juin 2024

Derek Mahon (1941-) : Image tirée de Beckett / An image from Beckett

 

Image tirée de Beckett

(pour Doreen Douglas)

 

En cet instant

Il y eut une mer, lointaine,

Vert-vif comme laitue,

 

Un paysage nordique

Et des maisons

Blotties sur le rivage.

 

Aussi, je crois, le bref

Eclat blanc des mouettes

Et du linge étendu

 

Poignantes, ces

Arrière-cours – et puis le fossoyeur

Qui reposait son forceps.

 

Puis les planches dures

Et de nouveau la nuit.

Mais à cet instant

 

Je fus frappé

Par la douceur, la lumière

La douce lumière,

 

J’imaginai quelles graves

Cités, quels durables monuments...

Si nous avions le temps.

 

A l’heure qu’il est on aura enterré

Mes arrière-petits enfants et leurs et leurs

Descendants auprès de moi

 

Avec un imperceptible couinement

De déploration réflexe.

Nos cheveux et nos excréments

 

Jonchent la terre grasse

Et se changent, de seconde en seconde,

En civilisations.

 

C’était bon, le temps que ça durait

Et si cela n’a duré

Que l’intervalle biblique

 

Nécessaire pour tomber de six pieds

Dans le scintillement d’un soleil hivernal

C’est la faute à Personne.

 

Pourtant, je suis hanté

Par ce paysage,

Ses bouffées de vent doux,

 

Son mobilier urbain

Et ses écoliers debout

A qui par mon testament,

 

Que voici, je lègue mon testament.

J’espère qu’ils ont eu assez de temps

Et de lumière pour le lire.

 

Traduit de l’anglais par Denis Rigal

In, « Poésies d’Irlande. Anthologie »

Sud, 13001 Marseille

Du même auteur :

Quatre promenades dans la campagne près de Saint-Brieuc / Four walks in the country near St.-Brieuc (11/11/2014)

Portrait de l’artiste / A portrait of the artist (22/06/2020)

Epitaphe pour Robert Flaherty / Epitaph for Robert Flaherty (22/06/2021)

Les dieux bannis / The banished gods (22/06/2022)

L’Ecclésiaste / Ecclesiastes (22/06/2023)

 

An image from Beckett

(for Doreen Douglas)

 

In that instant,

There was a sea, far off,

As bright as lettuce,

 

A northern landscape

And a huddle

Of houses along the shore.

 

Also, I think, a white

Flicker of gulls

And washing hung to dry –

 

The poignancy of those

Back-yards – and the gravedigger

Putting aside his forceps.

 

Then the hard boards

And darkness once again.

But in that instant

 

I was struck

By the sweetness and light,

The sweetness and light,

 

Imagining what grave

Cities, what lasting monuments,

Given the time.

 

They will have buried

My great-grandchildren, and theirs,

Beside me by now

 

With a subliminal batsqueak

Of reflex lamentation.

Our hair and excrement

 

Litter the rich earth,

Changing, second by second,

To civilizations.

 

It was good while it lasted,

And if it only lasted

The biblical span

 

Required to drop six feet

Through a glitter of wintry light,

There is No one to blame.

 

Still, I am haunted

By that landscape,

The soft rush of its winds,

 

The uprighness of its

Utilities and schoolchildren –

To whom in my will,

 

This, I have left my will.

I hope they had time,

And light enough, to read it.

 

Poème précedent en anglais :

Ronald Stuart Thomas : Ce qu’on voit par la fenêtre / The View from the window (14/06/2024)

Poème suivant en anglais :

William Blake : A l’étoile du soir / To the evening star (08/07/24)

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