Derek Mahon (1941 -) : Les dieux bannis / The banished gods
Les dieux bannis
Près des sources de la plus longue rivière
Est une clairière dans la forêt
Lieu moite et brumeux
Où la lumière monte en colonnes
Et le chant des oiseaux est comme du papier qu’on déchire.
Loin de la terre, loin des itinéraires commerciaux,
Dans le temps rêvé ininterrompu
Du pingouin et de la baleine
Les mers soupirent pour elles-mêmes
Et revivent les jours d’avant les voiles.
Où finissent les fils et les poteaux, la lande frémit en silence
Parsemée de rocs éboulés, de primevères,
De plumes et de fientes.
Elle abrite le faucon et entend dans ses rêves
Les cris à l’abandon des espèces perdues.
C’est ici que se cachent les dieux en exil,
Ici qu’ils résistent aux siècles
Dans la pierre, dans l’eau
Et dans le cœur des arbres,
Absorbés, méditant sur leur propre nature,
La croissance zéro et les variations saisonnières
Dans un monde sans voitures ni ordinateurs
Ni ciels chimiques,
Où la pensée est une pierre qu’on caresse
Et la sagesse un peu de silence au lever de la lune.
Traduit de l’anglais par Denis Rigal
In, « Poésies d’Irlande. Anthologie »
Sud, 13001 Marseille
Du même auteur :
Quatre promenades dans la campagne près de Saint-Brieuc / Four walks in the country near St.-Brieuc (11/11/2014)
Portrait de l’artiste / A portrait of the artist (22/06/2020)
Epitaphe pour Robert Flaherty / Epitaph for Robert Flaherty (22/06/2021)
l’Ecclésiaste / Ecclesiastes (22/06/2023)
Image tirée de Beckett / An image from Beckett (22/06/2024)
The banished gods
Near the headwaters of the longest river
There is a forest clearing,
A dank, misty place
Where light stands in columns
And birds sing with a noise like paper tearing.
.
Far from land, far from the trade routes,
In an unbroken dreamtime
Of penguin and whale,
The seas sigh to themselves
Reliving the days before the days of sail.
.
Where wires end the moor seethes in silence,
Scattered with scree, primroses,
Feathers and faeces.
It shelters the hawk and hears
In dreams the forlorn cries of lost species.
.
It is here that the banished gods are in hiding,
Here they sit out the centuries
In stone, water
And the hearts of trees,
Lost in a reverie of their own natures —
Of zero-growth economics and seasonal change
In a world without cars, computers
Or chemical skies,
Where thought is a fondling of stones
And wisdom a five-minute silence at moonrise.
Poems 1962 – 1978
Oxford Universiy Press,
Oxford, 1979
Poème précédent en anglais :
Ronald Stuart Thomas : Mort d’un paysan / Death of a Peasant (18/06/2022)
Poème suivant en anglais :
John Keats (1795 – 1821) : A l’automne / To Autumn