Ulrich von Lichtenstein (vers1200-1275) : « Je ne sais comment chanter... » / « Ich weiz wiech singe... »
Je ne sais comment chanter
la nuit : elle ne me donne point de joie.
Mon grand espoir
est dans le jour : parce qu’il luit.
Parce qu’aussi sa clarté
à ma Dame le fait sembler
grandement. Béni soit-il de cela.
Il peut bien justement
chanter la nuit celui qui bienheureusement repose.
Quant à moi je dois souffrir
d’ardent désir. Pour ce, la nuit m’insupporte,
et je veux chanter le jour
chaque fois que je puis voir
celle-là qui de mes soucis me délivre.
J’honore ce jour
de la première fois que je vis la si bonne Dame.
Depuis, la nuit m’a toujours plus
porté souffrance et chagrin.
Elle m’abhorre
et moi de même.
Gloire à toi, jour, béni soit ton nom.
Si la nuit les tourments
pèsent sur ma poitrine tels des cauchemars,
ils s’évanouissent dès que
le jour paraît clair et beau.
Lors il me vient en l’idée
d’aller contempler
en secret la très belle.
Ah comme j’aimerais
chanter la nuit, s’il m’était donné
de pouvoir être à jamais couché
près de celle qui maintenant m’attriste.
Que deviendrai-je alors,
heureux homme que serais !
Las, que ne me l’accorde-t-elle.
Traduit du moyen-haut allemand par
Danielle Buschinger et Jean-Pierre Lefebvre
In, « Anthologie bilingue de la poésie allemande »
Editions Gallimard (Pléiade), 1995
22.1
J’ignore comment je dois chanter
la nuit : elle ne m’accorde aucune joie.
Mon plus grand espoir,
je le mets dans le jour, car il est clair.
Par son éclat
à ma dame
aussi beaucoup il ressemble. Qu’il en soit béni !
Il peut à juste titre
de la nuit faire l’éloge, celui qui comblé repose.
Mais moi en revanche, il me faut
souffrir du désir ardent. C’est pourquoi à la nuit je suis hostile
et du jour je chante la gloire,
chaque fois que je peux la voir, elle
qui du poids de mes soucis me délivre.
J’honore ce jour
où pour la première fois je vis l’excellente dame.
Depuis, la nuit m’apporta toujours plus
de chagrin et de souffrance.
Elle m’a en aversion
et moi de même.
Gloire à toi, jour, béni soit ton nom !
Si la nuit les tourments
sur ma poitrine pèsent tels les cauchemars,
ils s’évanouissent
dès qu’en son éclat m’apparaît le jour
Alors me vient l’idée
d’aller
contempler la très belle en secret.
Comme avec joie je voudrais
de la nuit faire l’éloge, s’il m’était donné
de pouvoir à jamais
être allongé aux côtés de celle qui me rend à présent si triste.
Que deviendrai-je alors,
moi homme heureux !
Malheur, que ne me l’accorde-t-elle point !
Traduit du moyen-haut allemand par
Danielle Buschinger, Marie-Renée Diot et Wolfgang Spiewok
In, « Poésie d’amour du Moyen Age allemand »
Union Générale d’Editions (10/18), 1993
Du même auteur : « Couleurs de l’été... » / « Sumervar... » (22/05/2023)
22.I
Ich weiz wiech singe
von der naht : diu gît mir fröide niht.
mîn hôhgedinge
der lît an dem tage : wan er ist liht.
ouch ist sîn schîn
der frouwen mîn
vil gelîch , des müeze er saelic sîn.
Er mac von schulden
loben die naht, der saeliclîchen lit.
sô muoz ich dulden
sendiu leit : dâ von trag ich ir nît
und lobe den tac,
swenn ich si mac
sehen diu mir wol heilet sorgen slac.
Den tac ich êre,
dô ich die vil guoten êrste sach.
sît immer mêre
gab diu naht mir leit und ungemach.
si ist mir gram,
und ich ir sam.
wol dir tac, vil saelic sî dîn nam.
Sô mich besezzen
nahtes habent die sorge alsam diu mar,
des wirt vergezzen
sâ, sô mir der tac erschînet klâr
sö kûmt ein wân,
daz ich sul gân
die vil schoenen tougen sehen an.
Vil gerne ich wolde
loben die naht, ergienge ez immer sô
daz ich ir solde
nâhen ligen diu mich nu tuot unfrô.
wer waere ich dan,
ich saelic man !
wê daz mirs diu guote niht engan.
Des Minnesangs Frühling.I
Nouvelle édition revue par H.Moser et H. Tervooren.
37ème édition, Stuggart, 1982
Poème précédent en moyen haut-allemand :
Walther von Der Vogelweide : « L’été et l’hiver sont tous deux ... » / « Sumer unde winter beide sint... » (15/09/2023)
Poème suivant en moyen haut-allemand :
Heinrich Von Morungen : « Quelqu’un vit-il la noble dame... » / « Sach ieman die vrouwen... » (11/07/2024)