Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
14 février 2024

Gabriela Mistral (1889 - 1957) : Toutes nous allions être reines / Todas íbamos a ser reinas

6033311_orig[1]

 

Toutes nous allions être reines

 

Toutes nous allions être reines,

de quatre royaumes sur la mer :

Rosalia comme Efigenia

Lucila comme Soledad.

 

Dans la vallée de l’Elqui, ceinte

de cent montagnes, ou de bien plus,

qui comme offrandes ou tributs

s’embrasent en rouge et safran.

 

Nous le disions toutes grisées,

et nous le tînmes pour vérité,

que nous serions toutes des reines

et que nous atteindrions la mer.

 

Avec les tresses de nos sept ans,

et claires blouses de percale,

en poursuivant des étourneaux

enfuis dans l’ombre des figuiers.

 

Des quatre royaumes, nous disions,

indubitables tels le Coran,

qu’ils seraient grands et si parfaits

qu’ils s’étendraient jusqu’à la mer.

 

Quatre époux nous épouserions,

quand viendrait le temps d’épouser,

et qui étaient rois et chanteurs

comme David, roi de Judée.

 

Et si grands seraient nos royaumes

qu’ils possèderaient, sans nul doute,

des mers vertes, des mers d’algues,

et ce fou d’oiseau, le faisan.

 

Et comme nous aurions tous les fruits,

arbre à lait et arbre à pain,

le gaïac nous ne couperions

ni ne mordrions le métal.

 

Toutes nous allions être reines,

et de très véridique règne ;

mais aucune n’a été reine

ni d’Arauco ni de Copán.

 

Rosalía embrassa marin

qui avait épousé la mer,

l’embrasseur, dans le Guaitecas,

fut avalé par la tempête.

 

Soledad éleva sept frères

et son sang laissa dans leur pain,

et ses yeux devinrent noirs

de n’avoir jamais vu la mer.

 

Dans les vignes de Montegrande,

avec son noble et pur sein blanc,

elle berce les fils d’autres reines                                        

mais les siens au grand jamais.

 

Efigenia croisa étranger

sur les routes, et sans parler,

le suivit, sans lui savoir nom,

parce que l’homme semble la mer.

 

Et Lucila (*) qui parlait aux fleuves,

et aux cannaies et aux montagnes,

dans les lunes de la folie

reçut royaume véritable.

 

Dans les nues elle compta dix fils

et dans les salines son règne,

dans les fleuves elle vit des époux

et son manteau dans la tempête.

 

Mais dans la vallée de l’Elqui, où

sont cent montagnes, ou sont bien plus,

chantent les autres qui sont venues

et celles qui viennent chanteront :

 

- « Sur la terre nous seront reines,

et de très véridique règne,

et si grands seront nos royaumes

que toutes nous atteindrons la mer. »

 

(*) Lucila était le prénom de naissance de Gabriela Mistral

 

 

Traduit de l’espagnol par Irène Gayraud

In, Gabriela Mistral : « Essart »

Editions Unes, 2021

De la même autrice : Pays de l’absence / País de la ausencia (14/0220/23)

 

 

Todas íbamos a ser reinas

 

Todas íbamos a ser reinas,

de cuatro reinos sobre el mar:

Rosalía con Efigenia

y Lucila con Soledad.



En el valle de Elqui, ceñido

de cien montañas o de más,

que como ofrendas o tributos

arden en rojo y azafrán,



Lo decíamos embriagadas,

y lo tuvimos por verdad,

que seríamos todas reinas

y llegaríamos al mar.



Con las trenzas de los siete años,

y batas claras de percal,

persiguiendo tordos huidos

en la sombra del higueral,



De los cuatro reinos, decíamos,

indudables como el Korán,

que por grandes y por cabales

alcanzarían hasta el mar.

Cuatro esposos desposarían,

por el tiempo de desposar,

y eran reyes y cantadores

como David, rey de Judá.



Y de ser grandes nuestros reinos,

ellos tendrían, sin faltar,

mares verdes, mares de algas,

y el ave loca del faisán.



Y de tener todos los frutos,

árbol de leche, árbol del pan,

el guayacán no cortaríamos

ni morderíamos metal.



Todas íbamos a ser reinas,

y de verídico reinar;

pero ninguna ha sido reina

ni en Arauco ni en Copán.



Rosalía besó marino

ya desposado en el mar,

y al besador, en las Guaitecas,

se lo comió la tempestad.



Soledad crió siete hermanos

y su sangre dejó en su pan,

y sus ojos quedaron negros

de no haber visto nunca el mar.

 


En las viñas de Montegrande,

con su puro seno candeal,

mece los hijos de otras reinas

y los suyos no mecerá.



Efigenia cruzó extranjero

en las rutas, y sin hablar,

le siguió, sin saberle nombre,

porque el hombre parece el mar.



Y Lucila, que hablaba a río,

a montaña y cañaveral,

en las lunas de la locura

recibió reino de verdad.



En las nubes contó diez hijos

y en los salares su reinar,

en los ríos ha visto esposos

y su manto en la tempestad.



Pero en el Valle de Elqui, donde

son cien montañas o son más,

cantan las otras que vinieron

y las que vienen cantarán:



- «En la tierra seremos reinas,

y de verídico reinar,

y siendo grandes nuestros reinos,

llegaremos todas al mar».

 

 

Tala

Ediciones Sur, Buenos Aires,1938

Poème précédent en espagnol :

Octavio Paz :Réponse et réconciliation / Respuesta y reconciliación (12/02/2024)

Poème suivant en espagnol :

José Ángel Valente : Matière / Materia (27/02/2024)

Commentaires
L
Cela me rappelle bcp de souvenirs !
Répondre
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
106 abonnés