Henri-Simon Faure (1923 – 2015) : pape un enfant de chœur sur la touche (24 - 34)
pape
un enfant de choeur sur la touche
24
pourtant
je suis descendant d’une sacrée race
arrimée depuis de siècles à ses montagnes
les vellaves
en ont fini de leur errance
ils meurent
décrépitude d’aventuriers
le fait de l’homme atteint des dimensions mondiales
je reste accroché à une poignée de terre
trésor de joies
mis au chaud dans ma main fébrile
et
tout mes sens fixés sur ces piteux débris
s’exaspèrent au jeu de leurs nombreuses cordes
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je
pense
à
ce
vieil
homme
lors
d’une
fête
du
vin
proche
une
ville
de
l’est
qui
souffle
dans
son
cuivre
dont
l’air
bat
la
barbe
de
dos
comme
sous
la
bise
aigre
de
mars
la
môme
que
j’ai
dans
les
bras
est
fraîche
et
se
veut
souple
yeux
clos
lèvres
jointes
son
père
l’a
mise
là
au
centre
de
mon
cercle
en
prime
de
bonne
guerre
je
la
serre
fort
contre
moi
le
temps
d’
une
valse
lente
de
tout
le
poids
de
son
corps
mince
et
chaud
qui
parle
des
mots
blêmes
la
danse
fait
que
mon
sexe
bande
raide
et
cherche
le
sien
sous
la
trop
longue
robe
rêche
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souvenir des mains qui se tendaient vers moi
ouvertes bouches dans l’appel au secours
vieux cris que je devais refuser d’entendre
geste aimanté d’une aide dont je n’avais
que faire
tant il cherchait à m’entraîner
dans le paradis perdu que j’ignorais
parce que
ma vie afin d’être complète
dans les labyrinthes
devait cheminer
sous les nuages
donneurs de dimensions
mon seul espoir
de toucher des deux épaules
l’herbe si douce et si fraîche du désespoir
mais
en fier vainqueur
allongé sur le ventre
mon étreinte obscène insultant la ,nature
enfant gâté
tracassé d’envie subite
de bouder sa mère d’un geste incongru
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vous regardez ma gueule sur une de mes photos
vous vous dites
tiens on dirait
le beau-frère
ou l’oncle
ou
le grand-père maternel
ou le fiancé de la fille
de la concierge
ou le gars qui vous a fait peur au coin
d’un bois
le jeune homme du carnaval aux confetti
multicolores
ou de la fillette son copain
qui lui fait quand elle y pense la douce main
fébrile
le ventre dur
tendu vers quel plaisir imaginaire
ah
que s’ouvre pour lui
le livre où il devra apprendre
ainsi
quand je réaperçois la gueule à mendès-france
dans un journal ou à la télé
comme ça arrive
depuis ces derniers temps
que tant les politiques grouillent
il reste un os à se disputer dans la fourmilière
je me dis
tiens voilà encore mon cousin eugène
c’est parce qu’ils se ressemblent
comme deux gouttes d’eau
du lignon
j’entends celui du
velay
pas du
forez
honoré d’urfé n’a rien à voir avec mon cousin
mon cousin eugène
un
faure
lui aussi c’est tout dire
qui rouge a fini
bras droit d’une sœur évangéliste
à villeurbanne près de lyon
où il émigra
les
faure
pourtant on n’est pas juif
on n’a pas le rond
donc pas plus aryens vellaves que nous
à consulter
vous voulez que je vous donne ma généalogie
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frères inférieurs
qui manoeuvrez chaque commande
tant à l’est qu’à l’ouest
hé
je mourrais satisfait
même étant la victime de votre collision
sans avoir partagé votre pourriture d’âme
ayant acquis l’égoïsme du persécuté
qui ne s’émeut que
pour les moindres choses du jour
j’embrassais la main des enfants
qui ne sont issus de moi
je donnais des taloches aux miens propres
pour qu’ils dérivent
hors de ce monde matérialiste qui les engluait
de fils de vierge de nylon
embrouillant leur vert feuillage
je retrouve
dans mes rêves
le frisson d’horreur
de ceux
déchirés par mon visage dans les sous-bois
du meygal
tandis que je recherchais la mousse
amie de mon enfance
alentour
la source
ciel encerclé d’un avenir rouge
la société que j’avais espérée
pouvait démarrer
à partir d’eux
et des cailloux que je logeais dans leurs mains
dites-moi
le rideau allait se lever sur quelle intrigue
j’avais tapé les trois coups
auteur
acteur
metteur en scène
et les filles qui se réfugiaient
derrière le rempart
de mes bras
plus rudes que les pierres calcaires d’
oppède
me faisaient communier avec la primitive beauté
dont je pensais qu’elle m’avait fui
pleurs retournant aux yeux
film passé à l’envers
qui indispose le vrai possible
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aucun besoin d’organiser mes errances
le pied léger
autant que mon portefeuille
je marchais
musique logée dans mon sac
mis en vrac
airs de joie
et airs de tristesse
caillou ramassé au bord de
la durance
menthe cueillie dans l’eau noire du ruisseau
de
montusclat
et son parfum écrasé
de tant de fantômes ancestraux m’enivre
phonolithe
qui déparle sous ma botte
de légendes et complaintes
du mézenc
ô
la vie sous le fil à plomb du soleil
malgré sa misère et ses crimes connus
révolte de la lande habillée de noir
je te provoque
yeux dans les yeux
dernier celte
muscles tendus
membres de bête
mon frère
une branche de verne écorché en bouche
son âpre rouille déposait sur mes dents
ma langue enflammée pouvait dire les mots
d’
une pentecôte
orageuse et vécue
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ce village
rayé de la carte
est vraiment mort
en temps d’hiver on s’en rend compte parfaitement
plus
qu’une animale carcasse
de vieux village
avec
deux
trois
gouttes de sang
perlant sur les os
miracle de détails qui regénère l’espoir
sur laquelle
les choucas défont leur vol à voile
enfants de bourgeois d’oiseaux
en passe de mal faire
parme les provisions laissés à l’ennemie
mort
blanche est
la peau des filles égarées vers les sources
rien qu’à penser l’effleurer
mes mains tremblent de froid
des cris vont et viennent sur les vagues de calcaire
l’humain retrouve d’anciennes proportions étranges
égarés dans une nature incommensurable
caverne élargie d’une mélancolie sinistre
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accordez-moi
une mort douce
ô mon amie
contre laquelle
je puis survivre
en haletant
de votre main
circonvenant
depuis
ma nuque
jusqu’à
mon dos
depuis
mon front
jusqu’à
mes bourses
qu’
elle compense
les morts violentes
triste héritage
de ma famille
marquée du sceau
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Je te saisis dans mes bras
mon amie
sœur
femme
mère
tu soupires de bonheur
j’en suis tellement heureux
que
mon cœur bat à grands coups
vieille horloge de campagne
dont l’heure prend de l’avance
ô
le ver dans le bois sec
il ronge dessous ma nuque
il attaque avec vigueur
jusqu’au nœud de mes étreintes
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si je m’affiche
vellave
d’une tribu égarée
que
les romains
ignorèrent
de peur d’un surnaturel
inconnu à leur mesure
les poètes de
paris
ne parleront pas de moi
et
je serai toujours seul
oublié en quarantaine
à monologuer pour rien
pourtant
il en est que j’aime
mais je reste sur mes gardes
les bons sentiments m’obligent
je crains de perdre ma force
à fréquenter les copains
sans le tonus de l’amour
vous
ne vous laissez point prendre
à l’odeur d’encens
du puy
à ses torrents d’eau bénite
dégoulinant des hauteurs
dont la buée est dentelle
à ces paysages ronds
que l’on retrouve souvent
en arrière-plan étrange
des œuvres de primitifs
leur long voyage
en peinture
les a fait passer par là
où ils connurent l’ancêtre
qui lui travaillait le fer
ou fabriquait le bijou
entre excités
coup de foudre
le vin posé sur la forge
la ferraille de couleur
laissant tomber son rideau
la pluie mit fin à l’entente
la province fut hideuse
je suis là pour rappeler
que
hier
il faisait meilleur
qu’
un artiste était un homme
qu’
un poète ouvrait le ciel
d’où l’on entendait les rires
des charognes en enfer
le verbe s’était fait chair
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sous un autre ciel se déshabille la simple joie
vielle fille récitant à mi-voix son chapelet
coule la rivière
la main sur l’estomac acide
mais
la couleur de l’eau a-t-elle celle de mon âme
et la monotone prière déforme mes vers
ma raison se tord et se détord les mains
de son doute
je me découvrais nu
une nouvelle fois
trop riche d’amitié
enguirlandé d’amour
son torse
à la cuirasse
bombée
où mes deux points
répondent au tam-tam
je dansais à la victoire
du poème noté
arrondissant la patte
petit marquis de cour
souteneur de java
gouine laissée pour compte
le cœur universel
au muscle bien à moi
qui se tend sur l’étal
avec
un point d’angoisse
au creux de l’abdomen
je le brûlais d’alcool
il me foutait la paix
tant de couleurs
que j’ordonnais
dans un ciel lourd
et sur la terre
sans être peintre
les doigts tachés
tendue sur ce cadre
toile de lin
avec apprêt
sperme séché
mes caleçons
je les quittais
ils tenaient droits
jambes tronquées
comme en vitrine
fête foraine
on les tombait
à force balles
jeu de tennis
pour jeunes filles
aux cuisses grecques
abêtissantes
trois paroles de vie (valent jeu) sept années d’écritures
Editions plein chant (cahiers hsf/6), 16120 Bassac, 1976
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