Llywarch-Hen (vers 490 – vers 590) : La vieillesse
La vieillesse
Avant de porter des béquilles j’étais éloquent dans le festin,
j’étais honoré et ce n’est pas étonnant,
car toujours m’aimèrent les hommes de l’Argoed(1) .
Avant de porter des béquilles j’étais intrépide,
j’étais reçu à l’assemblée de Powys (3),
ce paradis des Kymrys (2).
Avant de porter des béquilles j’étais beau
ma lance était la plus belle et mon dos le plus vigoureux
maintenant je suis lourd courbé et misérable
O ma béquille ! n’est-ce pas l’automne ?
La fougère est rouge et le roseau jaune
N’ai-je pas haï ce que j’ai aimé ?
O ma béquille ! n’est-ce pas l’hiver ?
Les hommes discourent après boire
et le bord de mon lit est délaissé.
O ma béquille ! n’est-ce pas le printemps ?
Les coucous volent dans les airs, l’écume de la mer brille,
je ne suis plus aimé de la jeune fille.
O ma béquille ! n’est-ce pas le premier jour de mai ?
Les sillons sont rouges et le blé se lève,
je m’irrite à la vue de ta crosse.
O ma béquille ! le rameau dont tu es faîte
doit supporter un vieillard bien morose ,
Llywarch le grand bavard.
O ma béquille ! ô dur rameau qui me supportes
que Dieu te protège,
bois qui soutient mes faibles pas...
O ma béquille ! sois droite et ferme
pour mieux me soutenir.
Je ne serais plus Llywarch bien longtemps...
La vieillesse joue en moi,
de mes cheveux à mes dents,
en mes yeux que les femmes aimaient.
Le vent murmure, la cime des bois est blanche,
le cerf est léger, sèche est la montagne,
débile est le vieillard qui se meut avec peine.
La feuille est arrachée par le vent.
Malheur à celui dont le sort est semblable,
elle est vieille et pourtant elle est née cette année.
Ce que jeune j’aimais m’est odieux aujourd’hui,
la fille de l’étranger et le coursier gris,
je ne suis plus bon à rien.
Quatre choses détestables viennent à moi,
la toux et la vieillesse,
la maladie et le chagrin.
Je suis vieux et seul, difforme et gelé,
je n’ai plus de lit d’honneur,
Je suis misérable, courbé en trois.
Je suis un vieillard chancelant courbé en trois,
on me néglige et on m’oublie ;
ceux qui m’aimaient ne m’aiment plus.
Les jeunes filles ne m’aiment plus,
personne ne me soulève plus de ma couche.
Malheur ô mort tu ne m’est pas favorable...
Rien ne me sourit, ni sommeil ni bonheur,
depuis la mort de Lawr et de Gwenn (4),
je suis farouche, vieux et décrépi.
Quel triste destin réservé à Llywarch,
la nuit où il fut conçu,
longues peines et lourd fardeau...
(1) : Pays de la forêt
(2) : L’une des trois divisions des Galles : au centre-nord-est
(3) : Littéralement les compatriotes, c’est-à-dire les Gallois
(4) : Deux fils de Llywarch
Traduit du gallois par Jean Markale
in, « Les grands bardes gallois »
Editions Jean Picollec, 1981
Du même auteur :
Les calendes de l’hiver (20/01/2022)
la neige (20/01/2023)