Henri-Simon Faure (1923 – 2015) : pape un enfant de chœur sur la touche (11-23)
pape
un enfant de choeur sur la touche
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combien j’entrais en errance
depuis mon dernier poème
mil neuf cent soixante six
ouais
tirant dur sur ma roulotte
comme un vieux cheval de cirque
du velay en la provence
saint-étienne
ville close
si tu veux qu’enfin je t’aime
passe en territoire vellave
élargis tes dimensions
de rudesse et de fierté
un seul soir rien que pour moi
avec le doux vent tombé
des montagnes sud-ouest
quand elle montera dans ma voiture
passagère clandestine embarquée
sans bagage pour quelque île lointaine
vogue la galère au cri des mouettes
puis se tiendra assise à mes côtés
les bras croisés et les genoux serrés
elle deviendra la plus belle fille
du monde
en coin de mon rétroviseur
je dépends de vos tics
comme s’ils étaient miens
j’ose les recréer
en faux jour d’un miroir
avec l’espoir secret
d’en tirer bon parti
pour être comédien
allumeur de soupirs
je me rappelle
un monde fou
se glissait dans ta tête lourde
dès que le trépan inventé
avait découpé une trappe
sur ton bonheur marécageux
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quand bien même mon orgueil fût tombé sur le dos
j’entraînais toujours mon adversaire dans ma chute
vous me direz qu’il faut avoir des principes
plein les poches
qu’un poète qui tant vadrouille
entre vulgaire et divin
se brisera le crâne enfin sur les récifs mitoyens
je n’ai consulté l’heure de l’homme
au cadran du mépris
pour crier qu’il devenait temps
de le sauver malgré lui
jamais
gardons-nous de cette peste des idéalistes
ils sont les jambes de bois de l’espèce humaine
qui marche
non pas
des pains de cire
du vieux bois des vielles armoires
des tables encochées de trous d’amande
ou de bols à soupe
des bancs de prière à pauvres
en fond obscur d’église
pas
du bois dont on taille les flûtes
comme une branlée
pour domestiquer
les cris de joie du vent dans la campagne
ni
celui qui vient des îles
où tourner les coquetiers
magnifiques de couleurs
à mettre sous le cul des poules
ou dessus la cheminée des résidences secondaires
mais
du bois sans âme que les mites taraudent profond
et qui craque sous la main
poignée d’espérance pourrie
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ah
posséder un fourneau
à bois ou bien à charbon
tôles peintes d’émail noir
encadrées de cuivre rouge
tel celui de
finn hauptmann
un copain sculpteur danois
ma mère en eut un du genre
avec la porte du four
qu’on abaisse les jours froids
et qu’une chaîne retient
j’y fourrais les pieds gelés
de mon enfance énervée
en fin des après-midi
retour du luge ou de ski
il avait gardé l’odeur
du plat ou du dernier repas
ou des pommes vertes cuites
oubliées de caramel
nous connaîtrons un temps de bonheur matériel
mais ce ne sera plus de la joie à deux sous
l’avenir n’a de la couleur qu’entre les pages
de mes recueils
après la pluie d’inspiration
l’allaitement au sein faisait ouvrir le poing
puis les doigts éventaient les mouches de l’ennui
pourtant le passé
quand sur lui je me retourne
a les mains sales d’un qui pataugeait la terre
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je dégueule sur le reproche
que l’on m’a souvent formulé
de prendre goût à la parade
mais je devais
garder les vaches
savoir faire de ma misère
rien qu’une femme de ménage
au creux d’un vallon
prairie verte
resserrée
immense
en cet âge
piste ronde d’un très grand cirque
qui pue le parfum de l’étable
aussitôt l’âpre nuit tombante
devenait
scène de théâtre
gigantesque
dans l’ombre bleue
et les pétards que j’allumais
amplifiaient les beuglées lyriques
de mon rôle
ô si belles rouges
dès que l’héroïne accourait
pour me réciter sa réplique
je portais la main à mon sexe
dans un sournois geste ancestral
tant mon savoir était encore
primaire
et enfantin désir
à l’ombre des noisetiers gris
j’urinais mon appréhension
ses yeux devenaient d’amoureuse
à trop contrarier mes doigts gauches
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remonter l’oubli
à grands coups de rame
le courant s’entrouvre
une fille nue
au soleil de plage
fleur
cinq doigts
épines
le frelon musique
son odeur l’abat
tandis qu’elle roule
au ciel
en lambeaux
mais immaculée
ô
sculpture de chair à caresser
tombée nue derrière les noisetiers
bordant un chemin creux qui mène à l’eau
étreintes et plaintes de jouissance
sa blancheur de peau tachée de rousseur
viol de la statue
soubresauts
cadavre
souillé de terre d’herbes et de sperme
combien j’en ai déjà par trop roulé
entre mes doigts jaunis
des cigarettes
de volupté
celle que je fumais
l’allumant à la cendre d’un mégot
avant de l’écraser dans la nature
faisant monter le dur dégueulandis
de la toux sèche à ma gorge crispée
et je buvais à mon bidon un coup
de rouge aigre
pour arroser mon coeur
comme une plante grasse du désert
mise à la fenêtre d’un h l m
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J’étais de ce monde simple
avec des trous aux chaussettes
mes orteils dans le taillis
lapins battant la mesure
ruisseau sans lit sur la carte
se souvenant de ses sources
sexe de paille amoureux
des grenouilles feuilles mortes
un gamin disant sa fable
bien à l’aise dans sa peau
sans penser au devenir
écorce de bouchon
cuir
ou aiguiser son rasoir
non pas encore poète
poète qui en a marre
parfois de tout
et souvent
dès qu’il juge trop étroite
sa cellule d’homme amer
où terriblement il chante
boîtes à musique éventrée
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l’individu ne fait que troquer le métal
de ses chaînes
qui brille à l’œil des pies voleuses
où attire la dactylo à l’éventaire
du forain
où fait se tortiller la bigote
elles te permettront de rouler sur la neige
mais la neige tombe avec le calendrier
d’où dépasse la pierre plantée de l’hiver
qui marque les limites du vieux désespoir
pour un temps assorti de pieux recueillement
une civilisation qui pénètre en trombe
dans son âge mûr avec des regrets bleuis
et les fruits de la peur chaque jour sur sa table
de crever
subitement sa crise cardiaque
parce qu’elle ne sut se servir de son cœur
rien que pour l’amour arpenté de long en large
ou
du cancer
dont le nom déjà émerveille
gratté comme un sale bouton qui défigure
je te jouerai le grand cancer
celui que jalousent les musiciens
qui n’auront jamais le doigté subtil des poètes
mon père
me disait l’auguste
il meurt d’un cancer
hier retour des waters
il s’est tourné vers le christ
mis par les sœurs au-dessus de son lit d’hôpital
il l’a engueulé d’être cause de sa souffrance
mais il ne parle plus depuis son opération
du trou dans sa poitrine il cracha son émotion
le christ
tu en fus souillé une nouvelle fois
l’homme est mort
sans avoir de réponse à son insulte
combien il est plus triste
de voir pleurer un homme
plutôt que son enfant
l’éponge d’avenir
effilochée d’usage
n’effacera jamais
ce mot du tableau noir
douleur
douleur
douleur
rien qu’une larme adulte
définit mieux ce terme
qu’une ligne imprimée
dans un gros dictionnaire
sous une illustration
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le désespoir qui m’avait tiré par l’oreille
au rythme du rhône
le long de son rivage
avait sa place marquée libre au campement
je l’avais basculé dans un fossé de route
juste à la hauteur de
saint-étienne-des-sorts
tant ce nom m’écorche la gorge d’épouvante
parce-que
me rappelant ma ville natale
l’enthousiaste poésie broyée aux étaux
ses places étroites plantées d’arbres malades
mains mortes tendues vers un ciel muet et sourd
ils espèrent qu’enfin se paie la lâcheté
alors que
dans une cinquième saison proche
des poings foutront sur la gueule des imbéciles
les clochers sont les chiens de garde du troupeau
qui moutonne
et puis chie par les tranchées des rues
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ô mon amour
vitriolé comme aux beaux jours
je pleure la haine dont tu m’as embué
les catins ne portent plus leur sexe en écharpe
tricolore
est un mot qui ravive leurs règles
dans quelle plaie mauve
gît la pierre précieuse
j’en ai tellement pourchassé
même en des saisons interdites
de ces perles de la nature
qu’il faudra bien
qu’en l’autre monde
le poids lourd de leurs indulgences
m’élimine de ce métier
de pêcheur au fond de l’eau trouble
où je cherchais la liberté
balancera mon inertie
retiendra mon je-m’en-foutisme
ces yeux furent les cataphotes
de ma route
dans cette nuit
quand se réverbèrent mes phares
par-delà l’épais brouillard blanc
qui dut langer ma vie d’enfant
bienheureusement né coiffé
filles
je ne pouvais lutter contre vous
parti battu d’avance
mais le sachant
à cause de l’image au cœur crucifié
depuis le jour
où mes ancêtres baissèrent
la tête
devant l’affreux dieu des barbares
montés
du sud
société
je me méfie
de la poigne sournoise de l’amitié
y laisserai-je mes dents de loup-garou
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elle
avait
son visage
de poupée
en effet
à la mode
suédoise
mais
mon dieu
qu’
elle se
déhanchait
trop à l’aise
dites-moi
quoi
pouvoir
faire ensemble
guêpe immense
on traduit
ah oui
vous
écrivez
des poèmes
on traduit
j’en écris
ouais
son cul
plus m’importe
tout d’un coup
j’étais seul
avec
lui
dans ce groupe
de nordiques
tête haute
je notais
tandis qu’
elle
posait
nue
devant moi
étrange
et
chaud modèle
face au peintre
bout de glace
qui s’inspire
se morfond
écriture
sois maudite
pour mon choix
œuvre d’art
imbécile
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j’écrivais de la prose
beaucoup de prose
des histoires vécues à grands coups de gueule
et de bon sang
et de sueur eau de mer
afin de me vider
trouver cet état
extatique
où je n’étais que poésie
corps de poésie
plume de poésie
main de poésie
papier de poésie
je me torche les rives du trou de balle
de l’opinion dentelle blanche des autres
qu’ils glandouillent à tous les vents
moi je bande
et ma flèche humide atteint la basse cible
qu’exhibent
mains balantes
les femmes nues
ostie dressée par les prêtres de l’abîme
tête à l’envers
où pointe d’élévation
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la pleine lune de décembre
elle est tombée cette année-là
entre noël et jour de l’an
avec mon retour en ces ruines
aussitôt me poignarde au cœur
pas le moindre sursaut d’insecte
n’étincelle la terre glabre
ses entrailles ouvertes
froides
épines de hérisson
gel
où mon pas se plante hésitant
tout est ténèbre de silence
j’entends battre la mécanique
de mon sang qui
lui
veut survivre
jusqu’à la remontée de sève
afin de faire la jonction
on ne devrait jamais se plaindre
du manteau lourd de la chaleur
ni du soleil trop grand ouvert
dans l’œil d’étonnement des filles
d’une sécheresse de bois mort cassé
l’hiver
en provence
j’apportais ma poubelle de froid
dilapidée dès le parallèle trente trois
j’errais à travers les ruines d’
oppède
aux aguets
dans l’attente anxieuse de l’éclatement des pierres
du croulement des murs
de l’apparition des morts
aux encoignures les escargots clignaient de bave
et
le vent du silence était un monstre assoupi
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là
je me forçais à découvrir
un seul soupir de déséquilibre
qui m’aurait donné barre
sur vous
dans votre course vers la rivière
la moindre chose portant à faux
sous ma surveillance exacerbée
je la palpais d’une vive poigne
la paume aux angles de volupté
à me tirailler en franc-tireur
des yeux mettent mon cœur en charpie
et je m’incline
sans plus parler
devant la justesse de leur feu
vous avez deviné
combien j’erre
dans un monde qui tant me dépasse
à la recherche de la caverne
y réfugier ma richesse acquise
afin de froide désespérance
parvenir à gonfler ma poitrine
aux colorées dimensions immenses
de ce que je portais dans ma tête
trois paroles de vie (valent jeu) sept années d’écritures
Editions plein chant (cahiers hsf/6), 16120 Bassac, 1976
Du même auteur :
Par ces temps (28/07/2016)
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un manoeuvre n’en fait qu’à sa forte tête ... (17 – 29) (21/01/2021)
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pape un enfant de chœur sur la touche (24-34) 21/01/2024)