Monchoachi (1946 -) : Le réel / Le jeu (XI – XV)
Le Réel / Le Jeu
Comme attrait de l’imminence et comme attente infinie,
Combien aimante et fascine,
Comme regard qui songe et mesure,
Comment instaure la mesure et rencontre l’inouï,
Comme ordre de la répétition et comme figure de la différence,
Comment rien se fait appel,
Comment libère miroirs et reflets de la terre
Comme séjour, la-cour, qui rassemble et fait miroiser
êtres et choses, parlers et ouvrages des hommes
Espérir
Dans le pur (et dur) rayon des jours
Combien dispensateur de monde et de joie,
Comme sort et comme resors
Comme ronde resplendissante,
Comme promesse enfance éternelle,
Comme qui gaingner cōnninpassécōnnin
XI
Le jeu : monter / descendre
Fille-mère, fille sans seins,
étoile-monde, Sahel
coureuse de chemins est-ce une gazelle,
est-ce Mafdet la panthère,
n’est-ce pas une antilope-cheval vagabonde,
chose fabuleuse eh, où vas-tu ?
elle ouvre, c’est le chemin qui la possède.
Tous les poissons viennent de l’est.
La pirogue suit toujours la marche des étoiles.
L’œil du poisson rouge est un cauris,
il porte un serpent rouge sur la tête,
remonte dans le lac avec les eaux ;
Le fonio semé avant la première pluie,
Mil sorgho riz dans le sens de la rotation de l’arbre,
les griots et les femmes font face en reculant,
les graines descendent avec les eaux noires
elles remontent dans le haricot ;
Au moment des brulis, la femelle à l’unique mamelle
remonte des eaux profondes rejoindre l’époux,
bien juteuse : c’est la saison des hyménées,
bière de mil et hydromel font tourbillonner le grand arbre cosmique
depuis les eaux souterraines jusqu’à la montagne du ciel ;
Le python s’abreuve aux sources du fleuve,
il fait jaillir les eaux doubles
qui descendent en bas laver riz et mil ;
les souffles montent et descendent
avec les eaux souterraines et les graines du corps,
les graines descendent dans la mare souterraine
et remontent au moment où montent les eaux souterraines,
le ferment descend quand la pluie tombe
la femelle remonte des eaux souterraines
par le chemin de l’arbre cosmique du bas,
elle suit le mouvement des Pléiades :
la beauté se répand alors sur le sorgho.
C’est jour de fête : les hommes égorgent le bélier blanc en haut d’une dune
les femmes, au bas, brûlent des parfums d(‘aloès et de benjoin
font des offrandes : mil et cola rouge et blanche.
Monter-descendre, descendre-monter
voie du sang des sacrifices, voie des graines célestes,
voie de la fécondité, voie de la germination,
monter-descendre du serpent souterrain,
sort et disparait,
fermentation d’orge et de dattes,
lever héliaque des Pléiades, disparition de Canopus
apparition-disparition des constellations,
tisser et labourer,
labourer et tisser,,
huile parfumée et boue chaude,
turban rouge et robe noire de la terre.
depuis les eaux souterraines jusqu’à la montagne du ciel,
les mêmes étoiles,
toujours les mêmes
la mare aux sept eaux,
les sept vagues horizontales, les oiseaux
le sang de la tête du serpent le long de la dune,
le vin de viande avec la bosse de chameau,
l’eau dans des outres en peau de bouc,
les poissons et les eaux, les oiseaux
XII
Le jeu : prend / baille
Collier maldioc, houngué-vé,
Rouges spondyles, bracelets de nacre blanc,
force et magie les habitent
Prendre / rendre en retour,
avec charmes, formules
bains-feuilles silasila
peau graissée, parfumée de menthe,
saupoudrée de rouge bétel,
Eau de libation, encens,
encenser visage, ouvrir yeux et bouche,
Eau fraîche du firmament,
parfums de fête,
« les vingt-quatre parfums du Soudan »
musc et styrax, ambre et coriandre,
girofle et essence de rose,
Offrandes et reversion d’offrandes
(chein rhaché vingt-quat’ quatiers mangé cri
« plus les excréments »)
chants et rythmes
cliquetis chapelets cauris blancs,
guirlandes herbes aromatiques
dans un tourbillon dissipées en brume,
« comme des étrangères »
s’élevant dans les airs
« les petits seins doux » sous la brume,
tantôt forme de roussette, tantôt des lucioles,
jupons herbe rousse,
pitites quatiètes au-dessus arbres,
légions roussettes par dessus arbres
dans la nuage de la brume,
Prend / baille derrière l’écran de brume,
l’œil du requin entre les valves béantes du mollusque,
l’œil du requin dans tous les enclos,
« un merveilleux air de flûte dans le lointain » ;
sortis des palanquins les tambours battent
battent à la rive, sans jamais toucher terre,
« Viens la gazelle, il n’y a de Dieu que Dieu »
La ilaha illah
Prend / baille, frayer passage à la force magique
Vont présents de sagou, viennent calebasses de bois de lime,
« Beauté point ne se divise »
charme d’eau dans la calebasse,
l’oiseau-mouche à la proue souffle
Non ! Par le calcul cela ne se peut
beauté point ne se divise !
un pas encore dans la forêt magique,
l’arbre grandit, les branches s’allongent,
vers le vent du nord-ouest
vers le vent du nord-est
chuchotements secrets, vent de vie
le lézard minotor sur le chemin sonne,
les embruns mouillent
le haut bord la pirogue
les Pléiades s’approchent,
les constellations prochent,
l’étoile à la banderole
le peuple du ciel.
XIII
L’éternel retour
« Proche et pourtant invisible » araignée,
lianes et incantations
brodées d’une voix douce, mains dans le dos,
en des spirales, rebrodées de lumière.
Les paroles claires marchent devant nous,
les paroles claires sont nos ancêtres,
les paroles sont nos enfants,
elles nous regardent de derrière :
nos enfants sont nos ancêtres.
Bélier sacré aux cornes torsadées,
mâle qui lie les semences,
vivace qui répète ses naissances.
Enterrement des ceintures des reines-mères,
nouveau feu rituel,
nouveaux répondants à l’appel des sonnailles,
renouvellement des cœurs et des peaux des tambours,
renouvellement des insignes et des marteaux.
copulation, curage des abreuvoirs,
nouveau masque aux yeux ardents,
masque aux yeux d’antilope
enchatonné de triangles noirs et rouges.
peint oseille et sang sacrificiel,
graine bala, l’huile sa,
rafraîchi avec sans chein el lhouile sésame
parfumé aux racines de sorgho.
Semailles puis prémices,
brousse balisée, plantations rabourées,
les tambours dans les palanquins retournent,
les taureaux retournent dans l’enclos ;
pieds maïs-bois
fourrés d o u c e m e n t
deux par deux dans la terre,
d o u c e m e n t, « prend bien garde à tes pas »,
pour gager le cheminement d’Orion sur le pourtour de la mer,
et son retour derrière le nuage au revers des Pléiades ;
Alors, rafraîchissement des corps et des souffles,
bain-lãnmè tête calée net’ ac lame obsidienne,
Rejet des vieux souffles par l’anus,
renouvellement des quatre points,
Aspiration de nouvelles effluves
bouche ouverte,
Réfection des dessins rituels,
réfection des signes de la création.
Alors les femmes poussent des cris de joie,
s’enduisent le corps de fard de padouk,
tout luisant, bien clairé, bien rangé
dégrigi
pioute-pioute
Alors on jambe,
à l’aube, la pluie lavera le sang de bouc ;
« Alors, on peut se marier,
Alors on peut réciter les éloges, pousser des acclamations,
Alors on peut accomplir son vœu » :
Cultiver le mil, couper le grain mûri, le mettre dans les greniers.
XIV
Les résonances
Quatre cauris ventre en l’air :
Se peut que ce soient AUSSI BIEN
les défunts que les vivants qui rient.
Toute chose double
âme et oiseau en pagne blanc
enfant et ancêtre
Le serpent noir au ventre rouge et la fille sacrifiée à la porte
Indra de Massenya,
Les douze portes de Massenya, les douze trous du soleil au firmament
la double voie des eaux célestes ;
Fibres sèches, femme sèche
Jupe écarlate, le bélier d’or plongé dans les nénuphars,
La calebasse entre les cornes est le soleil
le chanfrein de la lune,
ses yeux les étoiles ;
« Digitaria et menstrues même chose »
« bois de sistre, sexe délivré du prépuce »
Cendre dans la calebasse est semence bélier,
9, signe de plénitude
9 dit le retour à l’origine
999
marches
descendent
aux
enfers
7, le doigt qui montre cela
« Le compte du corps de l’homme est
Cela le remerciement »,
(Le nombre des dieux est illimité)
femme, huile miel et mil
et poitrine pleine,
bonne santé et bons rires,
la navette est le doigt de Sokar,
l’enrouleur l’ongle d’Isis,
les cordages, le cordon ombilical de Horus,
va-t’ et-vient au rythme des battements :
« balance ton corps, petite sœur, balance ton corps »,
eau et brousse, fécondité
Termitière, fécondité, épouse des dieux du ciel,
sorgho, l’œil ouvert des marais,
carrefour trois-branches et les mouettes
déploiement serein du jour,
le lézard-soleil
« parmi les herbes tranchantes » parmi
les herbes exubérantes
le doigt-mitan adans la bitation
aura son lautel en didans
la bitation sèptionellement,
Les sonnailles mettent en branle
la multitude
le lézard prend appui sur le souffle
va parmi les feuilles les astres les eaux
triple est le Serpent-Démiurge
en-bas l’étoile-enclume Aldébaran,
Bois-rond-rouge, « holà, chien gueule brûlante ! »
(acclamations jumelles,
pagne noir
l’entour les reins soleil couchant)
« Holà, bourreau, mangeur chèvres, mangeur dos poules,
Grimpe pas au palmier !
Grenier, oiseau-fleur ibis
grenier-lune vide ».
XV
Mâle / Fimelle
Mâle, qui vlé di : doèt’ gros-bourreau (index),
Fimelle : bouche longée, (moue)
peau propre et luisante,
soin dènier-point apportée à la peau
propre et luisante,
Robe fibres rouges
tressées brins pousse sagoutier,
boucles z’oreilles et jambières
Et toutes les façons du monde de jouer
avec la bouche et les lèvres,
Qui vlé di :
mâle, plein, du’
fimelle, vide insondable ;
Mâle, raide, còriace
La fimelle l’accueille
bienveillante et douce,
Un en deux, deux en un, ioune dans laute
rond dans rond l’amarante plongé en fond
tention pocaution lapeau longnon !
Mâle dans une paire, fimelle dans autre paire
vice versa,
La rouge ou la noire, c’est parti, lévez lãmain désappiyez :
Soleil mâle, lune fimelle : la boule rouge !
étoiles fimelle, lune mâle : la boule noire !
mâle le potorik piéd-bois douboutt gros-nègue
dans la savane,
Fimelle l’herbe qui ondoie sous l’harmattan
se couche sous les bourrasques de l’orage
reine chanterelle de tous les wharf zhèbe
zhèbe calalou, zhèbe couresse, zhèbe djinen
Mâle la droite, fimelle la gauche
Mâle branches droite alternant fimelle branches gauche
forment lignes en chevrons
figure du grand serpent qui anime le monde ;
Mâle le feu qui ravage, fimelle l’eau qui rafraîchit
Mâle l’eau du ciel, fimelle l’eau de la terre
Mâle l’eau-semence de l’animal mâle,
Fimelle l’eau semence de la belle,
Mâle le ciel du sommet
dispense lumière et ondée,
Fimelle la terre qui s’ouvre à la semence,
Mâle l’oiseau qui se perd dans l’éther, l’esprit de la brousse,
Fimelle le coquillage sacré, le poulpe
rai de lumière
dans les cavernes de la mer
Mâle « la fureur sacrée », l’esprit vengeur qui le premier
posa son pied sur la boue
et assécha la terre,
Le masque à long nez, la pierre dressée,
L’enfant qui à sa naissance respira la fumée d’un feu ensorcelé
ou était-ce l’absorption d’eau salée
ou l’avait-on peint en blanc avec le soufre ;
Fimelle « le sourire des initiés »
oiseau de paradis dans les cheveux
voix de flûte
tranquille-chantant
vêtements esplendissants
offerts aux yeux ravis des mères,
Le tourbillon du grand arbre cosmique
dispensateur de la vie
L’antilope qui a tourné autour de la Montagne
sept jours
avant d’épouser le forgeron
La mare aux sept eaux en quelle repose la Montagne,
Les femmes lorsque dans leurs pirogues elles vont et viennent
en chantant,
Les encoches sur les gourdes
pour tenir le compte des amours,
La « petite pièce ambrissée
pour les léopards et les genêts »
La petite moule étincelée
qui divise les eaux
afin que l’eau coule
et sur la nuque l’image de la lune,
Mâle la vanité, fimelle la gaieté
Mâle-fimelle la couleur,
vert, mâle, respect coutume en lignage,
rouge, sang de la vierge
rouge-rouge jalousie
noir, fécondité, abîme du frisson,
blanc, bonté, force de vie ;
Mâle-Fimelle les orifices du corps
et les entrailles et les chairs tendres du cerveau
les testicules et les ovaires, la chair compacte du cœur
Mâle la chauve-souris, fimelle la roussette
qui ordonne les ténèbres
Mâle l’amertume l’aigreur la puanteur
fimelle la vergogne, la sangsue
lécheuse de chiens, les poissons
à longues bouches l’espèce des parleurs
la gazelle Kabuluku ;
Mâle-Fimelle l’Equivoque équivoque,
Mâle et fimelle les jumeaux célestes
Les os sont mâle, fimelle la chair
et le sang,
l’albinos premier Forgeron
le singe rouge à longue queue
qui fit basculer le monde
et la panthère est venue avec tous les secrets ;
Mâle et fimelle l’homme à double face et au cœur indivis
Qui siège dessous les eaux souterraines
et qui a accouché de mille fils ;
Partition noire et bleue (Lémisté 2)
Editions Obsidiane, 2015
Du même auteur :
Manteg (26/02/2021)
L’eau (I-V) (26/02/2022)
L’eau (VI-IX) (19/08/2022)
Le lointain (X) (26/02/2023)