Monchoachi (1946 -) : Le sort (XXVI - XXVII)
Le sort
A peine la civilisation eut-elle ainsi abandonné l’idée d’un destin, appariée
aux mondes païens et donc à l’Afrique, avec le génie tragique qu’elle
engendre, le sentiment qui emplit quiconque en est imprégné d’une force
merveilleuse, celle qui consiste à être relié par toutes les fibres du corps aux
puissances de l’univers, la nécessité qui en découle alors d’être à chaque
instant et en chaque lieu, tourné vers le lointain, attentif aux moindres
soubresauts, aux moindres ondes, l’impérieuse exigence d’une quête sans
cesse renouvelée d’un accord entre l’individu et le groupe tout entier auquel
il appartient avec les plus hautes instances, à la fois le jeu subtil, royal, face
au péril suprême, et la douleur intense qui participent de cette quête, la
solennité et la gravitée de la parole commémorée, prodiguée et du geste
salutaire qui en ressortissent forcément, le recueillement, les célébrations
d’une somptueuse beauté sensuelle où sont magnifiés le rythme et la danse,
autrement dit la scène des corps à l’unisson des puissantes vibrations de la
terre et de l’univers, transfigurés et sublimés par ces dernières.
Au regard de cela, la rationalité rapetissante, standardisante, nivelante, le
fatalisme morne généré par un culte obtus rendu à l’évolutionnisme, et une
vision historisante calamiteuse du temps,, l’engloutissement dans une vie
privée de « monde », l’horizon borné de mièvres jouissances, l’assujettissement
à des réjouissances mesquines, à des plaisirs pitoyables, le pullulement de
langages abjects, les rets sans cesse resserrés d’un monde artificieux, fabriqué,
bref la dégradation et l’impuissance absolues fantasmagoriquement converties
en progrès exaltant et en liberté souveraine.
XXVI
Les mains ouvertes
Mains ouvertes, paumes
reçoivent les noix qui roulent
A reculons les signes mêmes
suprême vie.
Les tiennes pressées sur le front
sur le ventre
les élèvent aux quatre points
les font sauter
sèment.
Terre-roi, roi-terre
la première prophétesse
Et le premier des signes
légendes et chants solennels
qui l’escortent et l’agissent,
La terre où il fut saisi
sur la termitière
sur la vase de mer durcie,
Appeler le signe, le dénouer
recevoir la vie, la force
Recevoir
pitipitizing de la Grand Pensée
celle qui vient de là-bas
préposée à la garde
Laisser advenir ce qui est
Tracer avec le médius (le monstre a gâté l’index)
vers la chose qui sans cesse
Se retire
et POURTANT demeure
« La beauté », dit Odu,
Et Odu à Guédé
« la beauté, Maestro, ne danse pas la danse des morts »
(et vice versa.)
Ecarter, fouiller,
Ne parle ni langue des hommes,
Ni
Des mots comme des fleurs
des velours verts
et des montagnes et des forêts
et des vagues qui s’engendrent
et s’enroulent
et déboulent
et plein de pétillements joyeux
tant de voluptés
dieu et ses mystères,
Chercher l’endroit, la mère
Fu (prononcer « fou »)
où toutes choses furent engendrées
se présentent et se répondent
se doublent et se dédoublent
Alafya : le chemin est ouvert
l’eau sur
les mains
versée
nou conn’ jété dleau
XXVII
Tout tout nu
Celui qui ainsi
offert
longé
goté (sis doigts pour tout tourner)
asexué
Débarrassé de sa poussière
corps lavé, huilé
écumé de ses débris
le front poli
les joues lustrées
Dénoués les membres, dénoues les liens
débagagées les vanités
Purifiée la bouche avec paroles fluides bien récitées
toutes de voyelles remplies magies
ellipses, syllabes ioune anlè laute
mots défiguirés
langue pauvre, irréductible
échappée aux chimères
(sens et bienséance)
corps fraîche :
le corps se porte bien !
Coupi sur la terre nue, sur un flément grès
ou près des méandres
« avec les quatre tyrans aux quatre coins »
tourné vers le couchant
vloppé dans peaux de bêtes
bus lait et sang
corps fraîche :
près d’un feu alimenté de bouses
mangé poisson cru
mâchée écorce amère
plantes levées sur les tombes
ndjao, qui nettoie les chemins
sans relâche
Et les bois sacrés, les buissons
Les petites clairières pour les offrandes, pour les prières
Un pot avec l’eau, quelques noix cola, la terre blanche
Les perles blanches :
jetés les dés
Parti téter sa mère les yeux obscurcis
Entré à l’intérieur des mystères
fait silence pour le Silencieux.
Partition noire et bleue (Lémisté 2)
Editions Obsidiane, 2015
Du même auteur :
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L’eau (I-V) (26/02/2022)
L’eau (VI-IX) (19/08/2022)
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Le sort (XXVI - XXVII) (26/02/2025)