Eugenio Montale (1896 -1981) : « Ne nous demande pas le verbe... » / « Non chiederci la parola... »
Ne nous demande pas le verbe qui pourrait
Equarrir notre esprit informe et l’éclairer
En lettres de flamme et briller comme un crocus,
Perdu dans la poussière d’un pré.
Ah, l’homme qui s’en va en toute confiance
Et en accord avec les autres et lui-même
Et qui n’a nul souci de son ombre qu’imprime
Sur un mur décrépi la canicule.
Ne nous demande pas la formule
Qui t’ouvrirait des mondes, mais plutôt
Des syllabes tordues, sèches comme un rameau ;
Nous ne pouvons te dire aujourd’hui que cela :
Ce que nous ne sommes point, ni ne voulons pas.
Traduit de l’italien par Sicca Venier
In, « Poètes d’Italie, Anthologie des origines à nos jours »
Editions de la Table Ronde, 1999
Ne nous demande pas le mot qui taille carré
Notre esprit informe, et en lettres de feu
L’affirme et le fasse resplendir comme un crocus
Perdu au milieu d’une pelouse poussiéreuse.
Ah, l’homme qui s’en va d’un pas sûr,
Ami des autres et de lui-même,
Et n’a cure de son ombre que la canicule
Imprime sur un mur décrépi !
N’exige pas de nous la formule qui puisse ouvrir des mondes,
Mais quelque syllabe difforme, sèche comme une branche.
Aujourd’hui nous ne pouvons que dire ceci :
Ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne voulons pas.
Traduit de l’italien par Patrice Dyerval Angelini
In, "Anthologie bilingue de la poésie italienne"
Editions Gallimard (La Pléiade), 1994
Ne nous demande pas le terme qui burine de tous côtés
notre âme informe et la révèle en lettres
de feu, resplendissant comme un crocus
perdu au milieu d’un pré poussiéreux.
Ah, l’homme qui avance bien assuré,
ami de soi et des autres
insouciant de son ombre projetée
par le soleil qui darde, sur un mur décrépit !
Ne nous demande pas la formule qui puisse t’ouvrir les mondes,
mais plutôt quelque pauvre syllabe tortueuse, sèche comme une brindille.
Nous pouvons aujourd’hui te dire seulement :
ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne voulons pas.
Traduit de l’italien par Geneviève Burckhardt
In, « Italie poétique contemporaine »
Editions du Dauphin, 1968
Du même auteur :
« A midi faire halte …/ « Merrigiare pallido… » (10/05/2016)
La bourrasque / La bufera (14/08/2019)
Bateaux sur la Marne / Bache sulla Marna (14/08/2020)
Correspondances (08/02/2021)
« elle traversait pieds nus... » (13/08/2021)
« Ne t’abrite pas à l’ombre... » / « Non rifugiarti nell'ombra... » 08/02/2022)
Midi / « Gloria del disteso mezzogiorno... » (14/08/2022)
Côtes de Ligurie... » / « Riviere... » (08/02/2023)
Quatre poèmes / Quattro poesie (08/02/2024)
Sarcophage / Sarcofaghi (14/08/2024)
Elégie de Pico Farnese / Elegia di Pico Farnese 08/02/2025)
Non chiederci la parola che squadri da ogni lato
l'animo nostro informe, e a lettere di fuoco
lo dichiari e risplenda come un croco
perduto in mezzo a un polveroso prato.
Ah l'uomo che se ne va sicuro,
agli altri ed a se stesso amico,
e l'ombra sua non cura che la canicola
stampa sopra uno scalcinato muro!
Non domandarci la formula che mondi possa aprirti
sì qualche storta sillaba e secca come un ramo.
Codesto solo oggi possiamo dirti,
ciò che non siamo, ciò che non vogliamo.
Ossi di seppia
Gobetti Editore, Torino, 1925
Poème précédent en italien :
Andrea Zanzotto : « Tendresse. Caresse.... » / « Dolcezza. Carezza... » (01/08/2023)
Poème suivant en italien :
Salvatore Quasimodo : Glendalough (06/10/2023)