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Le bar à poèmes
30 juin 2023

Jibananda Das / জীবনানন্দ দাশ) (1899- 1954) : Nuit de grand vent

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Nuit de grand vent

 

Ce fut une nuit de grand vent que celle d’hier – une nuit d’étoiles sans nombre.

Toute la nuit le vent joua dans ma moustiquaire

Qui tantôt se gonflait comme le ventre de l’océan pendant la mousson,

Tantôt, s’arrachant du lit,

Voulait voler vers les étoiles ;

Par moments il me semblait dans mon sommeil

Que je ne l’avais plus au-dessus de la tête,

Qu’elle s’envolait, se rapprochant du giron d’Arcturus,

Comme un héron blanc dans la vague bleue du vent !

Quelle nuit merveilleuse !

 

Hier tous les astres morts s’étaient levés ;

Pas un creux dans le ciel ;

Et je voyais dans les étoiles les visages gris des morts qui furent aimés sur

     terre.

En cette nuit obscure, à la cime du figuier, tous les astres brillaient

Comme le yeux des faucons amoureux humides de rosée.

Au clair de lune le ciel luisait comme cette cape en peau de panthère

Sur les épaules d’une reine de Babylone !

Quelle nuit extraordinaire !

 

Les étoiles depuis des millénaires défuntes sur la poitrine du ciel

Ont ravivé hier d’innombrables cieux morts.

Toutes les belles que j’avais vues mourir en Assyrie, en Egypte, à Vidisha

Se levaient dans la brume sur les lointains du ciel,

Cohortes armées de hautes lances,

Etait-ce pour tuer la mort ?

Etait-ce pour révéler la victoire de la vie,

Etait-ce pour dresser la sombre colonne de l’amour ?

Paralysé, fasciné,

La violence bleue de la nuit dernière m’avait déchiré ;

La terre fut balayée comme un insecte

Entre les ailes ouvertes du ciel.

Et un grand souffle céleste entra par ma fenêtre

Avec des sifflements de zèbres affolés

Par des rugissements du lion.

 

Mon coeur s’emplit d’une odeur d’herbe,

Du parfum du soleil inondant l’horizon.

D’un souffle agité, gigantesque, débordant,

Pareil au feulement de la tigresse en amour

Et de l’ivresse bleue de la vie.

 

Mon cœur s’est coupé de la terre, s’est envolé,

Il va dans la vague bleue du vent, comme une aile enivrée ;

D’astre en astre il promène, tel un vautour cruel,

L’emblème d’une étoile lointaine.

 

Traduit du bengali par France Bhattacharya

In, « Un feu au cœur du vent ; Trésor de la poésie indienne »

Editions Gallimard (Poésie), 2020

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