Alun Lewis (1915 – 1944) : « Tout le jour il a plu... » / « All day it has rained... »
Tout le jour il a plu, et nous, à la frange des landes,
Etendus sous nos tentes coniques, maussades et ternes comme des ploucs,
Tapis de sol et couvertures étalés sur le sol boueux,
Depuis la première grisaille du réveil n’avons trouvé
Aucun refuge contre les escarmouches du crachin,
Et le vent qui enfle et fait claquer la toile
Et effiloche et casse les cordages mouillés tendus.
Tout le jour la pluie a glissé, vague et brume et rêve,
Trempant ajoncs et bruyères, coulée diaphane
Trop légère pour remuer les glands qui arrachés soudain
A leurs cupules par le sauvage suroît,
Tambourinaient sur nos tentes et nous visages levés, rêveurs.
Et nous nous sommes allongés, déboutonnant nos bretelles,
A fumer une sèche, à repriser des chaussettes sales,
A lire les journaux du dimanche - j’ai aperçu un renard
Et je l’ai mentionné dans le mot que j’ai griffonné aux miens –
Et on parlait de filles, et de lâcher des bombes sur Rome
En pensant aux morts tranquilles, et aux grands personnages braillards
Nous exhortant à tuer, aux réfugiés entassés ;
- Mais en y pensant mollement, moroses, aussi indifférents
Qu’à nous-mêmes ou qu’à ceux que nous
Aimons depuis des années, et que peut-être
Nous aimerons encore demain ; mais maintenant la pluie
Nous possède entièrement, le crépuscule et la pluie.
Et je ne me rappelle rien de plus cher ni de plus près de mon cœur
Que les enfants que j’ai regardés dans les bois samedi
Faire tomber les marrons rutilants pour leurs jeux joyeux à l’école
Ou le chien hirsute qui m’a suivi patiemment,
Dans Sheet et dans Steep et sur les éboulis boisés
Jusqu’au Shoulder o’Mutton où Edward Thomas ruminait longuement
Sur la mort et la beauté – avant qu’une balle ne mette fin à son chant.
Traduit de l’anglais par G Morgan et Paul Bensimon
In, « Anthologie bilingue de la poésie anglaise »
Editions Gallimard, (La Pléiade), 2005
All day it has rained, and we on the edge of the moors
Have sprawled in our bell-tents, moody and dull as boors,
Groundsheets and blankets spread on the muddy ground
And from the first grey wakening we have found
No refuge from the skirmishing fine rain
And the wind that made the canvas heave and flap
And the taut wet guy-ropes ravel out and snap.
All day the rain has glided, wave and mist and dream,
Drenching the gorse and heather, a gossamer stream
Too light to stir the acorns that suddenly
Snatched from their cups by the wild south-westerly
Pattered against the tent and our upturned dreaming faces.
And we stretched out, unbuttoning our braces,
Smoking a Woodbine, darning dirty socks,
Reading the Sunday papers – I saw a fox
And mentioned it in the note I scribbled home; –
And we talked of girls and dropping bombs on Rome,
And thought of the quiet dead and the loud celebrities
Exhorting us to slaughter, and the herded refugees:
Yet thought softly, morosely of them, and as indifferently
As of ourselves or those whom we
For years have loved, and will again
Tomorrow maybe love; but now it is the rain
Possesses us entirely, the twilight and the rain.
And I can remember nothing dearer or more to my heart
Than the children I watched in the woods on Saturday
Shaking down burning chestnuts for the schoolyard’s merry play,
Or the shaggy patient dog who followed me
By Sheet and Steep and up the wooded scree
To the Shoulder o’ Mutton where Edward Thomas brooded long
On death and beauty – till a bullet stopped his song.
Raider’s Dawn
George Allen &Unwin Ltd, London, 1942
Poème précédent en anglais :
Ronald Stuart Thomas : Quatre-vingt dixième anniversaire / Ninetieth Birthday (14/06/2023)
Poème suivant en anglais :
Derek Mahon : l’Ecclésiaste / Ecclesiastes (22/06/2023)