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Le bar à poèmes
7 mars 2023

Hervé Carn (1949 -) : Petits secrets (1)

Le-Bruit-du-galop[1]

 

Petits secrets

à Fabio Scotto

 

 

« Ecrire n’importe quoi est peut-être le meilleur moyen

d’aborder les sujets qui comptent, d’aller au plus

profond par le chemin le plus court. »

JULIEN GREEN

 

Le vent pousse les vagues

Sur tes pieds nus

Me réveillent chaque matin

Vers quatre heures ces vers

Qui frappent mon crâne

Non entendus ex-tendus

Hors des fosses intimes

Des oublis des émotions

Ils suscitent des images

Voilées par leur retour

Ces mots collent aux dents

Ne peuvent s’exfiltrer

De ma bouche qui les malaxe

Ne peuvent donner de l’air

Au corps épuisé par les rêves

Ne peuvent qu’être eux-mêmes

Et puis peut-être me dis-je

N’ont plus d’autre fonction

Cruelle que celle de ramener

Ce que je suis au rang

D’une arche inutile

 

 

La bouche encombrée

Par un amas de pierres

Ou peut-être est-ce le signal

De la vitrification de l’air

Qui entourait une belle au bois

Dans un film aux trop fortes

Couleurs ou encore des chairs

Tombées des os en éraflures

Battues et raclées avec adresse

Par un bourreau placide

Derrière la fumée d’un cigare

Ce qui est dur avec les pierres

C’est moins l’aridité que la brûlure

Qu’elles impriment dans la peau

De la main ou du genou

Quand le corps s’affaisse

Quand la douleur est vive

Quand tout se ramasse

Dans le coup de poing de la révolte

De ces mots déportés de Ritsos

Jours pierreux paroles pierreuses

 

 

Le corps brinqueballe

Le long de la rue

Qui mène à la rivière

Mais où remonter ensuite

Le vent sans doute s’en occupe

C’est l’aventure du matin

De ce corps qui pense encore

Mais par éclats par phosphènes

Comme si le dedans avait chu

Au plus profond des membres

Peut-être les mots s’accrochent-ils

A la peau comme la laine

Des troupeaux aux fils de fer

Le silence fait sa boucle

Et il est faux de le penser

Le silence des mots est tapi

Dans les mots en eux-mêmes

Et on cherche à le traquer

Toute une vie durant

Le crayon dans la main

Ce silence dans la rivière.

 

 

Et la rivière du corps

Celle qu’on ne voit plus

Elle coule limpide

Ouverte elle ramasse

Les autres eaux mortes

Ou vives y compris le bain

De l’enfance le liquide

De l’entre-deux du désir

Longtemps l’anecdote a pris

Le pouvoir l’épaisseur

Du ressassement mais ceux

Jetés dans la barque portée

Par le courant ne sont plus

Que linges diaphanes

Ne portent plus que masques

Et non les visages

Barrés d’un sourire

Qui faisaient du souvenir

Une sorte de totem joyeux

Avant que le temps du déluge

Renonce à annoncer l’origine

 

 

L’herbe de Saint-Jean

Se hérisse dans l’âtre

Non ce sont celles

Qui m’ont vu naître

Je vois un petit pied

Si harmonieux hors du bal

Je vois une poitrine

Aux mamelons retroussés

Luttant contre la terre

Je vois une croupe ronde

Tendue par la jupe de velours

Quand elle passe sur le pont

De la rivière qui s’enfuit

Je vois ces dents blanches

Qui segmentent les rires

Dans le grelot du collier

Tout s’efface d’un coup d’aile

Surgie de l’ombre

Ne demeure en moi

Qu’une tache blanchie

Par la cendre grise du matin

 

 

Il y a aussi les maisons

Que l’on visite où l’on vit

D’où les persiennes fermées

Laissent surgir les odeurs

Si rarement retrouvées

Celles des livres des confitures

Des lessives à grande eau

Ou la chaleur du salon

Quand ronfle la salamandre

Les recoins emplis de poussière

Que les mains viennent caresser

En autant de déserts

Sous le plafond si haut

Que le vide aspire

Ou les grands murs

Penchant de côté

Des jardins d’où dépassent

Les branches de l’ombre

Dans le chaos immobile

Des villages de pierre

Ardoisière aux toits bleus

 

 

Devant le porche du vent

De la maison suspendue

La forme incertaine

N’offre que peu de prise

On peut l’identifier

A sa chaleur à son sourire

Elle s’effacera avec le jour 

C’est probable mais il faut

Attendre le mouvement

Vif qui la ramène

Vers le faîte de l’arbre

Pour une ultime ronde

Le plus beau geste de l’air

S’affirme quand il perd

Le chemin qui la repousse

Vers les images vides

Muettes drapées du vague

Linceul des retrouvailles

Impossibles ou abandonnées

Dans la hotte défaite

Aux hameçons rouillés

 

 

A l’embouchure quand

Les navires accostent

Nous sommes assis fumant

Sur le quai des balises

Elles sont entassées

Corrodées par les vagues

Dévorées par les coquilles

Amers déchus rêves taris

Des voyages et des îles

C’est ainsi que se disposent

Des traces de ta présence

Passée dépassée par le trépas

C’est ainsi que le vide

Ne rejoint ni le néant

Ni l’absence ni l’éternel

Les rimes rassurent le poète

Comme le canal entrave

Les marées d’un linge d’écume

L’embouchure s’évase révèle

Les rochers les épaves les noyés

Elle jette le poète aux scories

 

 

Les nuages ceux qui flottent

Dans les poèmes aimés

Se retrouvent aujourd’hui

Accrochés aux monts aux aulnes

Et nourrissent un songe

Bienveillant posé sur le monde

Le vent les pousse le temps

Se fracture sous nos yeux

Entre le surgissement et la paresse

Du signe découragé qu’adressent

Les anciennes amours

Les taches de lumière

Rehaussent l’image

Des sourires espiègles

Il n’y a plus de combat

Avec l’ange plus d’ardeur

Plus de rage seul l’instant

Déposé dans l’abandon

Peut faire jaillir le sens

Dans le départ immobile

 

 

Et le son des timbales

Et des conques et des tambours

Quand le cortège avance

Unanime collé au vide

De la croyance insensée

Des prébendiers souriants

Dans leurs linges blancs

Et le genou écorché

Déposé sur la pierre

Et les pleurs suscités

Par les paroles vides

Et ce regard perdu

Que l’on ne retrouve plus

Que dans les étapes

Incertaines des déserts

Et les ébranlements des monts

Erodés par la pluie par le vent

Arrachés à la terre par pics

Bêches racloirs ongles affamés

Et la brume du matin

Qui ronge le corps de son encens

 

 

Le silence des vasières

Est à peine traversé

Des flatulences des humeurs

Je marche avec peine

M’enfonce peu à peu

Et ces mouvements

Impriment dans le ciel

Les flammes vertes d’astres

Foudroyés les remugles épars

De bêtes qui se décomposent

Oh mes cris tendus vers le ciel

Cette boue m’aspire me retient

Oh ma douleur d’être ce rien

Ce bout de vie qui se débat

Cette languette d’ombre

Que le matin révèle

Au plus près de la peau

Au plus près des lambeaux

Que l’on voit danser

Aux faîtes des arbres

Pourtant si loin du ciel

.....................................................

 

 

Le bruit du galop

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019

 

Du même auteur :

La brûlure (21/02/2015)

Ce monde est un désert (07/03/2020)

Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)

Le bruit du galop (II) (01/09/2021)

l’Arbre des flots (07/03/2022)

Le rire de Zakchaios (01/09/2022)

Petits secrets (2) (02/09/2023)

Georges Perros (1-7) (01/07/2024)

 

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