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Le bar à poèmes
1 juillet 2025

Hervé Carn (1949 -) : Georges Perros La vie est partout. Eloge (8-14)

 

 

Georges Perros


La vie est partout


Eloge

 

8


Quand les autres convives étaient partis


At home ou pour leurs tâches


Nous marchions tous les deux


Devant le bureau de recrutement


De la Légion pour son palmier


Puis plus loin celui de la Marine


Alors les mers indociles ne tenaient


Guère devant le bar du Steir


Ou parfois au pied du Frugy


Chez Michou où son corps las


Se fondait dans un coin de la pièce


Sombre encombrée des fumées


Devant une pinte de Guinness


Pour évoquer Joyce qu’il aimait


Plus que Beckett appréciant


Surtout sa destinée hésitante


Attachée à mesurer le moindre espace


Qui se faufile entre la mort et la vie


Nous traînions chez les libraires


Pour moquer les étals analogues


A des bocaux de bonbons de couleurs


Chez les bouquinistes il exigeait


Au prix d’une belle respiration


Dans la poussière des rebuts


Une place de choix près de la porte


Pour que ses feuillets s’envolent

 

9


Mais que nous disions-nous ensemble


Lors de ces moments de complicité


Nous dessinions le silence pourrais-je


Dire si ce mot n’est pas ici étranger


A ces curieuses tensions de deux pensées


Mises à l’unisson par un geste un mot


Il fallait alors que la banalité


Souveraine du quotidien entraîne


Subitement la fécondation de cet instant


Oui Blanchot s’amuse avec le silence


Est-ce un lien avec la constipation


Ou au bain froid de la langue allemande


Qui lui fait célébrer en majuscule


Le moindre trait de la vie des hommes


Et Bataille lisez-le c’est le meilleur


Pour un jeune homme qui peut saisir


Combien le corps est dépensant


Même s’il ne croit guère aux excès


Etalés qui n’ont pour lui qu’un rôle


Celui de galvaniser la langue


Lui donner l’énergie perdue


Peu à peu en deuil de François Villon


Je vous montre l’exemplaire original


D’Extraits du corps que vous aimez


Cet auteur vous le rencontrerez


Le livre est dédicacé à Georges Poulot

 

10

 

Beaucoup de rituels dans ces sorties


La balade vers tous les lieux


Qu’il chérissait un déjeuner


Sur le pouce arrosé de vin rouge


Dans un Routier ou une gargote


Puis le retour vers Douarnenez


Une station cité Richepin


Du thé servi Georges au piano


Ou allumant le poste toujours


Arrimé à France Musique Tania


S heureuse avec lui la cigarette


Au bec beaux yeux bleus chevelure


Blonde en banane fluette rejointe


Par les enfants touchés par l’arrivée


Non de l’inconnu bientôt trop connu


Mais par celle de leur père sortant


De ses poches revues et friandises


Puis nous gagnions le port


Buvions un verre avant de gravir


Les marches branlantes du galetas


Aux murs recouverts de cartons


Temple des livres des cahiers


Des carnets des reliques chères


De ses admirés Valéry Mallarmé


Tchekhov de ses amis dont Vilar


Et de son frère Gérard Philippe.

 

11

 

C’était le moment des confidences


Des marches rêvées avec Canetti


Des sonates à Kreutzer des silences


Radieux quand il bourrait sa pipe


Avant que la note en formation


Dégage ses graisses par la parole


Et les lectures anciennes retrouvaient


Celles du jour dans la confrontation


Joyeuse de la friction mentale


Le pas de joie sans effusion


La connaissance sans effraction


Aucun conflit avec les autres sinon


Avec soi-même au plus profond


C’est ce dont je me souviens


L’intensité de ce livre ouvert


A la dispute légère ou cruelle


Avec les résistances de l’intime


Pour atteindre plus de clarté


Belle leçon partagée in vivo


Le livre a une vie dans le corps


Et non dans la distance du geste


De l’érudit qui tend le bras


Pour le saisir il le pénètre


Son corps est celui du verbe


Sa chair se fait pression seul outil


Pour aérer l’obscur de l’expérience

 

12

 

Ou il prenait un livre dans une pile


Comme pour éprouver les équilibres


Il le frottait le mettait à l’essai


De sa diction après avoir souri


Si sa musique clochait


Dans les chaînes d’échos


Portées par sa voix de métal


Voix d’oracle ou de camelot


Après tout c’est la même chose


Quand les hommes sont à l’écoute


Pour profiter d’une belle affaire


Ou s’il l’avait souvent relu


Il se penchait sur lui gourmand


De retrouver une foule d’extraits


Improbables et surprenants


Pas forcément ceux que j’attendais


Etonne de ces choix déroutants


Kierkegaard était empli d’humour


Au milieu de ses sentences Valéry


Sentait le stupre et la fornication


Klossowski bâtissait des châteaux forts


Pour se protéger (mal) du démon


Et Montaigne le cousin de province 

   
Et La Bruyère ou Chamfort


Il leur serrait la pince ou la plume


Arrachée à leur chapeau

 

13


Dans une amitié si constante


Entre un jeune homme et un écrivain


Qui a roulé ses bosses dans théâtres


Vie parisienne NRF et ailleurs


Il faut des fils plus ou moins ténus


Pour que ça fonctionne a peu près bien


Celui du paysage évidemment ou plus juste


Du pays avec ses arbres le vent


La pluie le fleuve et l’océan 


Il aimait ainsi chez Henri Thomas


Le petit orphelin au seau à charbon


Coincé dans les vallées vosgiennes


Comme chez Dhôtel son expérience


Intime des berges des dévers de la rivière


Ou le bocage normand du Canisy


De Jean Follain juge au tribunal


De Charleville logé à l’Arquebuse


A deux pas de chez Bobette


Comme il humait les pages des livres


Il partageait les senteurs mentales


Des auteurs qui les avaient fait vivre


Je ne lui ai apporté que mon écoute


Dont il appréciait autant l’intensité


Que la distraction devant le vit passage


Des nuées des ciels de traîne


Ou les impacts du clapot sur la grève

 

14

 

Il m’a permis aussi de m’éloigner


De moi-même et de vivre l’espace


D’une découverte du monde


Qui ne serait pas asservie


Aux intérêts du petit Moi


Qui fondent les grands destins


Cela dit avec un sourire


Que je lui emprunte à défaut


De l’avoir construit moi-même


Mais dans une belle mesure


M’a aidé à tenir la distance


Les mépris flatteries attaques


Même si ma nature brutale


Semblait réagir au quart de tour


Car dans le fond ce n’était 


Rien d’autre qu’une respiration


De défense contre les agressions


Violentes ou plus graves innocentes


Ainsi dans un boui-boui de campagne


Nous étions casés près de la sente


Où les croupes des serveuses


Se tortillaient pour livrer les plats


Un type rougeaud jeta en passant


Entre nos deux verres la cendre


De sa cigarette Laissez-tomber


Un geste idiot n’est pas un mot


.................................

 

 

 

Georges Perros. La vie est partout


Eloge


Editions La part Commune, 35000 Rennes
 


Du même auteur : 


La brûlure (21/02/2015)


Ce monde est un désert (07/03/2020)


Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)


Le bruit du galop (II) (01/09/2021)

 


l’Arbre des flots (07/03/2022)


Le rire de Zakchaios (01/09/2022)


Petits secrets (1) (07/03/2023)


Petits secrets (2) (02/09/2023)


Georges Perros (1-7) (01/07/2024)
 

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