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Le bar à poèmes
2 septembre 2023

Hervé Carn (1949 -) : Petits secrets (2)

64edc4fbcb6c4f523c092f38[1]Crédits : GERARD WOEHL

 

Petits secrets

 

..............................................

Une voix de rogomme

Troue l’horizon brouillé

Secoue le dormeur

Dans les tuyaux

De son corps jeté

Dans les abysses de la nuit

Que diable cette engeance

Comment murmurer ce nom

Dont les effets percent

L’oubli d’une lueur pâle

Comment saisir le sens

De ce qui se relève

Dans la violence

De tous ces écrits

Qui frappent le crâne

Comme les grêlons

Parasites de la pluie

Comment tenir à distance

Les secousses les emportements

Qui rompent les murailles

Pourtant impalpables

 

Le paletot accroché à la patère

Bat lentement poussé

Par les gestes hostiles

Qui s’arrêtent suspendus

Par la crainte du temps

Par la submersion

Des images des lueurs

Jaunes visibles à l’horizon

Que trace dans la nuit

Le don de tes yeux

Postés en ramures

Il bat lentement sous le lest

De ses trésors de ses restes

Que rien n’a pu ou su

Effacer plier froisser

La note d’hôtel de Bad Ilsch

La carte de visite d’un poète

Ou prétendu tel la réclame

Pour un spa qui bouillonne

Le sous-bock de la pension

Willecke mais aucun mot doux

 

Après les cris de la nuit

Qui ont fait du corps

Au réveil une étuve

Dont les gouttes de sueur

Rendent tristes les images

De toi de moi au moment

Où je saisis l’angle cocasse

Qui fera basculer d’un coup

Le rictus vers le rire que le jour

Oblige à porter vers le ciel

Pour être le digne amant

Du soleil qui pointe

Soyons avant tout du côté

De ceux qui agissent

Même si la certitude

De n’être plus qu’en sursis

Rend la partie si aride

Soyons dignes de nos pères

Et de nos mères et de leurs rêves

Levés dans leurs gestes

A la manière des blés de l’été

 

Comment ne pas taire

Le petit plaisir d’être

Enfin nus pieds sur le sol

Avec l’assise des blocs

De pierre que le dos repousse

N’est-ce pas ainsi que l’être

Qui travaille nos secrets

Dans les veines du corps

Pourrait abandonner un instant

Son emprise ses doigts acerbes

Son langage qui se fane

Sous les lueurs de la lune

Marcher les mains tendues

Au bord du précipice

Jusqu’au bout de la rivière

Lancer le corps rompu

Sans aucune éclaboussure

Et tracer l’orbe parfait

De la caresse du chœur

Des femmes rassemblées

Devant le drap du noyé

 

Malgré le monde déployé

Dans les vues les marches

Sur les monts dans les villes

Dénudées vides de sourires

De chants de tendresse

De futurs souvenirs aux bouches

Abandonnées sous le vent

Aux douceurs de la brise

Malgré les gestes durs

Des violences des tyrans

Qui se cachent derrière

Les symboles anciens privés

Du sens qui les faisait tenir

Debout un peu quand même 

Tu disais cherche plus loin

Plus haut et même si

Rien tu ne trouves ici

Un sillon s’ouvrira d’un coup

Dans la mer son écart

Séduira les assassins les pleutres

Sous la mesure de ton rire

 

Le vent pousse les vagues

Hors la vision céleste

Et tu gravis le chemin

Pour croire encore un peu

A la sûreté de ton âme

Aux gestes légers

Qui animent tes désirs

Qui souvent les arrêtent

Quand tu laisses choir

A tes pieds nus les outils

Les rudes instruments

Du grattage des écorces

Des écailles des bois

Croisés en armures

Sur les sols arides

Tu choisis pourtant

La sente la plus dure

Elle te mènera aux nuées

Tu le crois un instant

Mais plus sûrement

Te livrera à toi-même

 

Parfois se lève devant le mur

Une ombre surgie du sol

Ou encore une forme bleue

Qui monte en ligne directe

De la table au plafond

L’énigme du lieu a encore

Du chemin à parcourir

Nous sommes désarmés

Devant le phénomène physique

Que la parole civile impose

Pour masquer le mystère

Certains lieux sont chargés

Ainsi des cendres des souffles

Des mots enfoncés dans la paille

Ou tracés sur les journaux

Jaunis par les râles des mourants

Dont les joies intimes rieuses

Ne cessent de magnifier

Les pierres les ardoises

Le livres odorants les couteaux

De cuisine les mégots des cigares,

 

Comme cette aube où tout

S’apaise dans le miel du ciel

Et sur la terre de brume

C’est un voile de silence

Qui s’abat sur les monts

Le relief emporte le regard

Le hisse sur les arbres

Et raidit l’origine comme

On saisit l’importun

Par les poils des aisselles

L’air devient de glace

Opère sur les confins

Du corps de ses membres

Il saisit les nuances

De l’esprit les méandres

Des rêves qu’il rejette

Ensuite dans le torrent

De la langue expirée

Par la bouche au plus loin

Des contraintes dans les ruines

Des trépas évités pour ce jour

 

Dans l’image flottante

D’un roc perdu sur la mer

Et de l’émoi du corps

Enfoncé dans la vase

Le flux emporte les algues

Les bois morts les carapaces

Des crabes vers la grève

Où les passants marchent

Indifférents à cette perte

De soi dans la terreur

Couché meurtri par les flots

Le cou enfin se redresse

Pour chercher le souffle

Dernier avant l’au-revoir

A la lumière des vivants

Il faut surtout lutter

Contre la trouble envie

D’être croûte de sel

Ou mieux un gisant saisi

Dans le règne minéral

Et cela jusqu’à perpète

 

Dans le mal le toit

Est l’inaccessible

Il se devine moqueur

Avec le roulis de la fièvre

De la joie d’être seul

Avec soi-même seul

Avec ce toit sur le ciel

Charge d’une promesse

Bientôt tarie effacée

Tu es aussi bien

Larron que bourreau

Le mauvais toujours

Tout le corps exsude

De honte de rage

De la mince impuissance

De ceux que la mort

Descend au tombeau

Portés par la surprise

Celle qui mène au chemin

Des béatitudes par les ornières

Creusées dans la pierre

 

Le poème se détachera

Il conviendrait qu’il soit

Mûr fruit de l’arbre

Penché cloué par le vent

A la terre de vase

Ce n’est pas demain

La veille qu’il créera

Ce petit reste de toi

Que l’on portera en fanal

Face à la mitraille

Ou en un sac de jute

Empli de détritus

Amassés le jour même

Repoussés dans le coin

Obscur du jardin

Tu regardes passer

Ces hampes de noms

De figures de signes

Qui te séduisent en vain

Tant leur dit s’épuise

Devant ton doux sourire

 

 

Le bruit du galop

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019

 

Du même auteur :

La brûlure (21/02/2015)

Ce monde est un désert (07/03/2020)

Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)

Le bruit du galop (II) (01/09/2021)

l’Arbre des flots (07/03/2022)

Le rire de Zakchaios (01/09/2022)

Petits secrets (1) (07/03/2023)

 

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