Hervé Carn (1949 -) : Petits secrets (2)
Petits secrets
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Une voix de rogomme
Troue l’horizon brouillé
Secoue le dormeur
Dans les tuyaux
De son corps jeté
Dans les abysses de la nuit
Que diable cette engeance
Comment murmurer ce nom
Dont les effets percent
L’oubli d’une lueur pâle
Comment saisir le sens
De ce qui se relève
Dans la violence
De tous ces écrits
Qui frappent le crâne
Comme les grêlons
Parasites de la pluie
Comment tenir à distance
Les secousses les emportements
Qui rompent les murailles
Pourtant impalpables
Le paletot accroché à la patère
Bat lentement poussé
Par les gestes hostiles
Qui s’arrêtent suspendus
Par la crainte du temps
Par la submersion
Des images des lueurs
Jaunes visibles à l’horizon
Que trace dans la nuit
Le don de tes yeux
Postés en ramures
Il bat lentement sous le lest
De ses trésors de ses restes
Que rien n’a pu ou su
Effacer plier froisser
La note d’hôtel de Bad Ilsch
La carte de visite d’un poète
Ou prétendu tel la réclame
Pour un spa qui bouillonne
Le sous-bock de la pension
Willecke mais aucun mot doux
Après les cris de la nuit
Qui ont fait du corps
Au réveil une étuve
Dont les gouttes de sueur
Rendent tristes les images
De toi de moi au moment
Où je saisis l’angle cocasse
Qui fera basculer d’un coup
Le rictus vers le rire que le jour
Oblige à porter vers le ciel
Pour être le digne amant
Du soleil qui pointe
Soyons avant tout du côté
De ceux qui agissent
Même si la certitude
De n’être plus qu’en sursis
Rend la partie si aride
Soyons dignes de nos pères
Et de nos mères et de leurs rêves
Levés dans leurs gestes
A la manière des blés de l’été
Comment ne pas taire
Le petit plaisir d’être
Enfin nus pieds sur le sol
Avec l’assise des blocs
De pierre que le dos repousse
N’est-ce pas ainsi que l’être
Qui travaille nos secrets
Dans les veines du corps
Pourrait abandonner un instant
Son emprise ses doigts acerbes
Son langage qui se fane
Sous les lueurs de la lune
Marcher les mains tendues
Au bord du précipice
Jusqu’au bout de la rivière
Lancer le corps rompu
Sans aucune éclaboussure
Et tracer l’orbe parfait
De la caresse du chœur
Des femmes rassemblées
Devant le drap du noyé
Malgré le monde déployé
Dans les vues les marches
Sur les monts dans les villes
Dénudées vides de sourires
De chants de tendresse
De futurs souvenirs aux bouches
Abandonnées sous le vent
Aux douceurs de la brise
Malgré les gestes durs
Des violences des tyrans
Qui se cachent derrière
Les symboles anciens privés
Du sens qui les faisait tenir
Debout un peu quand même
Tu disais cherche plus loin
Plus haut et même si
Rien tu ne trouves ici
Un sillon s’ouvrira d’un coup
Dans la mer son écart
Séduira les assassins les pleutres
Sous la mesure de ton rire
Le vent pousse les vagues
Hors la vision céleste
Et tu gravis le chemin
Pour croire encore un peu
A la sûreté de ton âme
Aux gestes légers
Qui animent tes désirs
Qui souvent les arrêtent
Quand tu laisses choir
A tes pieds nus les outils
Les rudes instruments
Du grattage des écorces
Des écailles des bois
Croisés en armures
Sur les sols arides
Tu choisis pourtant
La sente la plus dure
Elle te mènera aux nuées
Tu le crois un instant
Mais plus sûrement
Te livrera à toi-même
Parfois se lève devant le mur
Une ombre surgie du sol
Ou encore une forme bleue
Qui monte en ligne directe
De la table au plafond
L’énigme du lieu a encore
Du chemin à parcourir
Nous sommes désarmés
Devant le phénomène physique
Que la parole civile impose
Pour masquer le mystère
Certains lieux sont chargés
Ainsi des cendres des souffles
Des mots enfoncés dans la paille
Ou tracés sur les journaux
Jaunis par les râles des mourants
Dont les joies intimes rieuses
Ne cessent de magnifier
Les pierres les ardoises
Le livres odorants les couteaux
De cuisine les mégots des cigares,
Comme cette aube où tout
S’apaise dans le miel du ciel
Et sur la terre de brume
C’est un voile de silence
Qui s’abat sur les monts
Le relief emporte le regard
Le hisse sur les arbres
Et raidit l’origine comme
On saisit l’importun
Par les poils des aisselles
L’air devient de glace
Opère sur les confins
Du corps de ses membres
Il saisit les nuances
De l’esprit les méandres
Des rêves qu’il rejette
Ensuite dans le torrent
De la langue expirée
Par la bouche au plus loin
Des contraintes dans les ruines
Des trépas évités pour ce jour
Dans l’image flottante
D’un roc perdu sur la mer
Et de l’émoi du corps
Enfoncé dans la vase
Le flux emporte les algues
Les bois morts les carapaces
Des crabes vers la grève
Où les passants marchent
Indifférents à cette perte
De soi dans la terreur
Couché meurtri par les flots
Le cou enfin se redresse
Pour chercher le souffle
Dernier avant l’au-revoir
A la lumière des vivants
Il faut surtout lutter
Contre la trouble envie
D’être croûte de sel
Ou mieux un gisant saisi
Dans le règne minéral
Et cela jusqu’à perpète
Dans le mal le toit
Est l’inaccessible
Il se devine moqueur
Avec le roulis de la fièvre
De la joie d’être seul
Avec soi-même seul
Avec ce toit sur le ciel
Charge d’une promesse
Bientôt tarie effacée
Tu es aussi bien
Larron que bourreau
Le mauvais toujours
Tout le corps exsude
De honte de rage
De la mince impuissance
De ceux que la mort
Descend au tombeau
Portés par la surprise
Celle qui mène au chemin
Des béatitudes par les ornières
Creusées dans la pierre
Le poème se détachera
Il conviendrait qu’il soit
Mûr fruit de l’arbre
Penché cloué par le vent
A la terre de vase
Ce n’est pas demain
La veille qu’il créera
Ce petit reste de toi
Que l’on portera en fanal
Face à la mitraille
Ou en un sac de jute
Empli de détritus
Amassés le jour même
Repoussés dans le coin
Obscur du jardin
Tu regardes passer
Ces hampes de noms
De figures de signes
Qui te séduisent en vain
Tant leur dit s’épuise
Devant ton doux sourire
Le bruit du galop
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019
Du même auteur :
La brûlure (21/02/2015)
Ce monde est un désert (07/03/2020)
Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)
Le bruit du galop (II) (01/09/2021)
l’Arbre des flots (07/03/2022)
Le rire de Zakchaios (01/09/2022)
Petits secrets (1) (07/03/2023)