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Le bar à poèmes
1 juillet 2024

Hervé Carn (1949 -) : Georges Perros La vie est partout. Eloge (1-7)

 

Crédits : Gérard Woehl

Georges Perros

La vie est partout

Eloge

 

1

Non ce ne fut pas une vie ordinaire

Celle dont je vis les échos dès le premier jour

Sur la cale désencombrée des touristes

Colorés de shorts bretelles casquettes

Les pêcheurs jeunes ou très vieux

Marchaient lentement au grand vent

Car en ces temps-là les bateaux

Malamocks et autres sardiniers

Faisaient du port une belle machine

Si l’été les femmes fatales belles

Grosses ou maigres venaient trouer

L’air de leurs minois charmants

Leurs chevelures gisaient roulées en filets

Comme les ors surgis des abysses

Et dans le café bondé l’homme à la pipe

Souriait d’un sourire mélancolique

Et amer en même temps il leva le front

D’un geste agacé remisa son regard

Il l’abîma dans les ombres du comptoir

En un instant ce regard revint se planter

Sur la porte c’était l’heure il était là

L’homme attendu le sourire revint

D’un coup d’une beauté foudroyante

L’homme attendu avança touché

Par cet accueil intime dans la cohue

Anxieux d’avoir été tant espéré

2

Etais-je conscient que ce moment

Allait être un tel bouleversement

Une nouvelle appétence pour la vie

Alors que le grand reflux du temps

Avait sourdement détruit les forces

Du jeune homme posté devant lui

Pas de présentation la présence suffit

Pas de médailles de bibelots de galons

On est habité ou non c’est selon

Dit-il en guise d’excuse prenant

La main ou plutôt le bras

Pour aller marcher sur le quai

Avant de gravir la sente du resto

Qui sent la sardine et le vin en pichet

Georges Jojo oui M’sieur Georges

Litanie des Georges qui poussent à le voir

Comme celui qui terrassa le dragon

La table est mise un ami est là

Qui ne parle quasiment pas il regarde

Goguenard le nouvel arrivant déjà

Pense-t-il sur un siècle éjectable

Je tiendrai plus tard le rôle de cet ami

Ce n’est pas un jury d’examen non

Il faut un témoin pas plus pas moins

Du choix arbitraire qui frôle l’évidence

Quand la parole enfin s’élève et élève

3

Le moment des préliminaires passé

Ici lettres coups de fil dérobades

De moi plus que de lui car sentant

Que cette relation était un engagement

A le suivre dans d’autres contrées

Pas forcément nouvelles ni inconnues

De le voir explorer des vies oubliées

Fantomatiques dans les cafés

Les rues nocturnes les grèves sordides

Que son œil se forçait à aimer

Les magnifiant sous le soleil

Que venaient brouiller les crachins

(L’écume des fleurs disait-il)

Comme les grosses pièces de pluie

(l’écot des cieux disait-il)

Il aimait aussi les fonds des ports

Où les chalutiers de bois pâlis

Et tranquilles pourrissaient

Comme les vieux de l’hospice

Soumis au même tabac gris

Fumeurs de pipe pouffait-il

Unissez-vous laissant filer

Ensuite un sourire neuf

Devant le désespoir cet hôte

De passage qui force à garder

La tête haute malgré le néant

4

Peut-être était-ce aussi pour lui un signal

Surgi de son passé dont j’étais le porteur

Quand il jouait dans la rue Libergier

Avec Prosdocimi son aîné de l’école

Que je connaissais entraîneur des amateurs

Du stade de Reims que j’allais voir

Jouer dans la tribune Meano

A Montchenot l’arbitre braillait l’ivrogne

Toujours accroché aux poteaux d’angle

(Ô cher Michaux) pour ne pas choir

Dans la corbeille il était heureux aussi

De marcher dans les allées à la mi-temps

Des matchs de la Stella Maris le club

Douarneniste qui porte un nom de bateau

Il aimait les héros de sa jeunesse

Du théâtre de la poésie du foot

Tel Puskas le major galopant

Petit homme replet aux jambes magiques

Il égrenait ces noms les miens les siens

Dans une langue connue des seuls initiés

Dukla Sparta Kafka cet athlète complet

Ce lutteur terrible entré au plus dangereux

De la bêtise à la manière d’un rongeur

Dans le fromage pour affronter le mal

Au plus près de la catastrophe finale

Au prix des plus furieux corps à corps

 

5

Qu’il était doux de rouler à moto

Ou dans ma Dyane (chasseresse ?)

Quand les nuages se tassaient

Dans le fond de la baie en ouate grise

Nous allions de préférence à Sainte-Anne

Et me revenait cette forte impression

Enfantine quand une seule fois

Je fus conduit au pardon avec procession

Dansante rythmée par les tambours

J’y ai souvent pensé en Afrique

Avec nos amis de Bekuy entraînant

Nos corps dans les échos du balafon

Ou nous partions plus loin à Pentrez

J’y descendais de Saint-Nic pour le bain

Nous les enfants de la colonie

Nous portions le pain et la compote

En viatiques comme les saints

Ou plus loin encore à Trez-Bellec

La belle plage de Telgruc où je pêchais

Le bouquet sous la férule de mon oncle

Je ne lui disais rien de mon plaisir

A revisiter avec lui ces grandes plages

De mon enfance d’ailleurs pour lui

Seul l’instant semblait compter

Inscription à vif d’une preuve

D’existence scellée dans la pierre

 

6

Non cher Jean Roudaut je ne l’ai pas côtoyé

A Brest je le voyais quant à moi à Quimper

Pour le déjeuner parfois au Bretagne

D’où avec Jacques Guéguen nous avions

De canettes de bière bombardé Chirac

Le plus souvent rue des Gentilshommes

Dans une pizzeria médiocre il faut le dire

Et son rosé trop clair qui creusait de trous

L’estomac et donc la littérature

Il me pardonnait Gracq l’aimant en sourdine

Moquant son côté sous-off préférant

Les rêveries maritimes du probe Queffélec

Lui aussi amateur de vin rouge pour qui

Georges était la réincarnation du Magnifique

Les convives les plus fréquents étaient

Le Gallois Patrick Williams Quiniou

Le conservateur du musée vieil érudit

A la belle chevelure blanche Jeff mon ami

Jean-Yves Boudéhen et Jacques La Farfouille

Ce charmant garçon qui nous fit membres

D’une société dont nous ignorions tout

Il m’ouvrit la porte sur la belle peinture

Filiger notamment qu’il adorait et le monde

Interlope des bars de nuit que le moraliste

Jean-François Coatmeur a si bien dépeints

Dans son roman policier La Bavure

 

7

Il y avait aussi un groupe de jeunes gens

Réunis par la poésie je retiens les noms

De Sévy Valner de Cabilic de Le Normand

De Bosser qui se travestit en Georges

De longs mois après sa mort d’autres encore

Que ma mauvaise mémoire réduit

A des visages à des silhouettes d’inconnus

Mais les noms importent peu maintenant

Que les années ont passé et recouvrent

Presque tout ce qui en faisait le sel

D’un linceul parfois pudique

Le plus souvent sauvage avec l’intrusion

Des ambitieux des derniers jours

Sous le battage des médiatiques

Qui peuplent les déserts et cela

Jusqu’aux hommages ridicules

Donnés par les pompiers aux Eclopés

Dans un étrange manège des Assis

Nouveaux gardiens des ressources

Sémantiques à coups de clairon

Curieuse époque que celle de vos cent ans

Ou lire n’est plus qu’un plaisir d’ouvroir

Où les livres ne touchent plus

Que les étudiants dans leurs soupentes

Et les vieux messieurs chancelants

Que nous sommes devenus

.........................................................

 

Georges Perros. La vie est partout. Eloge

Editions La part Commune, 35000 Rennes

Du même auteur :

La brûlure (21/02/2015)

Ce monde est un désert (07/03/2020)

Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)

Le bruit du galop (II) (01/09/2021)

l’Arbre des flots (07/03/2022)

Le rire de Zakchaios (01/09/2022)

Petits secrets (1) (07/03/2023)

Petits secrets (2) (02/09/2023)

 

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