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Le bar à poèmes
18 février 2023

Denis Rigal (1938 - 2021) : La joie peut-être

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La joie peut-être

 

Cioran. - « Pourquoi écrivez-vous ? »

Beckett. – « Je ne sais pas ; la joie peut-être »

(rapporté par Clément Rosset dans Faits divers)

 

 

Conseils à Margot

 

Regarde, écoute, tâte. Eprouve la matière heureuse,

l’infini des corps, les voix, les pierres, la lumière lourde

et sourde des pierres, la cornaline sang-figé, l’eau volubile,

la grâce des choses vives.

 

Puis songe en silence, longtemps, jusqu’à heurter l’os

muet du monde. Parle, alors ; essaie ; place un mot, comme

on dit ; espère qu’il résiste au vent.

 

Rivières

 

parce qu’il faut quand même à l’homme

un peu de banale beauté

parmi l’herbe du temps,

la parole infaillible de l’eau,

l’éclat de l’eau

qui coule nue,

qui scintille et n’en finit pas.

*

on ne survit pas très longtemps

loin des rivières :

sont lieux mouvants de la naissance

et de l’oubli de la naissance,

te portent dans le temps inassouvi.

*

on y prend source,

on y boit,

on y regarde fuir son vrai visage

qu’une main fraîche efface.

*

des ondes tremblées

(et avec elles ton visage)

au bord de l’être

qui incessamment renouvellent

leur serment de fluidité,

qui te font grâce.

*

sera la mort légère,

tintera en doubles croches

impaires,

loin dans le haut ;

ou bien quelques pas sur les pointes

et puis un  bref jeté battu

qui fut la vie,

la belle vie.

*

la courbe lisse de l’eau

avant la chute.

 

juste avant.

 

la même courbe,

la même eau,

suspendue.

*

le temps jailli

tout droit,

limpide sève source.

le temps instant.

 

après vient la longue phrase,

le flot vers l’horizon,

les plaines, les plages ;

 

à se perdre.

*

une eau frémit

entre les longs cheveux des renoncules ;

 

on se souvient d’une lumière

qui vibrait fraîche,

tout au début.

*

ainsi va le temps qui coule,

chute et cascade,

parle à vau l’eau

et pour finir

apporte sa mourante voix

à qui jamais ne rêva,

mais juge.

*

parfois oublie son cours,

se perd en noues et reculées,

détours où l’eau s’endort

entre les arbres pourrissants,

se couvre d’un voile grisâtre,

décante lentement sa vase,

 

se tait.

*

tu ruisselleras

dans le récit indéterminé

de l’eau,

semblable aux autres gouttes,

 

dans le vent,

semblable aux autres souffles,

 

dans la murmurante amitié du monde.

 

essaie de le croire.

 

La joie peut-être

Editions Le Bruit du temps, 50560 Gouville -sur- mer, 2018

Du même auteur :

« Une fois, / Les écluses s’ouvrirent… » (16/03/2015)

Des fins premières (25/08/2016)

« rouillés sont les vaisseaux friables… » (25/08/2017)

Nord Nord-Ouest par Ouest (25/08/2018)

Pour tenir lieu (25/08/2019)

Problématique (25/08/2020)

Fondus au noir (25/08/2021)

Divers exil (18/02/2022)

Combaneyre (25/08/2022)

Denis Rigal : Nord (18/02/2024)

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