Eugenio Montale (1896 -1981) : « Côtes de Ligurie... » / « Riviere... »
Côtes de Ligurie
Des estocs de glaïeuls
Penchés sur la falaise
A pic sur la mer en délire,
Ou deux camélias pâles
Dans les jardins déserts,
Un eucalyptus blond, baigné dans la lumière
Striée de vols déments
Et de bruissements :
Rien que cela suffit, et me voilà captif
D’invisibles fils qui se lovent et me piègent,
Moi, papillon dans une toile d’araignée
D’oliviers frémissants, de tournesols voyeurs.
Côtes de Ligurie
Qu’il est doux aujourd’hui de se laisser piéger
Pour peu que l’on consente à revivre les jeux
De son enfance, jeux qu’on ne peut oublier.
Je me souviens du philtre amer que vous offrîtes,
Ô rivages de mon pays
A cet adolescent éperdu que j’étais ;
Dans les matins clairs ciel et coteaux se mêlaient,
Sur la grève un ressac énorme, un rythme égal
De frémissantes vies, un monde fiévreux
Et toute chose en soi semblant se consumer.
Oh, ballotés alors
Comme l’os de la seiche à la merci des flots !
Pouvoir s’évanouir peu à peu, devenir
Un galet que la mort polit, un arbre rugueux !
Fondre dans les couleurs d’un coucher de soleil !
Voir sa chair disparaître et renaître eau de source
Qui jaillisse, enivrée, dévorée de soleil...
Oui, c’était dans mes vœux,
Ô rivage de mon pays : voeux d’un enfant
D’autrefois, appuyé à la balustrade
Lépreuse, d’un enfant lentement se mourant
Avec un doux sourire.
Rivages de la mer, vos lumières glacées
Ont un puissant langage
Pour celui qui, le cœur déchiré, vous fuyait,
Ondes lamées que révèle une déchirure
De mouvantes ramures ;
Rochers noirs, éclaboussés d’écume et d’embruns...
Martinets vagabonds dont le vol monte en flèches...
Ah, je pouvais un jour,
Ô mon pays natal, regarder ta beauté
Et lui trouver un air vaguement funéraire,
Cadre à dorures pour l’agonie de tout être,
Je reviens aujourd’hui
Vers toi, pays natal,
Plus fort ou je me trompe, encor que mon cœur ait l’air
De fondre dans d’heureux souvenirs – et atroces.
Mon âme d’autrefois
Triste et toi, volonté nouvelle qui m’appelles,
Peut-être est-il temps de vous unir tous deux
Dans un havre de paix et de sagesse. Un jour,
Tu entendras encor l’invite de voix d’or,
De leurres audacieux,
Ô mon âme jamais plus écartelée. Songe :
Qu’il est beau de changer en hymne l’élégie !
Se refaire ; ne plus jamais faillir !
Oh, puissé-je,
A la semblance de ces branches
Squelettiques et nues hier, et aujourd’hui
Gorgées de sève et frissonnantes,
Demain sentir aussi parmi les parfums et les vents,
A notre tour, affluer nos rêves,
Et entendre fuser, en quête d’une issue,
Eperdument des voix !
Ô rivages ligures !
Oh, puissions-nous
Au soleil qui vous nimbe
Refleurir !
Traduit de l’italien par Sicca Venier
In, « Poètes d’Italie, Anthologie des origines à nos jours »
Editions de la Table Ronde, 1999
Du même auteur :
« A midi faire halte …/ « Merrigiare pallido… » (10/05/2016)
La bourrasque / La bufera (14/08/2019)
Bateaux sur la Marne / Bache sulla Marna (14/08/2020)
Correspondances (08/02/2021)
« elle traversait pieds nus... » (13/08/2021)
« Ne t’abrite pas à l’ombre... » / « Non rifugiarti nell'ombra... » 08/02/2022)
Midi / « Gloria del disteso mezzogiorno... » (14/08/2022)
« Ne nous demande pas le verbe... » / « Non chiederci la parola... » (13/08/2023)
Quatre poèmes / Quattro poesie (08/02/2024)
Sarcophage / Sarcofaghi (14/08/2024)
Elégie de Pico Farnese / Elegia di Pico Farnese 08/02/2025)
Riviere,
bastano pochi stocchi d'erbaspada
penduli da un ciglione
sul delirio del mare;
o due camelie pallide
nei giardini deserti,
e un eucalipto biondo che si tuffi
tra sfrusci e pazzi voli
nella luce;
ed ecco che in un attimo
invisibili fili a me si asserpano,
farfalla in una ragna
di fremiti d'olivi, di sguardi di girasoli.
Dolce cattività, oggi, riviere
di chi s'arrende per poco
come a rivivere un antico giuoco
non mai dimenticato.
Rammento l'acre filtro che porgeste
allo smarrito adolescente, o rive:
nelle chiare mattine si fondevano
dorsi di colli e ciclo; sulla rena
dei lidi era un risucchio ampio, un eguale
fremer di vite
una febbre del mondo; ed ogni cosa
in se stessa pareva consumarsi.
Oh allora sballottati
come l'osso di seppia dalle ondate
svanire a poco a poco;
diventare
un albero rugoso od una pietra
levigata dal mare; nei colori
fondersi dei tramonti; sparir carne
per spicciare sorgente ebbra di sole,
dal sole divorata...
Erano questi,
riviere, i voti del fanciullo antico
che accanto ad una rósa balaustrata
lentamente moriva sorridendo.
Quanto, marine, queste fredde luci
parlano a chi straziato vi fuggiva.
Lame d'acqua scoprentisi tra varchi
di labili ramure; rocce brune
tra spumeggi; frecciare di rondoni
vagabondi…
Ah, potevo
credervi un giorno, o terre,
bellezze funerarie, auree cornici
all'agonia d'ogni essere.
Oggi torno
a voi più forte, o è inganno, ben che il cuore
par sciogliersi in ricordi lieti - e atroci.
Triste anima passata
e tu volontà nuova che mi chiami,
tempo è forse d'unirvi
in un porto sereno di saggezza.
Ed un giorno sarà ancora l'invito
di voci d'oro, di lusinghe audaci,
anima mia non più divisa. Pensa:
cangiare in inno l'elegia; rifarsi;
non mancar più.
Potere
simili a questi rami
ieri scarniti e nudi ed oggi pieni
di fremiti e di linfe,
sentire
noi pur domani tra i profumi e i venti
un riaffluir di sogni, un urger folle
di voci verso un esito; e nel sole
che v'investe, riviere,
rifiorire!
Ossi di seppia
Gobetti Editore, Torino, 1925
Poème précédent en italien :
Dino Campana:Guglielma et Manfreda au balcon (XIIIème siècle) /Guglielmina e Manfreda al balcone (Secolo XIII) (01/02/2023)
Poème suivant en italien :
Salvatore Quasimodo : Les retours / I Ritorni (15/04/2023)