Paol Keineg (1944 -) : Boudica (21-40)
Paol Keineg. Photo Camille Manfredi
Boudica
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Toutatis, Thanatos, les divinités elliptiques, biodégradables. L’aileron des
requins sur la mer, entre Ouessant et l’île des Pommes.
L’extinction de quelques tribus calamiteuses ne saurait émouvoir Rome.
Suetonius peut ravager l’île verte, la plaine des genêts en fleur. La Commune
peut crever.
Ici, dans les milk-bars et les théâtres d’arrière-garde, on cause. On sort les
fourrures. L’aube fibreuse sur le pays vacant.
C’est l’été : aphrodites et décapotables dans le bocage sans issue. On attend
missionnaires et pickpockets.
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Dans l’oppidum, les filles en T-shirts et en shorts font du vélo. Les
légionnaires cuités torchent les verres.
Les oiseaux aux plumes optiques, le rose des villas sur la terre appropriée.
Rêverie dans les fougères du parc. Orgies sous de vastes portiques.
Le garde-manger gardé, l’avant-garde au milieu des maraudeurs. Dans les
rouleaux, la nourriture des textes potassés, Le droit du plus fort.
Là-bas, sans pitié, la reine des culs-terreux règne sur le bois mort. Les
aboyeurs mobilisés l’entourent d’un brouillard familial.
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La robe agrafée et le cou couleur de terre cuite. Sur le cours passent les
officiers de marine. Cent collines coupées de cent rades.
Elle passe en sommeil dans le soir qui descend. C’est l’heure. Les
vidangeurs aux mains rouges s’attaquent aux pianos locataires.
L’arrière-banc des tierns et des machtierns (4) dans le brouillard des
prairies. Harangues vineuses. Métaphysique de la croûte terrestre.
Des champs clôturés, le bouche à oreille, les rires. On procède par
ambassades et rassemblements. Les enfants de l’excrément ont les joues
brillantes.
(4) Les tierns et les machtierns : anciens chefs des tribus bretonnes armoricaines.
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Périple du saumon et raccourci du cours d’eau. A la ceinture, la corne ;
dans le carquois, la boussole. Tranquilles, sur la fosse des lacs et dans l’écho
de la résine.
La colline sous le poil, l’ondulation du mirage. Le menez en ronde-bosse
qui sent bon. La côte à crans dans les grondements des moteurs.
Calvaires osseux, paysans dépaysés. Lieux de contact, histoires qui finissent
dans le sang. Le ronron des colons et des comptables.
On bricole dans la fougère et l’ajonc. La mort, mon œil.
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Nomenclature des rites, mains-d’œuvre des sites aux mains tendres. Bouches
maigres, âmes ratissées. Ligotés dans le sac et nourris de refus.
La mort dans les airs ; la chanteuse qui chante avec les dents. Le va-et-vient
des seaux et des cruches. Le visage de tous les gens.
Les écarts enveloppés de vert, le sang de la terre qui boit. Recueil des
silhouettes aux fontaines. Grand-mères montées sur les camions.
O clans têtus, peuples à la courte paille. Les archives sonores diffusés sur
la cour des miracles. L’amour rebelle et les affaires courantes.
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Vitrail d’un ancien hiver, aux bergers déplumés, aux apôtres tout feu tout
flamme. Le messie s’affaisse au dernier tableau. On déterre la hache du rouge.
Par ce hublot il pleut des poignards et des clous. La plaie est béante, le cri
muet. De la charrue au chariot, le temps d’une ascension.
Roue de fourmis rouges, soleil de vacherie, on tire au clair la chute et le viol.
Dehors, dans leurs autos, les étrangers passent. Le gadget étincelle. La sueur
et les larmes ne font plus mal à personne.
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Ce qui est d’ici et révèle le temps passé à faire. Le visage aux lèvres épaisses,
la face vécue qu’on épouse.
Ici, dans le jardin d’hiver, le bercail des oiseaux, la guerrière aux orangers. Le
ciel avivé par la pluie brillante.
Exactitude du chant. Mais elle tombe dans les trous de mémoire : le désespoir
de cause, les mythes libérateurs.
Que ce soit de Tenochtilàn ou de Camulodunum., l’aperçu du tout à travers
tessons et fragments. La hache dans le champ qu’on laboure, l’urne aux cendres
chaudes.
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Vues aériennes, sondages, excavations : la torque d’or, la tête de bronze
tombée dans les broussailles. La plèbe et les cohortes.
L’argile brûlée, les manufactures d’armes, les intérieurs en technicolor. Dans
l’étang et le lac, les pièces de Néron, les dépouilles. Les exploits géographiques.
Le contre-jour de cette femme dure, qui livre sa dernière bataille. Un souffle
chaud sur la nuque. L’amour panique.
Rectos de vert, versos de sang. Les couteaux sont secs. Dans la barque
funéraire, la saison noire, le peuple travesti.
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Tyrannisée la femme dure avec tant de nuits éclairant le froid jusqu’à
l’ongle. Avec énormément de rosiers, de draps blancs, le champ des étoiles.
Les mêmes vérités fondues dans les mêmes mensonges. Dans la maison
éclipsée, veille derrière la vitre, la vieille qui ne saurait tarder.
Yeux clos, désirable. Les biais de la lumière sur la terre meuble. Elle
chantonne exemplaire, avec dans la voix des appels de marteau.
Les noms au hasard des blessures, les noms criés et oubliés. Le sang des mains
ouvertes. L’enchevêtrement des sources.
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Le jour dans la nuit, la nuit dans le jour. Derrière les fenêtres, les pots de
géranium, les bouteilles vides (vin d’Algérie, qualité supérieure).
Le silence, et dans les villages laborieux les cinquante heures par semaine et
cetera. En chaire les caciques causent, et les laquais, les pères fumigènes.
O le mensonge des albums de photos. L’estampe s’estompe, les images font
voile. Rien de ce qui fut ne sera plus, dit-on, avec le sentiment d’une victoire
possible.
Sur le gazon des chênes, Taliesin et Virgile marchent sans rien dire. Le vent
sec frappe les machines à écrire.
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Touchant aux pierres blanches de la clairière. Comme une petite enfance bien
propre dans du papier d’emballage. On fait pousser choux-fleurs, artichauts.
Le jardin aux mauvaises herbes, aux batraciens qui couaquent. Dans un coin
l’évènement anatomique. Insectes coprophages.
A ce degré de conscience, la terre brûle ses vaisseaux. La tribu triture son
matériau.
Poussière de lettres, barrages. Iona et Môn. Le livre grand ouvert sur la toile
cirée.
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Voici le ciel, les genêts, les 4 murs et les 36 positions. Des fleurs de mai à la
passion visionnaire. La terre pour rire, le fleuve d’Héraclite.
Boudica, disais-tu, qui fit sang et eau. Il nous fallait un pays où claquer des
dents. Un désordre de saisons, une barbarie transparente.
Le soleil dans le pré illumine les pommiers. La bulle de savon, l’oiseau, le
bout de l’oreille. L’homme embarrassé dans la raison de son âge.
Horizon du rossignol, la colline dans l’intervalle. Il n’est pas pire lumière.
Qui chante et ouvre en cette région centrale ?
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Histoire de la paix après l’orgasme. Le tropique absolu. Les rameurs contre
les caps ; la mer d’huile des hémorragies.
Le soleil dans l’eau, les trois sphères de l’existence. Les mots croisés. Ce qui
ne finit pas de naître, ce qui ne finit pas.
Tout ce qui, dedans, ne cesse d’être dehors. Tout ce qui, mort, ne cesse
d’activer. Le soleil se levant sur un cimetière de voitures.
Pneus, essieux, carburateurs. L’hiver ivre-mort. Le bonheur de n’être pas
éternels.
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La nuit de la fiction, la friction des étoiles. Cœur d’artichaut, ventre de
triomphe. O la voie lactée, fermeture-éclair et chemin de Saint-Jacques.
Sous l’étoile polaire, les danses politisées de la jeunesse coloniale. Bon
pied, bon œil. Les graffiti et le chiendent.
Enceinte des pénéplaines : l’ajonc, la bruyère, le brouillard des bouches.
Musiques d’occasion. Les vieux chefs canonisés tremblent dans les bois.
On lit l’avenir dans le baromètre des bardits furieux. Boudica à qui mieux
mieux, Anjela, Anjela.
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Après les rochers décapités, la nudité, le mutisme. Viviers, rivières. Le
paysage aplati, le rivage définitif.
Centurions polychromes, rafales de mitraillettes. Allégories de plâtre. Pays
de source, casqué d’un 14 juillet obligatoire.
La mer sans histoire, avec chemins creux et noyés dans la passe. Tout de go
vers les sauriens des îles, maigres et froids.
Dans les pas de ses pas, et l’eau jaune de ses pas, le gravier, les tessons de
bouteille. Les légendes d’un peuple assiégé.
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Un siècle d’orties. Un recul de ronces. La fable des barques vers les îles.
Dans les enclos paroissiaux, suppliants et crucifiés. Le chuchotis de celui-là
penché sur les voleurs. Les quolibets.
La barque cherche l’île. Le chevalier noir, gardien des fontaines, s’enveloppe
d’oiseaux. Qui d’autre sur l’autre rive ?
Boudica, en sa niche, dans un pays de vente publique. Dégrafée. Portée
pour la cérémonie. Au bord des lèvres.
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Les mouches et leurs avatars, en vol concentriques. Sang noir sur champ noir,
et le soleil splendide.
Au large du cap où paissent les moutons, la ligne des cargos. L’odeur du café
dans les cuisines. Le bruit des cafetières qu’on frappe.
Inventions de l’esprit, inventions de l’espoir. Qui, dans la garde du goulet et du
raz, s’acharne à battre le tambour ?
Boudica terreuse, terrée. Couchée sur le côté dans les fougères de la houille,
genoux contre le ventre.
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Convoquer le paysage pour la mise à jour et la leçon de choses. Un sourire
ambigu opère dans l’exil ; ruissellement de l’eau douce sur les miroirs.
Les villages d’herbe verte. Il y a dans les branches des offrandes mortes. Les
vieilles chanteuses tombent dans l’argile.
Si c’était à refaire, dit un paysan. Si c’était à refaire, dit un ouvrier. L’ortie
et la menthe contre les huttes. Le vent attaque partout.
C’est pour elle que je m’étonne, pour elle que je m’évanouis. La maîtresse
calcinée, si vrai qu’on la dirait calculée.
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Fin d’hiver : de l’atome au météore, la fonte, le gris, la fuite des fils et des
poteaux.
En cette terre centrale, où un peuple armé nidifie. Le vent dans les orties, le
visage aveuglé de la mort. Marteler pour modeler.
La veilleuse à bout de forces. Dans le milieu du monde, où les rêveurs à tout
hasard.
Guy, houx, if, reines et valets. Le caillou, l’étoile filante. Les mots à deux ou
trois tranchants.
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Du rouge au violet, les brûlots météorologiques. Mille affaires, mille
ascensions : l’enthousiasme des mouches dans le chiendent, le rayonnement
des abeilles.
Peuple naufragé sur sa vieille terre. De quel nom vivre le centre du monde.
En quel débat crier les questions toutes neuves ?
Dans la chambre noire, le filet de la lumière recomposée, les vergues du
paysage savant. La marche des paysans dans la poussière.
Le pêcheur et son filet, le serpent sous le talon. Le soleil du verrier comme un
pneu Michelin, et les moutons qui sautent les clôtures du plomb. Mort de la reine,
renversée.
Février-Mars 1977
Boudica, Taliesin et autres poèmes.
Edition Maurice Nadeau, 1980
Du même auteur :
Hommes liges des talus en transe (09/01/2014)
Kerzaniel / Kerouzac’h / Penn ar menez (09/01/2015)
« L’auge a poussé dans la muraille… » (09/01/2016)
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Le poème du pays qui a faim (09/01/2019)
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