Nuno Júdice (1949 - 2024) : Poésie / Poesia
Poésie
Cet arbre m’est entré par les chairs, il a plongé en moi des racines
de feu ; il m’a dévoré l’âme avec ses rameaux d’ardente
inspiration ; les pages blanches de son désir ont rongé jusqu’à
la moindre parcelle de mon être, donnant à chaque nouveau printemps
la fleur entre toutes inespérée, aux pétales mélodieux,
et l’éblouissante image éclose dans le regard
qui cherche le cœur de la corolle. C’est un arbre toujours vert,
il n’a pas besoin d’eau ; il garde feuilles et fleurs,
malgré les automnes et les hivers ; il partage le jour
d’avec la nuit, lorsque, cherchant son ombre, sa lumière
m’inonde. Ce pourrait être un arbre de plein vent ; mais il
pousse aussi bien dans les chambres les plus sombres, dans les pièces
où stagnent la fumée et l’haleine de ceux qui vivent là,
dans les caves où le jour n’entre pas. C’est en vain qu’on taille
ses racines ; en vain qu’on cherche à étouffer son feu : l’humus
qui le nourrit naît de l’être ; la sève qui coule en lui
court dans les veines. Cependant, il ne pousse pas tout seul ; et c’est en toi qu’il
trouve son plus fertile terreau, au fort de l’hiver,
ainsi que l’air qui l’environne, tandis qu’en ton absence il étouffe,
c’est en toi qu’il puise l’eau que ses fleurs boivent, quand vient l’été brûlant. Toi,
aux doigts de lierre, aux lèvres de pollen,
avec cette mousse de douceur dont tes paroles recouvrent
son tronc. Arbre partagé, refuge des oiseaux de l’amour,
je te laisse étendre sur nous tes branches,
avec leur chant de nuage et leur écho sylvestre.
Traduit du portugais par Max de Carvalho
In, « La poésie du Portugal des origines au XXème siècle »
Editions Chandeigne, 2021
Du même auteur :
Une ode terrestre / Uma ode terrestre (11/12/2020)
Le poids du monde (11/12/2021)
Eglogue blanche / Egloga branca (11/12/2023)
Poesia
Esta árvore entrou no meu corpo, com as suas raízes
de fogo; devorou-me a alma, com os ramos acesos da
inspiração; corroeu cada recanto do meu ser, com as
folhas brancas da sua ânsia; e em cada primavera deu
a flor mais inesperada, com a música das suas pétalas,
e o brilho da imagem que se abre quando o olhar
procura o centro da corola. É uma árvore que não seca,
nem precisa de água; que não perde folhas e flores,
apesar de invernos e outonos; que partilha o dia
com a noite, quando procuro a sua sombra, e é a sua luz
que me enche. Podia ser uma árvore de ar livre; mas
também cresce nos quartos mais obscuros, nas salas
onde se acumula o fumo e a respiração de quem vive,
nas caves onde a luz não entra. Cortam-lhe em vão as
raízes; em vão tentam apagar o seu fogo: nasce do
ser o húmus que a alimenta; corre nas veias a seiva
que a percorre. Mas não cresce sozinha; e é em ti que
encontra a sua terra mais fértil, no frio do inverno,
o ar que a envolve, quando a tua ausência a asfixia,
a água que as suas flores bebem, na aridez do estio. Tu,
com os teus dedos de hera, os teus lábios de pólen,
e o doce musgo de palavras com que envolves o seu
tronco. Árvore partilhada, abrigando as aves do amor,
deixo que os seus ramos se estendam sobre nós,
com o seu canto de nuvem, e o seu eco de floresta.
Poème précédent en portugais :
Sophia de Mello Breyner Andresen : A Hydra évoquant Fernando Pessoa / Em Hydra, evocando Fernando Pessoa (30/10/2022)
Poème suivant en portugais :
Gastão Cruz :Visages dans les wagons / Caras nas carruagens (26/12/2022)