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Le bar à poèmes
5 octobre 2022

Cesare Pavese (1908 – 1950) : Manie de solitude / Mania di solitudine

laura-oreni-cesare-pavese[1]Huile sur toile de Laura Oréni, 2011

 

Manie de solitude

 

Je dîne légèrement à la claire fenêtre.

Il fait déjà noir dans la chambre et l’on voit dans le ciel.

Dehors, les rues tranquilles mènent en pleine campagne

au bout de peu de temps. Je mange et je regarde le ciel

- qui sait combien de femmes sont en train de manger

à cette heure – et mon corps est tranquille ;

le travail étourdit chaque femme et mon corps.

 

Dehors, après le dîner, les étoiles viendront et toucheront la terre,

sur la plaine sans fin. Les étoiles sont vivantes

mais elles ne valent pas ces cerises que je mange solitaire.

Je regarde le ciel, mais je sais qu’entre les toits de rouille

brillent déjà les lumières et qu’au-dessous, il y a des bruits.

Une longue gorgée et mon corps savoure la vie

des plantes et des fleurs et se sent détaché de tout.

Un peu de silence suffit et les choses s’immobilisent

à leur place réelle, pareilles à mon corps immobile.

 

Chaque chose se détache devant mes sens

qui l’acceptent sans trouble : bruissement de silence.

Chaque chose, je peux la savoir dans le noir,

comme je sais que le sang coule dans mes veines.

La plaine, c’est de l’eau qui s’écoule sans trêve dans l’herbe,

un dîner de toutes choses. Chaque plante, chaque pierre,

vivent sans bouger. J’écoute mes aliments qui nourrissent mes veines

de chaque chose vivant sur cette plaine.

 

                                                   Peu importe la nuit :

le rectangle de ciel me parle en susurrant

de tous les grondements et une étoile menue

se débat dans le vide, loin de la nourriture

des maisons, étrangère. Elle ne suffit pas,

il lui faut trop de compagnes. Ici dans le noir, solitaire,

mon corps est tranquille et se sent souverain.

 

 

Traduit de l’italien par Gilles de Van

In, Cesare Pavese : « Travailler fatigue. La mort viendra

et elle aura tes yeux ».

Editions Gallimard, 1969

Du même auteur :

Paysage (18/04/2016)

La terre et la mort (18/04/2017)

 La mort viendra et elle aura tes yeux / Verrà la morte e avrà i tuoi occhi (18/04/2018)

Paysage VIII / Paesaggio VIII (18/04/2019)

Femmes passionnées / Donne appassionate (18/04/2020)

Eté – Eté 1 / Estate – Estate I (18/04/2021)

L’Etoile du matin / Lo steddazzu (05/10/2021)

Dépaysement / Gente Spaesata (18/04/2022)

Le paradis sur les toits / Il paradiso sui tetti (18/04/2023)

Marc en septembre / Grappa a settembre (18/04/2024)

Mania di solitudine


Mangio un poco di cena seduto alla chiara finestra.

Nella stanza è già buio e si guarda il cielo.

A uscir fuori, le vie tranquille conducono

dopo un poco, in aperta campagna.

Mangio e guardo nel cielo - chi sa quante donne

stan mangiando a quest'ora - il mio corpo è tranquillo;

il lavoro stordisce il mio corpo e ogni donna.

 

Fuori, dopo la cena, verranno le stelle a toccare

sulla larga pianura la terra. Le stelle son vive,

ma non valgono queste ciliege, che mangio da solo.

Vedo il cielo, ma so che fra i tetti di ruggine

qualche lume già brilla e che, sotto, si fanno rumori.

Un gran sorso e il mio corpo assapora la vita

delle piante e dei fiumi e si sente staccato da tutto.

Basta un po' di silenzio e ogni cosa si ferma

nel suo luogo reale, così com'è fermo il mio corpo.

 

Ogni cosa è isolata davanti ai miei sensi,

che l'accettano senza scomporsi: un brusío di silenzio.

Ogni cosa, nel buio, la posso sapere

come so che il mio sangue trascorre le vene.

La pianura è un gran scorrere d'acque tra l'erbe,

una cena di tutte le cose. Ogni pianta e ogni sasso

vive immobile. Ascolto i miei cibi nutrirmi le vene

di ogni cosa che vive su questa pianura.

 

Non importa la notte. Il quadrato di cielo

mi susurra di tutti i fragori, e una stella minuta

si dibatte nel vuoto, lontano dai cibi,

dalle case, diversa. Non basta a se stessa,

e ha bisogno di troppe compagne. Qui al buio, da solo,

il mio corpo è tranquillo e si sente padrone

Poème précédent en italien :

Compiuta Donzella : « En la saison où tout est en fleur... » / « A la stagion che ‘l mondo foglia ... » (23/08/2022)

Poème suivant en italien :

Salvatore Quasimodo : La pie noire rit sur les orangers / Ride la gazza, nera sugli aranci. (06/10/2022)

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