Hervé Carn (1949 -) : Le rire de Zakchaios
Le rire de Zakchaios
ZAKCHAIOS
Tu montes dans le figuier
Sous le vent sous les cris
La peau retrousse la mort
Elle la balance vers le ciel
Qui du bleu a pris le gris
De l’œil de la femme
Que tu veux voir plus près
Que tu veux sentir étreindre
Et que ce geste soit pur
Deux bras collés l’un
Contre l’autre deux bras
Dressés le long des flancs
Comme une offrande
Vers celle dont les cheveux
Ondulent sous le peigne d’os
Que l’esclave dénudée
Fait descendre le long du torse
En caressant les épaules
Le dos où les osselets creusent
Des abîmes ouverts à l’œil
Seul face aux promesses
Que tu es drôle mon gars
Les fruits du figuier
Urticants soudent ta peur
Dessinent ta joie douloureuse
Humectent ta tunique
Des sucs vénéneux que toi
Tu aimerais dissoudre
Les corps en morceaux
Tomberaient sur le sol
Les pas dansants
Des équipages les fouleraient
Dans les brames des bêtes
Et toi juché maintenant
Sur la plus haute branche
Tu tendras encore plus
Ton cou vers la muraille
Percé de la meurtrière
D’où coule la vie
*
Les figues chutent de l’arbre
La foule les ramasse
Bombarde ton torse
On te jette des insultes
Tu es le monstre révélé
Mais tu t’en moques bien
Hissé sur l’arbre
Ton épée au côté
Et des amis en armes
Prêts à te défendre
Tu t’en moques bien
De ces giclures de ces impacts
Ton œil seul agit
Sous le ciel bleu de gris
Qui découpe la meurtrière
Pour laisser voir la chevelure
Jetée sur les épaules
Par les gestes amoureux
De l’esclave dénudée
Dont le ventre caresse
Le genou de sa maîtresse
Que faire de mieux
Que dire de mieux
Que ce silence tendu
Menacé du brouhaha
De la foule plus sourd
Plus amer encore
Devant l’attente
De l’évènement dont toi
Tu ignores à peu près tout
Seul dans cette révélation
De la lumière si tranchante
Si féroce si touchante
Elle te possède tu trembles
De joie d’ivresse
Et peut-être par l’angoisse
Qu’un nuage un frelon
Un serpent versé du toit
Effacent le geste pur.
*
Et la foule t’abandonne
Des estafettes circulent
Le cortège est annoncé
Depuis si longtemps
Qu’on devine au loin
Un nuage de poussière
Qu’on perçoit des secousses
Des rumeurs des pleurs
Des rires des hoquets
Plutôt des approbations
Des pleurs de mères
On sent aussi dans l’air
Des parfums de musc
Des aigreurs de lait caillé
La molle senteur du pain
Qui vient de cuire
Mais toi collé à l’arbre
Rendu arbre toi-même
Tu es l’oiseau posé
Devant la meurtrière
L’esclave dénudée
Porte dans la main
Un pot de parfum
Puis elle oint la femme
Abandonnée à ses rêves
Elles se sont allongées
Rendues invisibles
Heureux sont les oiseaux
Penses-tu dans ton œil
D’oiseau ouvert sur elles
Nul tambour ne te rappelle
Tu es oiseau tu es chez elle
Le cortège est arrivé
Devant la foule
L’Homme la bénit
Il te voit dans l’arbre
Il ramasse une figue
Il t’appelle te sourit
Tu ne veux rien entendre
CLEOPHAS
Qu’il est dur le chemin
Du retour vers soi
Vers le peu de soi
Qu’est soi-même
Tu marches accablé
Tête basse pensée usée
Ravinée par le chagrin
Ton valet porte ton arme
Que tu lui as laissée
Ou plutôt jetée
De dépit découragé
Dans la ruelle
Qui te conduisait
Au pied du mont interdit
Par pieux par lances
Tu traines les pieds
Les rues sont vides
On a dit que l’astre
S’était voilé de gris
Tu ne le sais pas
Si enfoui en toi-même
Non tu ne le sais pas
Tu ne dis rien
Et ton valet trottine
De ses pas menus
Que tu détestais
Et qui te semblent ce jour
Une sorte de moisissure
De silence entouré
Pour envieillir d’un coup
Les promesses et les rires
Que l’on voyait danser
En flammèche sur les crânes
Des acolytes des disciples
Des amis des femmes de joie
Le chemin est long
Tu sais que tu dois fuir
Le plus loin possible
Car l’Homme n’est plus
*
Assis sur un pouf
Tu as placé tes gens
Sur la terrasse dans le jardin
A l’entrée de la ville
On t’a servi du vin
Ton valet le coupe
De l’eau fraîche du puits
Une jeune femme
S’active et se baisse
Révélant le bas du dos
Rougi par les premiers soleils
Tu ferais un signe
Elle viendrait vers toi
Une autre tendrait l’étoffe
Du sofa chercherait les fruits
Les gommes les encens
Peut-être un timbalier sortirait-il
De l’ombre et comme si souvent
Tu basculerais dans la béatitude
La main de ton ami se pose sur toi
Il est venu silencieux partager
Tes pleurs tes larmes tombent
Sur le sol elles se mêlent à ta sueur
Tu te sens plus abandonné encore
Dans votre double solitude
Depuis qu’il t’a pris la main
Trahi par les tiens par le vent
Levé dans la poussière
Tu oublies tes mots ton sang
Quitte tes veines dans le froid
De la blancheur de l’abîme
Que faire d’autre qu’attendre
Que le chagrin reflue ou se tarisse
Comme les flaques dans le désert
Tu es las ton ami pleure à son tour
Soudain ton valet accourt
Avez-vous seigneur oublié
L’arrivée d’un parent d’un client
Un pauvre homme est là
*
L’homme se tient debout
Il s’est approché de vous
Ton ami sèche ses larmes
Que nous veut cet étranger
Il est maintenant l’heure
Du repas du soir
Comment ne pas l’inviter
Tu frappes dans les mains
La table est dressée
L’homme roule dans sa main
Les boules de farine
Qu’il humecte d’un peu d’eau
Le poignet ensanglanté
Te ramène au monde cruel
Aux femmes dévastées
A la lance de Longus
Au fiel qui brûle les lèvres
Tu le regardes cet homme
Tu secoues ton ami
Abîmé dans un songe
Vos yeux s’ouvrent
Lui vous regarde avec amour
Mais aussi avec l’ironie
Bienveillante posée
Sur des enfants qui jouent
Tu ignores bien sûr
Que tu viens d’ouvrir
Une scène interminable
Qu’occuperont la Quête
De l’absolu la chasse
Inspirée des mots du ciel
Et les visions du dormeur
C’est bien l’Homme devant vous
Tu ne peux le veux le refuser
Il est venu des morts
Te prier de dire aux hommes
Il ôte son vêtement
Il vous bénit et disparaît
Il s’efface dans le soleil
MARIA DE MAGDALINI
Que douces sont ses mains
Quand elles suivent l’échine
Qu’elles s’attardent sur la cuisse
Et caressent la toison
Que ce petit homme est drôle
Perché dans le figuier
Sa courte épée au côté
Pendant comme un sexe mort
Je sais qui est ce misérable
Cet agent ce financier habile
Ce traître que j’aimerais
Voir mort à l’instant
Mais il est si drôle
Que je l’épargne et mieux
M’offre à son regard brûlant
Il ne sait bien sûr
Pour qui je me prépare
A-t-il entendu la rumeur
Qui accompagne l’Homme
Depuis le port depuis la brume
Du matin posé sur les champs
D’où les enfants jaillissent
Et courent vers Lui
Ne le sait-il pas ou veut-il
Retarder le moment où l’Homme
Captera dans sa lumière
Les gestes les lauriers les laudes
Les farandoles des servantes
Qui auront abandonné d’un coup
Leurs maîtresses changées en statues
Je me laisse choir dans l’ombre
Les parfums et les élixirs
Ruissellent sur ma joue
Je suis prête Ô Seigneur
A descendre dans la foule
Je sais que tu me verras
Dans ma beauté nonpareille
La servante noue autour de mon crâne
L’anneau de paille de la déesse
*
Paresseuse elle se réveille
L’Homme n’est plus
Elle a tant pleuré hier
Que même le tonnerre
Le vent le ciel gris
Ne l’ont pas alarmée
Elle pleurait l’Homme
Elle revoyait sa beauté
La bonté de son sourire
Quand il la remarquait
Cachée du premier rang
Sa chair humide émue
De désir d’abandon
Elle a honte de son rêve
Pourquoi le petit homme
Juché dans le figuier
Est-il venu la rejoindre
Alors que jamais plus
Le jeu mené par la servante
N’a traversé sa mémoire
Depuis ce jour glorieux
Où Il est arrivé
Parmi la foule les bras
Levés la parole douce
Porté soudain par des bergers
Par des marchands et même
Par des prêtres exaltés
Qui avaient caché leur châle
De prière sous le manteau
Qu’est-il devenu ce jour
Le petit homme curieux
On a dit que l’Homme
S’était invité chez lui
Il aurait crû d’un mètre
Comme le figuier avec lui
Il aurait donné sa fortune
La perte de l’Homme
Est surtout celle des légendes
Pleure encore belle amie
*
Viens vers moi ma belle
Viens soigner embellir
Ta vieille maîtresse
Qui a vieilli d’un coup
Un fil gris dans la toison
Répond au ciel de cendre
Sur le mont de l’autre jour
Caresse mon dos mes jambes
Frotte ma peau du crin
Rugueux jusqu’à faire rougir
Cette inutile enveloppe
D’un corps déboussolé
Attends-moi toujours
Retarde le doux moment
De l’habillage fais revivre
Ta maîtresse sous les fards
Il faut sortir il faut gravir
La sente attendre la caravane
Qui nous mène à la tour
Et la meurtrière ne sera plus
Qu’une fente de regrets
Je pleure de nouveau mon amie
Aide-moi à franchir
Cette flaque d’eau sale
Où flottent les molles figues
Une main sur l’épaule
Me tire doucement du cloaque
Elle me ramène vers le ciel
Soudain nimbé de lumière
Je suis aveugle entourée
D’oiseaux de plumeaux
Emportés par la brise
Mon corps frissonne
Des humeurs la traversent
Je Le vois dans la joie
Cet impossible retour
Point ne m’étonne
Il me presse contre Lui
Vivre devient l’infini
Le bruit du galop
Editions Folle Avoine, 35137 Bédée, 2019
Du même auteur :
La brûlure (21/02/2015)
Ce monde est un désert (07/03/2020)
Le bruit du galop. (I) (07/03/2021)
Le bruit du galop (II) (01/09/2021)
l’Arbre des flots (07/03/2022)
Petits secrets (1) (07/03/2023)
Petits secrets (2) (02/09/2023)
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