Mahmoud Darwich (1941 - 2008) / محمود د رويش : S’envolent les colombes
S’envolent les colombes
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
- Apprête la terre que je me repose
Car je t’aime jusqu’à la fatigue.
Ton matin est fruits pour les chansons,
Ce soir est d’or
Et nous sommes l’un à l’autre, à l’heure où l’ombre pénètre son ombre dans le
marbre
Et je me ressemble lorsque je suspends mon être à un cou qui n’étreint que les
nuages.
Tu es l’éther qui se dénude devant moi, larmes de raisin.
Tu es le commencement de la famille des vagues lorsqu’elles s’agrippent à la
terre ferme, lorsqu’elles migrent,
Et je t’aime et tu es le prélude de mon âme et l’épilogue.
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
- Mon aimé et moi, deux voix sur les mêmes lèvres.
J’appartiens à mon aimé, et mon aimé appartient à son étoile fugitive
Et nous entrons dans le rêve, mais il ralentit le pas pour nous échapper.
Lorsque mon aimé s’endort, je me lève pour protéger son rêve de ce qu’il pourrait voir
Et chasser les nuits passées avant notre rencontre.
Je choisis nos jours de mes mains
Et choisis pour moi la rose de notre table.
Dors, mon aimé,
Que les voix des mers s’élèvent jusqu’à mes genoux.
Dors, mon aimé,
Que je me pose en toi et délivre ton rêve d’une épine jalouse.
Dors,
Que les tresses de ma poésie soient sur toi, et la paix.
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
- J’ai vu avril sur la mer.
J’ai dit : Tu as oublié le suspens de tes mains,
Oublié les cantiques sur mes plaies.
Combien peux-tu naître dans mon songe
Et me mettre à mort,
Pour que je crise : Je t’aime.
Et que tu trouves le repos ?
Je t’appelle avant les mots.
Je m’envole avec ta hanche avant d’arriver chez toi.
Combien parviendras-tu à déposer les adresses de mon âme dans les becs de
ces colombes, à disparaître, tel l’horizon sur les pentes,
Pour que je sache que tu es Babel, Egypte et Shâm ?
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
- Où m’emportes-tu mon aimé, loin de mes parents,
De mes arbres, de mon petit lit et de mon ennui,
De mes miroirs, de ma lune, du coffre de mes jours, de mes nuits de veille,
De mes habits et de ma pudeur ?
Où m’emportes-tu mon aimé, où ?
Dans mon oreille, tu enflammes les steppes, tu me charges de deux vagues,
Tu brises deux côtes, tu me bois, me brûles, et
M’abandonnes sur le chemin du vent vers toi.
Pitié... Pitié...
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
- Ma hanche est une plaie ouverte, car je t’aime
Et je cours de douleur dans les nuits agrandies par la crainte de ce que
j’appréhende.
Viens souvent et absente-toi brièvement.
Viens brièvement et absente -toi souvent.
Viens et viens et viens. Aah d’un pas immobile.
Je t’aime car je te désire. Je t’aime car je te désire.
Et je prends une poignée de ce rayon encerclé par les abeilles et la rose furtive.
Je t’aime, malédiction des sentiments.
J’ai peur de toi pour mon cœur. J’ai peur que mon désir se réalise.
Je t’aime car je te désire.
Je t’aime, corps qui crée les souvenirs et les met à mort avant qu’ils ne
s’accomplissent.
Je t’aime car je te désire.
Je modèle mon âme à l’image des deux pieds, des deux édens.
J’écorche mes plaies avec les extrémités de ton silence...et la tempête
Et je meurs pour que les mots trônent dans tes mains.
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
- « L’eau me blesse », car je t’aime.
Les chemins de la mer me blessent,
Le papillon,
L’appel à la prière dans la lumière de tes poignets me blessent.
Mon aimé, je t’appelle à longueur de sommeil. J’ai peur de l’attention des
mots.
Peur qu’ils ne découvrent l’abeille en larmes entre mes cuisses.
L’ombre sous les réverbères me blesse car je t’aime,
Un oiseau dans le ciel lointain, le parfum du lilas me blessent,
Et le commencement de la mer
Et sa fin.
Aah si je pouvais ne pas t’aimer,
Ne pas aimer,
Qu’enfin guérisse ce marbre.
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
- Je t’aperçois et j’échappe au trépas. Ton corps est un hâvre.
Chargé de dix lys blancs, dix doigts, le ciel s’en va vers son bleu égaré.
Et je tiens cet éclat marbré, je tiens le parfum du lait caché
Dans deux prunes sur l’albâtre et j’adore celui qui décerne à la terre ferme et à
la mer
Un refuge sur la rive du sel et du miel premiers. Je boirai le suc de caroube de
ta nuit
Et je m’endormirai
Sur un blé qui brise le champ, brise jusqu’au cri qui se rouille.
Je te vois et j’échappe au trépas. Ton corps est un hâvre.
Comment la terre m’exile-t-elle dans la terre ?
Comment s’endort le songe ?
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
- Mon amour, j’ai peur du silence de tes mains.
Ecorche mon sang, que s’endorme la jument.
Mon amour, les femelles des oiseaux volent vers toi,
Prends-moi, souffle ou épouse.
Mon amour, je demeurerai là, que mûrissent dans tes mains les pistaches de
mes seins,
Que les gardes m’arrachent de tes pas.
Mon amour, je te pleurerai toi toi toi,
Car tu es le toit de mon ciel
Et mon corps est ta terre sur terre
Et ta demeure.
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
Sur le pont, j’ai vu l’Andalousie de l’amour et du sixième sens.
Sur une fleur desséchée,
Il lui rendit son cœur
Et dit : L’amour requiert de moi ce que je n’aime pas.
Il requiert que je l’aime.
La lune s’endormit
Sur une bague qui se brise
Et les colombes d’envolèrent.
Sur le pont, j’ai vu l’Andalousie de l’amour et du sixième sens.
Sur une larme désespérée,
Elle lui rendit son cœur
Et dit : L’amour requiert de moi ce que je n’aime pas.
Il requiert que je l’aime.
La lune s’endormit
Sur une bague qui se brise
Les colombes d’envolèrent.
Et la nuit noire se posa sur le pont et les amants.
S’envolent les colombes.
Et se posent...
1984
Traduit de l’arabe par Elias Sanbar,
in, Mahmoud Darwich : « Onze astres sur l’épilogue andalou. »
Editions Gallimard (Poésie), 2000
S’envolent les colombes
S’envolent les colombes
Se posent les colombes
Prépare -moi la terre que je me repose
Car je t’aime jusqu’à l’épuisement
Ton matin est un fruit offert aux chansons,
Er ce soir est d’or
Nous nous appartenons lorsque l’ombre rejoint son ombre dans le marbre
Je ressemble lorsque je me suspends
Au cou qui ne s’abandonne qu’aux étreintes des nuages.
Tu es l’air se dénudant devant moi comme les larmes du raisin.
L’origine de l’espèce des vagues quand elles s’agrippent au rivage
Et s’expatrient
Je t’aime, toi le commencement de mon âme, toi la fin
S’envolent les colombes.
Se posent les colombes.
Mon aimé et moi nous sommes deux voix en une seule lèvre
Moi j’appartiens à mon aimé, et mon aimé est à son étoile errante
Nous entrons dans le rêve mais il s’attarde pour se dérober à notre vue
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Traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi
In, Mahmoud Darwich : « Plus rares sont les roses »
Les éditions de Minuit, 1989
Du même auteur :
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