Joachim Du Bellay (1522 – 1560) : Trois poésies latines
Trois poésies latines
I
Au lecteur
Alors que j’ai couché dans mon lit chaste avec la muse
Gauloise et que je l’ai faite mère d’autant d’enfants,
Tu t’étonnes, lecteur, que je brûle pour une jeune
Romaine et que je viole ainsi les droits d’un ancien lit.
Si la Gauloise est l’épouse dont je suis le mari,
La Romaine est, j’avoue, la maîtresse que je courtise.
Et donc, diras-tu, l’adultère passe avant l’épouse ?
L’une est charmante, certes, mais l’autre plaît beaucoup plus.
II
À Gordes
À qui dois-je offrir ce nouveau petit recueil
Où je raconte l’enlèvement de ma belle,
Sinon à toi, Gordes, qui aimes ma maîtresse
Comme si tu la tenais pour ta propre sœur ?
Tout ce que chante ce nouveau petit recueil,
Gordes, que je te donne à lire maintenant,
Je veux que tu l’accueilles en sachant combien
J'aime ma belle à laquelle je tiens tout comme
A toi, plus qu’à la prunelle de mes deux yeux.
III
L’enlèvement de Faustine
Comme jadis Proserpine sur son char des Enfers
Courait à l’aventure, Enna, par tes ravins boisés,
Ainsi Faustine fut enlevée de nuit par un char
– ah ! folle de laisser la porte de sa chambre ouverte !
Enlevée, ô misère, enfermée dans un cachot noir,
Elle pleure aujourd’hui dans le lit d’un époux ingrat.
Lui désormais comme une brute fière du rapt d’une
Vierge, triomphe et se réjouit, hélas, de mon mal
Pendant qu’une mère malheureuse court affolée
Par la ville et passe ses nuits devant des portes qu’elle
Ignore, n’appelant que toi, Faustine, recherchant
Ta geôle, comme la bonne Cérès chercha sa fille.
Pour moi qu’un méchant Cupidon brûle d’un feu constant,
Je suis fou comme la Bacchante excitée par son Dieu.
Je n’hésiterais pas à briser des portes en bronze,
À faire sauter à la main, la nuit, de gros verrous,
À entrer armé : si le sort exigeait mon malheur,
Je porterais les chaînes de l’audacieux Pirithoüs.
Traduit du latin par Yves Leclair
In « Secousses, N°21, Mars 2017 »
Revue numérique, Editions Obsidiane, 89500 Bussy-le-Repos
Du même auteur :
« Heureux qui comme Ulysse… » (09/08/2014)
« Déjà la nuit en son parc… » (09/08/2015)
« Las où est maintenant ce mépris de Fortune ? » (09/08/2016)
« J'aime la liberté… » (09/08/2017)
D’un vanneur de blé aux vents (09/08/2018)
« Comme on passe en été... » (09/08/2019)
La complainte du désespéré (09/08/2020)
« Seigneur, je ne saurais regarder... » (09/08/2021)
« Comme le marinier... » (09/0/2023)
I
Ad lectorem
Cum tot natorum casto sociata cubili
Musa sit ex nobis Gallica facta parens,
Miraris Latiam sic nos ardere puellam,
Et veteris, Lector, rumpere jura tori.
Gallica Musa mihi est, fateor, quod nupta marito :
Pro Domina colitur Musa Latina mihi.
Sic igitur (dices) praefertur adultera nuptae ?
Illa quidem bella est, sed magis ista placet.
II
Ad Gordium
Cui donem potius novum libellum,
Quo raptum refero meae puellae,
Gordi, quam tibi, qui meam puellam
Sic amas, propriam ut putes sororem ?
Quare quicquid id est novi libelli,
Gordi, quod tibi nunc damus legendum,
Sic velim accipias, scias ut illam
A me plus oculis meis amatam,
Et te plus oculis meis amatum.
III
Raptus Faustinae
Qualis tartareo quondam Proserpina curru,
Dum vaga discurrit saltibus (Enna) tuis,
Nocturnis nuper rapta est Faustina quadrigis,
Dum tenet, ah demens, limina aperta domus.
Rapta est, me miserum, et caeco sub carcere clausa
Conjugis ingrato nunc gemit in thalamo.
Et nunc ille ferus tanquam de virgine rapta
Exultat, nostris heu fruiturque malis.
Interea infoelix mater lymphata per urbem
Currit, et ignotas excubat ante fores,
Te solam (Faustina) vocans, tua limina quaerens,
Quaesisse ut natam dicitur alma Ceres.
Ast ego, quem assiduo torret malus igne Cupido,
Deferor, ut noto concita Baccha Deo.
Nec dubitem oeratos liceat si rumpere postes
Duraque nocturna solvere claustra manu,
Irruere armatus : vel si hoc mala nostra feratsors,
Perferre audacis vincula Pirithoi.
Andini poematum
Frédéric Morel, Imprimeur, 1558
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