Walt Whitman (1819 – 1892) : Sur le bac de Brooklyn / Crossing Brookling ferry
Sur le bac de Brooklyn
1
Marée montante ! Je te regarde en face, à mes pieds !
Nuages à l’ouest, et toi soleil encore haut d’une demi-heure, je suis votre vis-
à-vis.
Foules humaines, femmes et hommes en costumes usuels, ce que vous m’êtes
étranges !
Centaines de centaines qui traversez les bacs au retour, m’êtes mille fois plus
étranges que vous ne l’imaginez,
Et vous qui dans cent ans irez d’une rive à l’autre, m’êtes davantage, m’êtes
plus au cœur de mes méditations que vous ne le croiriez.
2
Ce nourrissement impalpable m’alliant à toutes les choses à toutes les heures
du jour,
Cette fonction de cohérence, de jonction parfaite, malgré ma dislocation à moi
et aux autres, pourtant partie intégrante de la fonction,
Les identités symétriques du futur et du passé,
Les perles triomphales illuminant l’anneau de mes sensations, vue ou ouïe, les
plus infimes, au hasard des rues ou de la traversée du courant,
Le fleuve en sa ruée si impétueuse qui m’emporte avec lui jusque vers
l’horizon,
Mes successeurs encore à venir, les liens nous liant eux et moi,
Ma certitude en autrui, la vie, l’amour, la vue, la voix s’autrui.
D’autres à leur tour entreront aux portes du ferry pour traverser de rive en rive,
D’autres à leur tour verront la vitesse de la marée montante,
D’autres à leur tour suivront le trafic des voiliers au nord, à l’ouest de
Manhattan, remarqueront les collines de Brooklyn, à l’est et au sud.
D’autres à leur tour verront les îles aux largeurs diverses.
D’autres, ces autres qui traverseront dans cinquante ans sous un soleil d’une
demi-heure encore,
Qui traverseront dans cent ans ou x fois cent années, oui ils le verront,
Oui ils aimeront le coucher du soleil, l’irruption liquide de la marée ou la
fuite du jusant vers le grand large
3
Cela ne compte pas, le temps ni le lieu ! Les distances ne comptent pas.
Hommes et femmes de votre génération, ou de telle autre génération dans le
futur, je suis près de vous,
Comme vous, j’ai ressenti ce que vous ressentiez au spectacle du ciel et du
fleuve,
Comme vous, membre de la foule vivante, je fus l’un de cette même foule,
Comme vous que réjouit l’allégresse de l’eau, les reflets de lumière sur le flux,
je fus réjoui par eux,
Comme vous qui, debout, accoudé à la rambarde, êtes déportés par la vigueur
du courant, debout moi aussi je fus déporté,
Comme vous je vis les innombrables mâts des voiliers, les cheminées à cols
épais des vapeurs.
Combien de fois n’ai-je-pas moi aussi par le passé franchi ce fleuve,
Regardé les mouettes de décembre planer, immobiles, très haut en l’air sur
leurs ailes, ventres balançant,
Reflet de lumière jaune éclairant une partie des plumes, l’autre grise dans
l’ombre,
Lentes danses tournoyantes obliquant peu à peu vers le sud,
Vu l’image d’un ciel se refléter dans l’eau,
Eu les yeux éblouis par le cheminement miroitant des rayons,
Perçu ce délicat halo de lumière centrifuge coiffant ma propre tête au miroir
ensoleillé des vagues,
Aperçu en direction du sud et du sud-ouest la brume noyant les collines,
Surpris la vapeur affluant en nappes laineuses chatoyantes de violet,
Porté les yeux vers le fond de la baie où voir arriver les vaisseaux,
Suivi leur approche, espionné les ponts des plus voisins de moi,
Admiré la voilure blanche des cotres et des goélettes, les coques à l’ancre,
L’équipage en manoeuvre dans les vergues, à cheval aux espars,
Le volume rond des mâts, le balancement des lisses dans la houle, les flammes
effilées sur leur hampe,
Les vapeurs de tout tonnage en action, les pilotes dans leurs cabines,
L’étrave blanche, le sillage, le rapide manège trépidant des hélices,
Les pavillons de toute nationalité qu’on amène au couchant,
L’arête de coquille des vagues au crépuscule, les louchées, les riantes crêtes qui
miroitent,
L’horizon à perte de vue s’obscurcissant dans la lumière défaillante, les murs
de granit gris des entrepôts dans les docks,
Telle masse d’ombre au centre du fleuve, énorme remorqueur flanqué de deux
trains de péniches, ou gabare au foin, ou bateau-phare anuité.
Les flammes criantes montant des fonderies riveraines brûlant très haut,
Crachant leur intermittence de suie contrastée avec les rouges et les jaunes,
bien au-dessus des toits, dans la crevasse des rues.
4
Nulle nuance entre nous, vous et moi, dans notre fidélité à l’inépuisable
foule des tableaux !
Ah ! comme j’ai aimé ces villes, comme j’ai aimé notre noble, notre fougueuse
rivière !
Comme ils furent proches de moi, ces hommes, ces femmes que j’eus sous les
yeux !
Idem les autres vers qui je projetai mes regards comme eux vers moi tournent
les leurs en arrière
(Cela se produira bientôt, même si ce soir j’ai séjour avec vous).
5
D’ailleurs, vous à moi quelle différence ?
Allons-nous chiffrer cela en dizaines, centaines d’années ?
Non, absolument pas, quel que soit le calcul – ni le temps ni le lieu n’entrent en
compte,
Moi aussi j’ai vécu, moi aussi Brooklyn aux amples collines fut ma ville,
Moi aussi j’ai sillonné les rues de Manhattan, notre île, ai nagé sur ses rivages,
Ai éprouvé en moi l’angoisse de questions lancinantes
Venues m’assaillir parfois le jour, à l’improviste, au beau milieu des foules,
Ou bien tard la nuit, comme je rentrais chez moi ou comme je m’étais couché,
Frappé, moi aussi, par le truchement de ce flotteur en perpétuel suspens dans le
soluble,
Mon corps, de qui moi comme vous je recevais mon identité,
Car être, j’en avais conscience, c’était être par le corps, être impérativement
par lui.
6
Vous n’êtes pas seul à connaître le supplice des heures obscures,
La nuit a aussi fait planer son obscurité sur moi,
Mes plus grands succès m’apparaissant nuls et spécieux,
La pauvreté de mes soi-disant grandes pensées me tourmentant !
Non plus que vous seriez seul à connaître intimement la méchanceté,
Je sais d’expérience ce que c’est que d’avoir fait soi-même le mal,
D’avoir de ses propres mains noué le nœud tristement inextricable,
D’avoir trahi, eu honte, pris ombrage, menti, volé, tenu grief,
Rusé, détesté, convoité, brûlé d’enviés, innommables,
Eté désinvolte, vain, avare, creux, fourbe, couard, vicieux,
Loup, serpent, porc abondant familièrement en moi,
Fausseté du regard, irresponsabilité du langage, désirs adultères rivalisant à qui
mieux mieux en moi,
Dénis, haines, prévarications, mesquineries, paresse faisant florès en moi,
N’étant jamais autre que les autres, partageant leur vie, leur destin,
M’entendant apostropher de mon prénom, à voix retentissante et claire par les
jeunes gens à mon approche dans la rue,
Tolérant, à mon arrêt, leurs bras autour de mes épaules comme, à table, la
pression innocente de leurs corps contre moi,
Croisant tant de personnes aimables dehors, sur le bac, dans les réunions
publiques, à qui ne pouvoir adresser la parole,
Vivant ma vie commune, riant mon rire commun, mangeant chichement,
dormant tout comme un autre,
Tenant rôle guère éloigné de celui de l’acteur ou l’actrice,
Ce bon vieux rôle qui sera comme nous décidons qu’il soit, grand si cela nous
chante,
Petit si nous aimons mieux, ou bien les deux à la fois.
7
Voyez, j’approche encore plus près,
A la seconde même, cette image de moi que vous-avez je l’ai eue – tant j’ai fait
preuve de prévoyance.
De longue et profonde réflexion sur vous bien avant votre naissance.
A qui incombait-il de savoir ce que le futur me réserverait ?
Et si par hasard vous étiez mon plaisir secret à l’instant ?
Et si, en dépit de la distance, j’étais tout simplement en train de vous regarder,
sans que vous me voyiez ?
8
Vraiment ! Y a-t-il rien de plus grand, de plus beau que Manhattan en sa
ceinture de mâts ?
Son fleuve dans le couchant, ses vagues à côtes de coquilles sous le mascaret ?
Ses mouettes balançant leur corps, la gabare d’herbe dans le crépuscule, le
bateau-phare pris par la nuit ?
Y a-t-il dieux plus grands que ceux qui m’étreignent la main, qui par leurs voix
que j’aime me hèlent court et clair à mon approche de mon nom prénom
intime ?
Y a-t-il rien d’aussi subtil que ce lien qui m’unit à l’homme, à la femme dont
les yeux me croisent ?
Et qui m’infuse en vous à la seconde même, et qui en vous liquéfie mon sens ?
Donc nous nous comprenons, n’est-ce pas ?
Donc vous acceptez mes promesses implicites ?
Donc l’inaccompli par les sermons, les leçons doctorales, se révèle accompli ?
9
Coule, coule à l’infini, fleuve ! avec la marée qui monte, comme sous le jusant
qui s’en va vers le large !
Jouez infiniment, vagues joueuses aux arêtes de nacre !
Somptueux nuages du couchant inondez-moi de vos splendeurs, comme les
hommes et les femmes des générations à suivre !
Traversez d’une rive à l’autre, inépuisables foules de passagers !
Surgissez mâts élancés de Mannahatta et vous gracieuses collines de
Brooklyn !
Et toi, cervelle angoissée ou curieuse, palpite, émets tes questions, tes
réponses !
Suspends-toi partout en lieux solubles, sempiternel flotteur !
Aime, aspire, admire par tes yeux, dans la chambre, dans la rue, dans
l’assemblée publique !
Voix juvéniles, retentissez ! hélez-moi musicalement, limpidement par mon
prénom intime !
Et toi ma vieille, la vie, vis donc ! Rapporte ton rôle à celui de l’acteur, de
l’actrice !
Joue-moi ton rôle, grand ou petit d’après ton choix !
Lecteurs aux yeux fixés sur moi, demandez-vous si je n’aurais pas les yeux
fixés sur vous, à votre insu ?
Tiens bon, lisse, au-dessus du fleuve, soutiens le corps accoudé
nonchalamment sur toi tout en défilant au fil impétueux du courant ;
Vols d’oiseaux de mer, ne cessez pas de passer à l’oblique ou de tourner en
larges cercles dans les hauteurs du ciel ;
Toi l’eau, réfléchis le ciel d’été, longuement et fidèlement, que les yeux aient le
temps d’y aller l’y puiser !
Fines rayures de soleil étincelez en étoile depuis mon chef, ou tout autre chef,
dans la luminosité de l’eau !
Vaisseaux du fond de la baie, allons, plus vite ! continue, trafic double,
goélettes à voilure blanche, cotres, barques, barges !
Etamines des nations, haut les hampes ! mais la règle dit, en bas, au couchant !
Crachez haut vos flammes ardentes, cheminées des fonderies ! découpez vos
profils nocturnes noirs ! étincelez rouge et jaune par-dessus les toits
voisins !
Qui vous êtes, nous voulons désormais le savoir, apparences,
Même si toujours tu envelopperas l’âme, film nécessaire,
Autour de mon corps propre, et vous autour du vôtre, que se tende l’étoffe de
nos arômes exquisément divins,
Que prospèrent les cités, qu’accourent cargaisons et spectacles sur l’ample
plénitude des fleuves,
Qu’elles aient l’expansion, ces inégalables en spiritualité
Qu’elles tiennent leur rang, ces inégalables en longévité.
Ministres silencieux, vous nous avez ponctuellement servis depuis toujours,
Et nos sens vous accueillent librement désormais, et ils sont insatiables,
Et vous ne pourrez plus de nous vous déjouer désormais, vous dérober à nous,
Usant de vous, nous ne vous jetterons plus, vous grefferons en permanence
dans nos cœurs,
Vous aimant, ne vous sonderons plus, puisque vous êtes parfaits,
Que vous tenez vos rôles dans l’éternité,
Petits et grands tenez vos rôles à la naissance de l’âme.
Traduit de l’anglais par Jacques Darras
In, Walt Whitman : « Feuilles d’herbes »
Editions Gallimard (Poésie), 2002
Du même auteur :
Descendance d’Adam / Children of Adam (27/01/2015)
Chanson de moi-même / Song of myself (28/01/2017)
Drossé au sable / Sea - drift (25/07/2017)
Départ à Paumanok / Starting from Paumanok (28/01/2018)
Envoi / Inscriptions (28/01/2019)
Calamus (28/01/2020)
Salut au monde ! (28/01/2021)
Chanson de la piste ouverte /Song of the open road (28/01/2022)
La chanson du Grand Répondant - Notre antique feuillage /Song of the answerer / Our old feuillage (28/01/2023)
Chanson des joies / A song of joys (28/01/2024)
: Chanson de la hache à large lame / Song of the broad-axe (28/01/2025)
Crossing Brookling ferry
1
Flood-tide below me! I see you face to face!
Clouds of the west—sun there half an hour high—I see you also face to face.
Crowds of men and women attired in the usual costumes, how curious you are to me!
On the ferry-boats the hundreds and hundreds that cross, returning home, are more
curious to me than you suppose,
And you that shall cross from shore to shore years hence are more to me, and more
in my meditations, than you might suppose.
2
The impalpable sustenance of me from all things at all hours of the day,
The simple, compact, well-join’d scheme, myself disintegrated, every one disintegrated
yet part of the scheme,
The similitudes of the past and those of the future,
The glories strung like beads on my smallest sights and hearings, on the walk in the
street and the passage over the river,
The current rushing so swiftly and swimming with me far away,
The others that are to follow me, the ties between me and them,
The certainty of others, the life, love, sight, hearing of others.
Others will enter the gates of the ferry and cross from shore to shore,
Others will watch the run of the flood-tide, Others will see the shipping of
Manhattan north and west, and the heights of Brooklyn to the south and east,
Others will see the islands large and small;
Fifty years hence, others will see them as they cross, the sun half an hour high,
A hundred years hence, or ever so many hundred years hence, others will see them,
Will enjoy the sunset, the pouring-in of the flood-tide, the falling-back to the sea of
the ebb-tide.
3
It avails not, time nor place—distance avails not,
I am with you, you men and women of a generation, or ever so many generations
hence,
Just as you feel when you look on the river and sky, so I felt,
Just as any of you is one of a living crowd, I was one of a crowd,
Just as you are refresh’d by the gladness of the river and the bright flow, I was
refresh’d,
Just as you stand and lean on the rail, yet hurry with the swift current, I stood yet
was hurried,
Just as you look on the numberless masts of ships and the thick-stemm’d pipes of
steamboats, I look’d.
I too many and many a time cross’d the river of old,
Watched the Twelfth-month sea-gulls, saw them high in the air floating with
motionless wings, oscillating their bodies,
Saw how the glistening yellow lit up parts of their bodies and left the rest in strong
shadow,
Saw the slow-wheeling circles and the gradual edging toward the south,
Saw the reflection of the summer sky in the water,
Had my eyes dazzled by the shimmering track of beams,
Look’d at the fine centrifugal spokes of light round the shape of my head in the
sunlit water,Look’d on the haze on the hills southward and south-westward,
Look’d on the vapor as it flew in fleeces tinged with violet,
Look’d toward the lower bay to notice the vessels arriving,
Saw their approach, saw aboard those that were near me,
Saw the white sails of schooners and sloops, saw the ships at anchor,
The sailors at work in the rigging or out astride the spars,
The round masts, the swinging motion of the hulls, the slender serpentine pennants,
The large and small steamers in motion, the pilots in their pilot-houses,
The white wake left by the passage, the quick tremulous whirl of the wheels,
The flags of all nations, the falling of them at sunset,
The scallop-edged waves in the twilight, the ladled cups, the frolicsome crests and
glistening,
The stretch afar growing dimmer and dimmer, the gray walls of the granite storehouses
by the docks,
On the river the shadowy group, the big steam-tug closely flank’d on each side by
the barges, the hay-boat, the belated lighter,
On the neighboring shore the fires from the foundry chimneys burning high and
glaringly into the night,
Casting their flicker of black contrasted with wild red and yellow light over the tops
of houses, and down into the clefts of streets.
4
These and all else were to me the same as they are to you,
I loved well those cities, loved well the stately and rapid river,
The men and women I saw were all near to me,
Others the same—others who look back on me because I look’d forward to them,
(The time will come, though I stop here to-day and to-night.)
5
What is it then between us?
What is the count of the scores or hundreds of years between us?
Whatever it is, it avails not—distance avails not, and place avails not,
I too lived, Brooklyn of ample hills was mine,
I too walk’d the streets of Manhattan island, and bathed in the waters around it,
I too felt the curious abrupt questionings stir within me,
In the day among crowds of people sometimes they came upon me,
In my walks home late at night or as I lay in my bed they came upon me,
I too had been struck from the float forever held in solution,
I too had receiv’d identity by my body,
That I was I knew was of my body, and what I should be I knew I should be of my
body.
6
It is not upon you alone the dark patches fall,
The dark threw its patches down upon me also,
The best I had done seem’d to me blank and suspicious,
My great thoughts as I supposed them, were they not in reality meagre?
Nor is it you alone who know what it is to be evil,
I am he who knew what it was to be evil,
I too knitted the old knot of contrariety,
Blabb’d, blush’d, resented, lied, stole, grudg’d,
Had guile, anger, lust, hot wishes I dared not speak
Was wayward, vain, greedy, shallow, sly, cowardly, malignant,
The wolf, the snake, the hog, not wanting in me,
The cheating look, the frivolous word, the adulterous wish, not wanting,
Refusals, hates, postponements, meanness, laziness, none of these wanting,
Was one with the rest, the days and haps of the rest,
Was call’d by my nighest name by clear loud voices of young men as they saw me
approaching or passing,
Felt their arms on my neck as I stood, or the negligent leaning of their flesh against
me as I sat,
Saw many I loved in the street or ferry-boat or public assembly, yet never told them
a word,
Lived the same life with the rest, the same old laughing, gnawing, sleeping,
Play’d the part that still looks back on the actor or actress,
The same old role, the role that is what we make it, as great as we like,
Or as small as we like, or both great and small.
7
Closer yet I approach you,
What thought you have of me now, I had as much of you—I laid in my stores in
advance,
I consider’d long and seriously of you before you were born.
Who was to know what should come home to me?
Who knows but I am enjoying this?
Who knows, for all the distance, but I am as good as looking at you now, for all
you cannot see me?
8
Ah, what can ever be more stately and admirable to me than mast-hemm’d Manhattan?
River and sunset and scallop-edg’d waves of flood-tide?
The sea-gulls oscillating their bodies, the hay-boat in the twilight, and the belated
lighter?
What gods can exceed these that clasp me by the hand, and with voices I love call
me promptly and loudly by my nighest name as I approach?
What is more subtle than this which ties me to the woman or man that looks in my
face?
Which fuses me into you now, and pours my meaning into you?
We understand then do we not?
What I promis’d without mentioning it, have you not accepted?
What the study could not teach—what the preaching could not accomplish is
accomplish’d, is it not?
9
Flow on, river! flow with the flood-tide, and ebb with the ebb-tide!
Frolic on, crested and scallop-edg’d waves!
Gorgeous clouds of the sunset! drench with your splendor me, or the men and women
generations after me!
Cross from shore to shore, countless crowds of passengers!
Stand up, tall masts of Mannahatta! stand up, beautiful hills of Brooklyn!
Throb, baffled and curious brain! throw out questions and answers!
Suspend here and everywhere, eternal float of solution!
Gaze, loving and thirsting eyes, in the house or street or public assembly!
Sound out, voices of young men! loudly and musically call me by my nighest name!
Live, old life! play the part that looks back on the actor or actress!
Play the old role, the role that is great or small according as one makes it!
Consider, you who peruse me, whether I may not in unknown ways be looking upon you;
Be firm, rail over the river, to support those who lean idly, yet haste with the hasting
current;
Fly on, sea-birds! fly sideways, or wheel in large circles high in the air;
Receive the summer sky, you water, and faithfully hold it till all downcast eyes have
time to take it from you!
Diverge, fine spokes of light, from the shape of my head, or any one’s head, in the
sunlit water!
Come on, ships from the lower bay! pass up or down, white-sail’d schooners, sloops,
lighters!
Flaunt away, flags of all nations! be duly lower’d at sunset!
Burn high your fires, foundry chimneys! cast black shadows at nightfall! cast red
and yellow light over the tops of the houses!
Appearances, now or henceforth, indicate what you are,
You necessary film, continue to envelop the soul,
About my body for me, and your body for you, be hung out divinest aromas,
Thrive, cities—bring your freight, bring your shows, ample and sufficient rivers,
Expand, being than which none else is perhaps more spiritual,
Keep your places, objects than which none else is more lasting.
You have waited, you always wait, you dumb, beautiful ministers,
We receive you with free sense at last, and are insatiate henceforward,
Not you any more shall be able to foil us, or withhold yourselves from us,
We use you, and do not cast you aside—we plant you permanently within us,
We fathom you not—we love you—there is perfection in you also,
You furnish your parts toward eternity
Great or small, you furnish your parts toward the soul.
Leaves of Grass
David Mc Kay,Publisher, Philadelphia, 1891–92
Poème précédent en anglais :
Thomas Stearns Eliot (188-1965) : Marina (28/07/2022)
Poème suivant en anglais :
Oscar Wilde :Dans les allées de Magdalen / Magdalen walks (11/08/2021)