Walt Whitman (1819 – 1892) : Chanson des joies / A song of joys
Chanson des joies
Car je veux écrire le plus jubilatoire des poèmes !
Un poème tout en musique – tout en virilité, tout en féminité, tout en puérilité !
Plénitudes d’usages communs – foultitude d’arbres et de graines.
J’y veux la voix des animaux – la balance vivace des poissons !
Je veux qu’y tombent les gouttes de pluie musicalement !
Je veux qu’y brille le soleil que s’y meuvent les vagues musicalement !
Sortie de ses cages la joie de mon esprit, filant comme une langue de foudre !
Posséder tel globe précis ou telle portion mesurée du temps ne me comblera
pas,
Ce sont mille globes c’est l’ensemble complet du temps qu’il me faut !
J’envie la joie de l’ingénieur, je veux m’en aller sur la locomotive
Entendre la compression de la vapeur, quel plaisir le hurlement de son sifflet,
une locomotive qui rit !
Irrésistible la pression de la vitesse qui vous emporte à l’horizon.
Ce délice aussi de flâner par les collines et les prairies !
Feuilles et fleurs des humbles herbes communes, fraîcheur d’humidité des
sous-bois,
Enivrant parfum de terre dans la prime aube, aux jeunes heures de l’après-
midi ;
Joie enviable de la cavalière, du cavalier en selle,
Petite pression avec les jambes pour le galop, et le coulis d’air murmurant aux
oreilles, dans les cheveux.
J’envie la joie de l’homme de feu,
Dans le silence de la nuit l’alarme qui hurle,
Les cloches, les cris, vite je dépasse la foule, je cours§
Qui est fou de joie au spectacle des flammes qui brûlent ? C’est moi
La joie du boxeur aux muscles saillants, condition physique impeccable qui
surplombe ‘arène dans la certitude de sa puissance et le désir irrépressible
d’affronter ses adversaires, ah ! comme je l’envie !
Ah ! comme j’envie la sympathie élémentaire qu’émet à flots généreux et
continus l’âme humaine et elle seule, vraiment oui comme je l’envie.
Et les joies d’enfantement maternel !
La veille, la longue endurance, l’amour précieux, l’anxiété, le travail donneur
de la vie.
La croissance, l’accroissement, la compensation,
L’adoucissement, la pacification, la concorde, l’harmonie, non mais quelle
joie !
Je voudrais tellement revenir au lieu de ma naissance
Tellement entendre chanter les petits oiseaux à nouveau
Tellement à travers le verger tellement sur les vieux chemins encore une fois.
Quel plaisir d’avoir grandi dans les baies, au bord des lagunes, des ruisseaux,
des rivages,
Je voudrais continuer d’être employé là-bas toute ma vie
Ah ! cette odeur de sel et diode des molières, les algues parfumées à marée
basse,
Le métier de la pêche, le travail du pêcheur d’anguilles, du pêcheur de
palourdes,
Je suis venu avec mon râteau et ma bêche, suis venu avec mon trident à
anguilles.
La mer a reflué au large ? Dans ce cas je m’agrège au groupe de palourdier sur
l’estran,
Plaisante, m’active avec eux, ironise sur mon efficacité avec la vitalité du jeune
Homme,
Prend mon panier à anguilles mon trident avec moi, quand c’est l’hiver pour
m’aventurer sur la glace – d’une hachette découpant des trous à la surface,
Regardez comme je suis chaudement vêtu, allez retour en une après-midi,
regardez comme je suis joyeux, et cette ribambelle de jeunes costauds qui
m’accompagne,
Adultes ou encore adolescents, aucun ne donnerait sa place pour rien au
monde,
Ca leur plaît tellement d’être avec moi jour et nuit, au travail sur la plage, au
sommeil dans ma chambre
D’autres fois calme plat, on sort en canot pour aller relever les casiers à
homards lestés de leurs lourdes pierres, je connais les repères,
Les balises, je rame dans leur direction, le soleil n’est pas encore levé mais ah !
cette douceur matinale de la lumière du cinquième Mois à la surface de
l’eau autour de nous,
Je remonte obliquement les cages d’osier, carapaces vert sombre les bêtes
traquées font assaut de toutes leurs pinces, j’insère une cheville de bois à
l’articulation
L’un après l’autre j’inspecte tous les casiers, puis à la rame retour au rivage,
Là où dans une énorme marmite d’eau bouillante, seront jetés les homards
jusqu’à ce que rougeur s’ensuive.
Un autre jour, pêche au maquereau,
Vorace lui, goulu du hameçon, nageant quasiment à la surface, on croirait voir
l’eau couverte sur des milles ;
Un autre jour encore, pêche à l’aiglefin, dans la baie de Chesapeake, je fais
partie de l’équipe, peau brune de lumière.
Une autrefois pêche au poisson bleu au large de Paumanok, on laisse traîner
une ligne derrière le bateau, c’est moi muscles en alerte,
Pied gauche calé sur le plat-bord, bras droit lançant très loin devant moi le
Serpentin de la fine corde,
A portée d’yeux une armada de cinquante esquifs, mes amis, qui filent et
manoeuvrent dans le vent
Canoter sur les rivières, j’en rêve !
Descendre le Saint-Laurent, panorama grandiose, les vapeurs
Les voiliers voiles claquantes, les Mille Îles, les trains de bois flottant qu’on
rencontre avec leurs conducteurs aux longues perches-godilles recourbées
Petit abri en bois, panache de fumée montant du feu où cuit le dîner
(Et puis je veux du pernicieux de l’horrible !
Je ne veux surtout pas d’une vie pieuse ni mesquine !
Je veux de l’inéprouvé, je veux de la transe !
Je veux échapper aux ancres, dériver en toute liberté !)
Retrouver les joies du soldat, mais oui !
Sentir la présence à ses côtés d’un homme courageux, en sympathie avec soi,
d’un commandant !
Quel admirable calme – se réchauffer au soleil de son sourire !
Monter au front – entendre le roulement du tambour, le clairon,
Les rafales de l’artillerie, voir l’étincellement des baïonnettes, des barillets
dans la lumière jouant aux mousquets,
Voir tomber, mourir sans un cri des hommes !
Goûter au goût sauvage du sang – diaboliquement le désirer !
Plaisir gourmand de compter les plaies, les pertes infligées à l’ennemi.
Maintenant le baleinier, sa joie ! Me voici repartir de nouveau en expédition !
N’est-ce pas le mouvement du bateau sous mes pieds, n’est-ce pas la caresse
des souffles atlantiques sur mon visage ?
Dans mes oreilles n’est-ce pas soudain le cri de la vigie : There she blows ?
Baleine à bâbord !
J’ai bondi dans le gréement, épiant avec les autres, nous voici fous d’excitation
maintenant descendus de notre guet
Je saute dans la baleinière, nous ramons vers notre proie,
Approche silencieuse, discrète, de la montagne massive, paresseusement
léthargique,
Le harponneur s’est dressé, la flèche fuse à l’extrémité du bras puissant,
Rapide fuite au large de l’animal meurtri qui entraîne notre canot dans le vent,
nous suivons la corde,
Et puis je le vois reprendre surface pour respirer, nous nous rapprochons,
Une lance va se ficher dans son flanc, de toute la force de la propulsion, qui
sera tordue ensuite dans la plaie,
Nouveau recul, la bête repart, perdant son sang en abondance,
Jaillissement rouge comme elle reparaît, décrit des cercles de plus en plus
courts sillage hâtif dans l’eau – puis meurt, j’assiste à la scène,
Ultime cabrement convulsif au centre du cercle avant de retomber gisant
immobile sur le dos dans l‘écume sanglante.
Mais la joie la plus pure c’est ma vieillesse masculine qui me la donne !
Mes enfants, mes petits-enfants, mes cheveux blancs, ma barbe blanche,
Mon imposante stature, ma calme majesté, à la fin de cette longue perspective
droite de la vie.
Mais la joie la plus mûre est celle de la féminité, du bonheur enfin atteint !
J’ai dépassé quatre-vingt ans, je suis l’aïeule la plus vénérable,
Clarté parfaite dans mon esprit – tout le monde, voyez, m’entoure
d’attentions !
Quel est le secret de cette séduction plus forte que mes précédents charmes,
quelle beauté s’épanouit en moi de parfum plus sucré que dans la fleur de
ma jeunesse ?
D’où émane, d’où procède cette mystérieuse grâce qui est mienne
aujourd’hui ?
Eprouver les joies de l’orateur !
Cette profonde inspiration qui soulève les côtes et gonfle la poitrine pour
conduire à la gorge le roulement de tonnerre de la voix,
Faire communier avec soi-même le peuple, larmes ou rage, haines ou désirs,
Entraîner l’Amérique par sa langue, apaiser l’Amérique par ses mots !
Et puis la joie de mon âme aussi en son égale tempérance, prenant identité de
toutes les matières, les aimant toutes, observant et absorbant chacune de
leurs particularités,
Cependant qu’elles me la retournent en écho, toute vibrante des actes de la vue,
et de l’ouïe, du toucher, de l’entendement, de la consécution, de la
comparaison, de la mémoire et autres facultés,
Elle la vie profonde en moi de mes sens, qui transcende les sens comme mon
corps incarné,
Mon moi au-delà de la matière, ma vue au-delà de mes yeux matériels,
La preuve indiscutable à la minute même, mais bien sûr ! que ce ne sont pas
mes yeux matériels qui voient,
Ni non plus mon corps matériel, mais bien entendu ! qui aime, qui marche, qui
rit, qui crie, qui embrasse, qui procrée
Et le fermier. que de joies !
L’homme de l’Ohio, l’Illinoisien, le Wisconsinien, le Kanadien, l’Iowan, le
Kansien, le Missourien, l’Orégonais,
Au petit jour ils sont déjà debout, actifs sans effort apparent,
Ce sont les labours d’automne pour les semailles d’hiver,
Ce sont les labours du printemps pour le maïs,
Ce sont les arbres du verger à greffer, la cueillette automnale des pommes.
Je veux me baigner dans une baignade, choisir un endroit idéal du rivage,
Et entrer dans un éclaboussement d’eau, ou bien tremper tout juste mes
chevilles ou alors courir tout nu sur le sable.
Oh ! l’espace, saisir sa réalité !
Qu’elle n’a pas de frontières, l’universelle plénitude,
S’unir d’un jaillissement avec le ciel, le soleil, la lune, les nuages fuyants,
Joie de l’indépendance masculine !
N’être l’esclave de personne, comptable de personne, tyran connu ou tyran
anonyme,
Marcher droit devant soi, port droit, foulée souple, élastique,
Regard calme ou coups d’œil de l’éclair, regarder,
S’exprimer d’une vois pleine et sonore, poitrine bien dégagée,
Faisant face en personne aux autres personnalités ici-bas.
La richesse des joies de l’adolescence, les connais-tu ?
Les compagnons chéris, les plaisanteries ensemble, le rire sur le visage ?
La journée illuminée d’une radieuse lumière, la joie des jeux de souffle ?
La joie de la musique, les lampes dans la salle de bal, les danseurs ?
Le dîner copieux, la succession des toasts verre en main ?
Mon âme, mon âme suprême, écoute !
Connais-tu les joies de la méditation ?
Connais-tu le cœur solitaire mais joyeusement libre, sa tendresse dans la nuit ?
Connais-tu le plaisir de suivre une route orgueilleusement seul, même lorsque
pèsent à l’esprit souffrances et déchirements ?
Connais-tu le plaisir angoissant des débats intimes, les rêveries grandioses
fertiles en extases ?
La pensée de la Mort, des sphères du temps et de l’Espace ?
Les prophéties d’amours idéales, d’essence plus pure, l’épouse divine, la
douceur du camarade à l’inaltérable perfection ?
A toi toutes ces joies mon immortelle, mon âme ! leur récompense te revient.
Aussi longtemps que je vivrai en maître de ma vie, non son esclave,
Aussi longtemps que j’affronterai la vie dans un espace vainqueur,
Jamais de mauvaises brumes, jamais l’ennui, jamais les plaintes ni les critiques
excoriantes,
mais aux rudes lois de l’air, de l’eau, du sol cherchant critère incorruptible pour
mon âme profonde
Je ne laisserai aucun gouvernement étranger me soumettre à son joug.
Je ne chante pas, je ne scande pas seulement la joie du Vivre – je chante aussi
la Mort, la joie de la Mort !
La caresse merveilleuse de la Mort, son apaisant engourdissement, sa brève
persuasion,
Me voici déchargé de mon corps excrémentiel, qu’on le brûle, qu’on le rende à
la poussière, qu’on l’enterre,
Reste mon corps réel pour mon usage sans doute dans d’autres sphères,
A quoi sert désormais mon enveloppe vide sinon à être purifiée pour des tâches
futures, à être réemployées dans les usages éternels de la terre.
Je veux entrer par d’autres lois que l’attraction !
Comment m’y prendre, je ne sais pas, pourtant voyez cette obéissance qui
n’obéit à rien,
Ce pouvoir magnétique, ah ! vraiment quelle force – toujours offensive, jamais
défensive.
Oui, me battre contre des obstacles insurmontables, affronter des ennemis
intraitables,
Seul à seul, avec eux pour mieux connaître mes limites d’endurance !
Face à face avec le combat, avec la torture, la prison, la haine générale !
Je monte à l’échafaud, j’avance sous la gueule des fusils, l’allure dégagée
totalement insouciante !
C’est cela, un dieu, je veux être un dieu !
M’embarquer à la mer !
Je veux tellement quitter ce sol insupportable,
Tellement quitter l’usante monotonie des rues, des maisons, des trottoirs,
Tellement te quitter terre compactement immuable, oui monter à bord d’un
vaisseau,
Lever l’ancre, mettre à la voile, à la voile !
Je veux que désormais la vie soit un grand chant de joies !
Je veux danser, battre des mains, exulter et crier, sauter, bondir en l’air, me
Rouler par terre, surtout flotter, flotter !
Car je serai marin du monde partant pour tous les ports
Car je serai bateau (avez-vous vu mes voiles, déployées au soleil et à l’air ?)
Navire vif, cales gonflées d’une précieuse cargaison de paroles et de joies.
Traduit de l’anglais par Jacques Darras
In, Walt Whitman : « Feuilles d’herbes »
Editions Gallimard (Poésie), 2002
Du même auteur :
Descendance d’Adam / Children of Adam (27/01/2015)
Chanson de moi-même / Song of myself (28/01/2017)
Drossé au sable / Sea - drift (25/07/2017)
Départ à Paumanok / Starting from Paumanok (28/01/2018)
Envoi / Inscriptions (28/01/2019)
Calamus (28/01/2020)
Salut au monde ! (28/01/2021)
Chanson de la piste ouverte /Song of the open road (28/01/2022)
Sur le bac de Brooklyn / Crossing Brookling ferry (31/07/2022)
La chanson du Grand Répondant - Notre antique feuillage /Song of the answerer / Our old feuillage (28/01/2023)
A song of joys
O to make the most jubilant song!
Full of music—full of manhood, womanhood, infancy!
Full of common employments—full of grain and trees.
O for the voices of animals—O for the swiftness and balance of fishes !
O for the dropping of raindrops in a song !
O for the sunshine and motion of waves in a song !
O the joy of my spirit—it is uncaged—it darts like lightning!
It is not enough to have this globe or a certain time,
I will have thousands of globes and all time.
O the engineer's joys! to go with a locomotive!
To hear the hiss of steam, the merry shriek, the steam-whistle, the laughing
locomotive!
To push with resistless way and speed off in the distance.
O the gleesome saunter over fields and hillsides!
The leaves and flowers of the commonest weeds, the moist fresh stillness of the
woods,
The exquisite smell of the earth at daybreak, and all through the forenoon.
O the horseman's and horsewoman's joys!
The saddle, the gallop, the pressure upon the seat, the cool gurgling by the ears
and hair.
O the fireman's joys!
I hear the alarm at dead of night,
I hear bells, shouts! I pass the crowd, I run!
The sight of the flames maddens me with pleasure.
O the joy of the strong-brawn'd fighter, towering in the arena in perfect condition,
conscious of power, thirsting to meet his opponent.
O the joy of that vast elemental sympathy which only the humansoul is capable of
generating and emitting in steady and limitless floods.
O the mother's joys!
The watching, the endurance, the precious love, the anguish, the patiently yielded
life.
O the joy of increase, growth, recuperation,
The joy of soothing and pacifying, the joy of concord and harmony.
O to go back to the place where I was born,
To hear the birds sing once more,
To ramble about the house and barn and over the fields once more,
And through the orchard and along the old lanes once more.
O to have been brought up on bays, lagoons, creeks, or along the coast,
To continue and be employ'd there all my life,
The briny and damp smell, the shore, the salt weeds exposed at low water,
The work of fishermen, the work of the eel-fisher and clam-fisher;
I come with my clam-rake and spade, I come with my eel-spear,
Is the tide out? I join the group of clam-diggers on the flats,
I laugh and work with them, I joke at my work like a mettlesome young man;
In winter I take my eel-basket and eel-spear and travel out on foot on the ice—I
have a small axe to cut holes in the ice,
Behold me well-clothed going gayly or returning in the afternoon my brood of
tough boys accompanying me,
My brood of grown and part-grown boys, who love to be with no one else so well
as they love to be with me,
By day to work with me, and by night to sleep with me.
Another time in warm weather out in a boat, to lift the lobster-pots where they are
sunk with heavy stones, (I know thebuoys,)
O the sweetness of the Fifth-month morning upon the water as I row just before
sunrise toward the buoys,
I pull the wicker pots up slantingly, the dark green lobsters are desperate with their
claws as I take them out, I insert wooden pegs in the joints of their pincers,
I go to all the places one after another, and then row back to the shore,
There in a huge kettle of boiling water the lobsters shall be boil'd till their color
becomes scarlet.
Another time mackerel-taking,
Voracious, mad for the hook, near the surface, they seem to fill the water for miles;
Another time fishing for rock-fish in Chesapeake bay, I one of the brown-faced crew;
Another time trailing for blue-fish off Paumanok, I stand with braced body,
My left foot is on the gunwale, my right arm throws far out the coils of slender rope,
In sight around me the quick veering and darting of fifty skiffs, my companions.
O boating on the rivers,
The voyage down the St. Lawrence, the superb scenery, the steamers,
The ships sailing, the Thousand Islands, the occasional timber-raft and the raftsmen
with long-reaching sweep-oars,
The little huts on the rafts, and the stream of smoke when they cook supper at
evening.
(O something pernicious and dread!
Something far away from a puny and pious life!
Something unproved! something in a trance!
Something escaped from the anchorage and driving free.)
I am more than eighty years of age, I am the most venerableother,
How clear is my mind—how all people draw nigh to me!
What attractions are these beyond any before? what bloom more than the bloom of
youth?
What beauty is this that descends upon me and rises out of me?
O the orator's joys!
To inflate the chest, to roll the thunder of the voice out from the ribs and throat,
To make the people rage, weep, hate, desire, with yourself,
To lead America—to quell America with a great tongue.
O the joy of my soul leaning pois'd on itself, receiving identity through materials
and loving them, observing characters and absorbing them,
My soul vibrated back to me from them, from sight, hearing, touch, reason,
articulation, comparison, memory, and the like,
The real life of my senses and flesh transcending my senses and flesh,
My body done with materials, my sight done with my material eyes,
Proved to me this day beyond cavil that it is not my material eyes which finally
see,
Nor my material body which finally loves, walks, laughs, shouts, embraces,
procreates.
O the farmer's joys!
Ohioan's, Illinoisian's, Wisconsinese', Kanadian's, Iowan's, Kansian's, Missourian's,
Oregonese' joys!
To rise at peep of day and pass forth nimbly to work,
To plough land in the fall for winter-sown crops,
To plough land in the spring for maize,
To train orchards, to graft the trees, to gather apples in the fall.
O to bathe in the swimming-bath, or in a good place along shore,
To splash the water! to walk ankle-deep, or race naked along the shore.
O to realize space!
The plenteousness of all, that there are no bounds,
To emerge and be of the sky, of the sun and moon and flying clouds, as one with
them.
O the joy of a manly self-hood!
To be servile to none, to defer to none, not to any tyrant known or unknown,
To walk with erect carriage, a step springy and elastic,
To look with calm gaze or with a flashing eye,
To speak with a full and sonorous voice out of a broad chest,
To confront with your personality all the other personalities of the earth.
Know'st thou the excellent joys of youth?
Joys of the dear companions and of the merry word and laughing face?
Joy of the glad light-beaming day, joy of the wide-breath'd games?
Joy of sweet music, joy of the lighted ball-room and the dancers?
Joy of the plenteous dinner, strong carouse and drinking?
Yet O my soul supreme!
Know'st thou the joys of pensive thought?
Joys of the free and lonesome heart, the tender, gloomy heart?
Joys of the solitary walk, the spirit bow'd yet proud, the suffering and the struggle?
The agonistic throes, the ecstasies, joys of the solemn musings day or night?
Joys of the thought of Death, the great spheres Time and Space?
Prophetic joys of better, loftier love's ideals, the divine wife, the sweet, eternal, perfect
comrade?
Joys all thine own undying one, joys worthy thee O soul.
O while I live to be the ruler of life, not a slave,
To meet life as a powerful conqueror,
No fumes, no ennui, no more complaints or scornful criticisms,
To these proud laws of the air, the water and the ground, proving interior soul
impregnable,
And nothing exterior shall ever take command of me.
For not life's joys alone I sing, repeating—the joy of death!
The beautiful touch of Death, soothing and benumbing a few moments, for
reasons,
Myself discharging my excrementitious body to be burn'd, or render'd to powder,
or buried,
My real body doubtless left to me for other spheres,
My voided body nothing more to me, returning to the purifications, further offices,
eternal uses of the earth.
O to attract by more than attraction!
How it is I know not—yet behold! the something which obeys none of the rest,
It is offensive, never defensive—yet how magnetic it draws.
O to struggle against great odds, to meet enemies undaunted!
To be entirely alone with them, to find how much one can stand!
To look strife, torture, prison, popular odium, face to face!
To mount the scaffold, to advance to the muzzles of guns with perfect
nonchalance!
To be indeed a God!
O to sail to sea in a ship!
To leave this steady unendurable land,
To leave the tiresome sameness of the streets, the sidewalks and the houses,
To leave you O you solid motionless land, and entering a ship,
To sail and sail and sail!
O to have life henceforth a poem of new joys!
To dance, clap hands, exult, shout, skip, leap, roll on, float on!
To be a sailor of the world bound for all ports,
A ship itself, (see indeed these sails I spread to the sun and air,)
A swift and swelling ship full of rich words, full of joys.
Leaves of Grass
David Mc Kay,Publisher, Philadelphia, 1891–92
Poème précédent en anglais :
Lawrence Ferlinghetti : Un Coney Island de l’esprit (24– 29) / A Coney Island of the mind (24 – 29) 19/01/2024)
Poème suivant en anglais :
Langston Hughes : Les étoiles / Stars 18/03/2024)