Ilarie Voronca (1903 – 1946) : Campagne
Portrait d'Ilarie Voronca par Max Hermann Maxy
Campagne
Cet horizon que le groin du cochon remue
La boue a recouvert les vitres et les mains
Le coq avec sa voix discordante qui mue
Dans les tonneaux du vent et le ciel aigri du vin.
Et ces regards fermés, ces visages moroses
Chacun traînant ses pieds pleins de terre et de deuils
Quelle haine va donc de l’homme vers les choses
Midi plante muet sa hache sur le seuil.
Peut-être a-t-on caché la vaisselle du rire
Peut-être dans l’armoire y a-t-il un pain plus clair
Peut-être a-t-on craint en me voyant le pire
Et l’on a déplié la grande ombre dans l’air.
Dois-je fermer les yeux ? Dois-je tourner la tête ?
Ô bêlements peureux ! Ô plaintes des agneaux !
Où sont donc les chansons et où donc sont les fêtes ?
Peut-être une maison sur pilotis dans l’eau
S’est élevée ici sur la joie engloutie
La tendresse l’amour dorment aux profondeurs
Peut-être sous la bouche assoiffée de l’ortie
Résonne encore le mot désaltérant du cœur.
Peut-être ne sont-ils enlaidis de blasphèmes
Ces paysans bourrus derrière leurs chevaux
Peut-être de leurs doigts de bitume qui sèment
Avec les grains s’échappera un jour nouveau.
A la table soudain, de la soupe servie
Montera la vapeur de l’amitié. L’aboi
des bêtes sera doux au-dehors et la vie
Revêtira sa robe en velours d’autrefois.
Chacun retrouvera sa beauté. Plus légère
La peine sous le ciel comme un arbre plié
Sous le poids de ses fruits de clarté vers la terre
L’offense pardonnée et l’effort oublié.
Contre-solitude
Editions Bordas, 1946
Du même auteur :
Mon peuple fantôme (08/06/2015)
Eloge du silence (08/06/2016)
Fragments (08/06/2017)
Mes amis, mes montagnes (08/06/2018)
Amitié du poète (08/06/2019)
« Quand nos âmes seront réunies... » (08/06/2020)
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Crépuscule / Twilight 10/05/2022)
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