Ilarie Voronca (1903 – 1946) : A l’inconnue
A l’Inconnue
J’ai un regard radieux au fond de moi
Qui, pour jaillir, attend que ton visage se montre
Nul ne se doute que je porte une telle lumière
Et l’on méprise mon regard absent.
J’ai une voix mélodieuse en moi
Qui attend pour résonner, ta venue
Nul ne sait mon parler enchanté
Et l’on se moque de ma voix sans charme.
J’ai une allure fière dans mon âme
Qui attend, pour se montrer, ta présence
Nul ne devine la grâce qui est en moi
Et l’on raille mon corps voûté, humble
Des terrains ensoleillés sont dans ma mémoire
Prêts à se dessiner dès que tu apparaîtras
Nul ne connaît les domaines vastes qui sont en moi
Et l’on dédaigne ma pauvreté.
Il suffirait que ta main touche mon épaule
Pour que des jardins parfumés m’entourent
Il suffirait que tes lèvres prononcent mon nom
Pour que soudain, je sois beau, riche, émerveillé.
Car un songe seul est stérile, mais deux songes
Unis comme deux corps font naître le réel
Il suffit qu’en mon corps inerte ta main plonge
Pour que monte mon sang comme un soleil au ciel
Mais si je disparais avant notre rencontre
Que saura-t-on de tout ce qui chantait en moi ?
Si tu étais venue, les hommes auraient appris
Un bonheur que nul autre bonheur n’eût égalé.
Ah, dois-je m’en aller dans la nuit avec toutes ces richesses
Hommes ! comme on enlève à un violon cassé les cordes
Pour les tendre sur un autre violon, prenez mes chants
Et tendez-les au cœur d’un amour heureux.
Contre-solitude
Editions Bordas, 1946
Du même auteur :
Mon peuple fantôme (08/06/2015)
Eloge du silence (08/06/2016)
Fragments (08/06/2017)
Mes amis, mes montagnes (08/06/2018)
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Campagne (08/06/2022)
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